The Magnificent : Ticket gagnant ?
The Magnificent est une création des auteurs Eilif Svensson et Kristian Amundsen Østby qu’on avait déjà vu à l’oeuvre sur Santa Maria, un jeu qui mélangeait du draft de dés, de la gestion de ressources, du placement de tuiles sur son plateau façon Tétris et de l’activation, sans oublier des commandes à réaliser, tout cela dans une bonne salade de points que ne renierait pas Stefan Feld.
Comme souvent les auteurs explorent et exploitent une mécanique, l’affinent, la transforment, c’est un peu ce que l’on peut voir dans The Magnificent, puisque nous retrouvons cette recette ludique bien connue : du draft de dés, de la gestion de ressources, des activations et des commandes (ici des cartes objectifs).
Pour finir mon propos liminaire, je vous avouerais que j’ai apprécié Santa-Maria, il proposait une mécanique intelligente et originale, mais il n’était pas dénué de défauts et à la longue on finissait par se lasser. (Dans les grandes lignes, trop de micro-actions qui rallongeaient le temps de jeu, un manque de tension à 2 et trop forte à 4 joueurs et un manque de profondeur après quelques parties). C’est donc sur cette base que j’ai eu envie de m’intéresser à ce The Magnificent, surtout qu’il a le bon goût de choisir un thème qui m’est cher, le spectacle. Mais la magie va-t-elle opérer ?
Le spectacle va commencer
Structurellement, nous avons 3 manches et 4 actions par manche (soit 12 actions par joueur) pour préparer des spectacles et en mettre plein la vue au public ! Et surtout accumuler un maximum de points de prestige, que nous gagnerons principalement en réalisant des spectacles de magie, en construisant notre campement et nos chapiteaux. On fait tout cela sans oublier de payer les salaires sans quoi vous serez sanctionnés par des points négatifs, il faut dire que ces pratiques-là, n’ont pas cours dans le monde du spectacle évidemment. ^^
Mise en scène mécanique
Chaque tour, nous allons choisir un dé de couleur et sa valeur nous donnera la force de l’action. En sus, si vous prenez un dé de la même couleur dans la même manche vous cumulez la valeur des deux dés, de quoi se programmer des actions très puissantes, mais attention cela déterminera en fin de manche le salaire de votre petite troupe (on considère la valeur des dés que vous avez le plus utilisés, plus les éventuels dés blancs).
Et c’est ainsi que l’on réalise nos actions comme construire des tuiles campements nécessaires pour se produire ensuite en spectacle. Avec une valeur 3 vous ne pouvez poser qu’une seule petite tuile de la couleur du dé choisi, mais si vous atteignez la somme de 15, c’est une grande tuile et deux petites que vous pourrez positionner sur votre plateau.
Cela comprend deux avantages : en fin de partie, ça pourra vous valoir des points, mais vous pouvez aussi bénéficier d’un bonus immédiat en recouvrant une icône.
Par conséquent on le fera pour l’une ou l’autre raison ou même les deux : de l’argent pour payer la troupe, des points de victoire, des cristaux ou bien encore des assistants.
Avec l’action de la roulotte, on tiendra compte de la valeur et la couleur du dé, et on déplace la roulotte correspondante dans le sens horaire. On s’accapare tout ce que l’on traverse, principalement des cristaux, des affiches et si l’on s’arrête sur une tuile campement on peut l’ajouter sur notre plateau. Plus on aura de tuiles campements et plus on pourra réaliser dans le même tour des spectacles.
C’est en se produisant que l’on pourra réaliser ces fameux spectacles, au plus la valeur des dés sera forte et au plus on pourra en réaliser.
Une bonne source de points de victoire, mais aussi d’argent. Pour cela, il suffit d’avoir les prérequis, en ayant construit les tuiles demandées sur l’affiche (oui c’est thématiquement un peu faible et étrange je vous l’accorde).
Le tour est joué : modularité, adaptabilité
Si le hasard existe, nous sommes dans un hasard entrant : les dés sont jetés et nous en choisissons un parmi le pool de dés, mais nous avons toute latitude pour augmenter la valeur d’un dé, c’est à cela que servent les cristaux (les oranges pour les dés oranges, les verts pour les dés verts et les blancs sont des jokers).
Autre possibilité d’adaptation : nous avons des pions talents que l’on va pouvoir utiliser de différentes manières. Ils nous permettent de nous affranchir d’une règle, de réorganiser nos cartes spectacles, etc. Un peu de souplesse.
Dernier petit élément mécanique, à chaque tour on choisit un dé et on le place sur une carte maître de cérémonie, chacun d’entre eux montre un bonus (ce peut être un cristal, augmenter la valeur d’un dé, gagner de l’argent, etc). Sur une première partie, ce petit élément est un peu anecdotique, puisque nous allons jouer avec un set préétabli mais sur les suivantes, cela aura son intérêt car le jeu recèle un petit côté programmatique.
Programmation du spectacle
En fin de manche, chaque joueur va pouvoir prendre un set de cartes et la tuile talent qu’il ajoutera à son jeu. Cela se fait dans l’ordre du tour. Et nous avons alors un triple dilemme : chaque carte a un effet intéressant, mais parfois c’est la tuile talent qui nous intéresse, et enfin chaque carte maître de cérémonie a sa condition de points de victoire.
En effet, à la fin d’une manche on va devoir se défausser de l’une d’entres elles pour marquer des points, suivant la condition, ce peut être par tuiles talents possédées, par gemme, par colonne remplie dans notre campement. Mais il faudra abandonner son effet pour la manche suivante… Là aussi un léger dilemme se fait sentir !
De nouveau, nous sommes dans un hasard entrant, c’est-à-dire que tout est connu au début de la manche, les valeurs des dés ainsi que les cartes et tuiles sont connues dès le début, il est donc malin d’en tenir compte dans son jeu.
Festival de points ?
Le gros des points va se faire dans la représentation des spectacles, mais aussi et surtout en fin de manche avec ces cartes qui ont un double emploi, un effet et un objectif (comme dans Alubari par exemple).
Toutes les cartes vont nous donner des points : une par manche et en fin de partie les quatre restantes mais pour la moitié de leurs points. On va aussi marquer des points en fonction de notre plateau campement.
Bref, s’il existe plusieurs moyens de marquer des points, la base sera surtout les cartes maître de cérémonie en fin de tour, et les affiches, le reste donnant un vague arrière-goût de salade de points.
Ticket gagnant ?
On ne va pas le cacher plus longtemps, le thème est assez transparent ici. Nous sommes dans un jeu à l’allemande et comme souvent, le sujet sert de justification mécanique. Dans The Magnificent il faudra un peu d’imagination pour se figurer les cartes spectacles. C’est le travail d’illustration splendide de Martin Mottet qui prendra le relais, car en réalité il s’agit d’avoir sur son plateau des tuiles tétrisoides (oui j’invente des mots). On est loin d’un Trickerion par exemple (mais ce n’est pas non plus le même calibre !).
Le travail éditorial est intéressant. D’habitude dans ce type de jeux, nous avons des couleurs passe-partout, pour ne pas exploser la rétine. C’est ainsi que des Klemens Franz & Dennis Lohausen ont fait florès, certes ce n’est pas mirifique, mais cela a l’avantage de ne pas trop perdre les joueurs dans l’ergonomie. The magnificent est plus flamboyant, le travail de Martin Mottet est sublime, il mélange des teintes assez sombres avec un plateau noir et des couleurs flashys qui siéent bien au monde du spectacle.
Ce choix audacieux est aussi risqué, on peut perdre en visibilité, pour ma part, je ne pense pas car les zones sont bien délimitées, mais il est certain qu’il faudra jouer avec une bonne luminosité et cela va déranger certains joueurs.
Si l’on veut prendre en défaut l’édition, ça sera plus sur l’ergonomie et surtout l’abondance iconographique. Les premières parties (et même les suivantes), on aura un peu le nez dans les règles pour déterminer telle ou telle icône. Il aurait été plus pertinent de l’intégrer dans un feuillet séparé (ce que nous avons fait).
Une action est un peu étrange dans son ergonomie, il s’agit de la roulotte (je rappelle, on tourne autour de la piste et on prend toutes les récompenses). Il vaut mieux être organisé sinon on s’y perd. Côté positif, un rappel sur le plateau pour le nombre de dés selon le nombre de joueurs a été pensé, le petit détail que j’apprécie personnellement.
Nous avons une boîte en plastique qui comprend les tuiles, les pièces et les cristaux (en général c’est l’apanage des kickstarters, c’est plutôt rare de le voir dans un jeu en boutique même si ça se développe). Le plastique est plutôt cheap mais il se cale bien dans la boite, on a favorisé le fonctionnel et c’est très pratique à l’usage. Et oui c’est du plastique, mais le reste de la boite est en insert cartonné.
Entracte
The Magnificent est un jeu que je qualifierais de très feldien, des dés, des objectifs, de l’adaptation à l’aléatoire avec nos cartes, mais aussi les cristaux. Nous sommes principalement sur un jeu avec de la planification, à moyen et long terme, et quand on aime le genre on apprécie de se creuser les méninges ainsi dans tous les sens pour optimiser nos actions.
Le pendant négatif de cela et je pense que vous me voyez venir avec mes gros sabots : le jeu est sujet à la constipation neuronale (autrement appelée : analysis paralysis). En effet, il faudra anticiper, calculer, prévoir, programmer, planifier… du coup avec certains joueurs il peut y avoir du lag (si ça dure trop faudra s’inquiéter pour leur santé, voire leur demander de s’hydrater ^^).
Si le jeu est intéressant dans le mode classique, c’est vraiment avec le mode avancé qu’il se révèle. En effet, en début de partie, au lieu de prendre les cartes maîtres de cérémonie qui nous sont imposées, on peut les drafter (les choisir donc). Par conséquent cela augmente le côté planification et on anticipe encore plus, avec vraiment la sensation de construire son jeu.
Les plateaux joueurs ont une face B qui propose une version légèrement asymétrique, plus d’argent, des cristaux de départ, ou même un pion assistant en plus, cela permet de personnaliser encore son jeu et c’est agréable à jouer.
En bref
Si le thème de The Magnificent s’avère plutôt absent, on réussit néanmoins à entrer dedans grâce au travail d’illustration magique de Martin Mottet. L’interaction est assez faible, je le conseillerais surtout pour deux et trois joueurs.
De la planification, de l’optimisation, une saine frustration car on n’a que 12 actions et c’est bien peu, mais heureusement on peut s’aider de nos pions talents au moments opportun… On se sent jamais à l’étroit et finalement assez libre.
Je me questionne un peu sur la durée de vie à long terme, même si après 3 parties j’ai encore envie d’essayer des stratégies. On en reparlera dans un Test prochainement.
Si l’on excepte quelques défauts, ce Magnificent révèle une partition plus aboutie à mon goût que Santa-Maria.
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Info extension :
Une extension dénommée Sno est annoncée, elle offrira la possibilité d’un 5e joueur, ce qui est pas forcément une bonne idée selon moi. En revanche, elle propose aussi une nouvelle artiste, la dénommée Sno, qui devrait ajouter un plateau supplémentaire.
L’extension viendrait en sus apporter de nouvelles cartes spectacles et maîtres de cérémonie.
[MàJ 10/08/2020 : Cette extension arrive en VF début 2021 chez Matagot]
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Hector_chamallow 07/08/2020
Bonjour. Je trouve ce jeu excellent. Il y a de la réflexion à avoir, des choix antagonistes, bien cornéliens. Du hasard mais largement maîtrisable avec les assistants et les gemmes. Je le trouve même fluide pour un jeu expert. Une action par tour. Le truc c’est d’arriver à mettre en place des combos . Du paralys analysis sûrement un peu pour les premières parties mais ensuite c’est que du bonheur. Quasiment pas de retour au livret tout est iconographié. J’adore le look graphique et les couleurs du jeu. Ça sort des sentiers battus et puis c’est classe. Pour le thème, on n’est pas dans un énième jeu médiéval ou futuriste. Compter 45 mn de jeu par joueur. Pour l’extension, je ne suis pas certain qu’un cinquième soit utile, mais si elle rajoute des options de jeu sympathiques pourquoi pas. Faudra voir le prix aussi. En tout cas j’adore ce jeu. Pour ceux que ça intéresse le mode solo est très bien. Ludiquement votre.
Hector_chamallow 07/08/2020
Je précise j’ai acheté le jeu en VO à sa sortie. J’ai déjà pas mal de parties au compteur.
Hector_chamallow 07/08/2020
Je me permets de vous poser ici une question, cher Atom, je ne sais pas trop où la poster. Il y a toujours en général sur les jeux 2 noms. J’imagine qu’il y a un éditeur et un distributeur. Mais quels sont les rôles de chacun et pourquoi un éditeur ne distribue t il pas un jeu lui même ? Merci. Cordialement
Grovast 07/08/2020
Certains éditeurs s’auto-distributent, avec pas mal d’inconvénients bien résumés dans ce récent dossier :
https://ludovox.fr/dossier-comment-mieux-remunerer-les-auteurs-de-jeux-de-societe/
(paragraphe « Retirer le distributeur ? »)
A défaut de mettre tout le monde d’accord sur la solution, cet article décompose très clairement les rôles.
Shanouillette 10/08/2020
Extension confirmée par Matagot, prévue pour début 2021 (article MàJ)