Sur la route, un jeu descendant de la Reine

Sur la route est un jeu de rôle narratif paru en juin 2025 chez For The Story, maison d’édition avec Sébastien Célerin aux commandes (que l’on interviewait ici). L’auteur est Nicolas Le Vif (Rituels, Donjons & Siphons, Le Casse de trop…), l’illustratrice Laëtitia Van Gasse et le jeu nous promet d’embarquer pour le voyage de notre vie ! Rien que ça… 🙂

 

Le matériel au complet

Le point de départ

For The Story est né avec la traduction en français du jeu For The Queen d’Alex Roberts sorti en 2019 chez Evil Hat Productions. Ce jeu aux airs simplistes a été une petite révolution dans le monde des jeux de rôle narratifs, donnant ainsi naissance à d’innombrables hacks reprenant cette mécanique extrêmement épurée et efficace à base de cartes et de questions orientées (j’en reparle juste après). 

C’est ce que l’on appelle les jeux DftQ ou “Descended from the Queen” (ou Descendant de la Reine en français). On peut d’ailleurs en retrouver pas loin d’une centaine en français et jouables gratuitement sur le génialissime site https://forthedrama.com, traitant de thèmes aussi divers que variés : le sport, la musique, les téléréalités, les mariages, le sentiment d’isolement, les super-héros, les gamers, des dieux en train de disparaître, des samouraïs, des lutins du Père Noël, des bonhommes de pains d’épices tentant de survivre à Noël… Bref, j’arrête là. Vous avez compris qu’il y en a vraiment pour tous les goûts et que ce site est une mine d’or… et j’imagine qu’en réalité il en existe encore beaucoup d’autres…

 

Le plan de route

Tout d’abord, ces jeux se présentent sous la forme d’un deck de cartes. Chacune à son tour, une personne pioche la prochaine carte et la lit à voix haute. On retrouve plusieurs types de cartes :  

  1. Des cartes instructions : elles contiennent l’intégralité des règles du jeu et de ce qu’il faut savoir pour jouer. Il n’y a donc pas besoin de livret de règles, ni de scénario à préparer, ni même d’un ou d’une maîtresse de jeu, on sort simplement les cartes, on les lit ensemble et l’on joue.
  2. Des cartes questions : à son tour, la personne lit la question et y répond de la manière de son choix (nous y reviendrons, car c’est là tout le sel du jeu) faisant ainsi avancer l’histoire et faisant émerger petit à petit la profondeur des personnages.
  3. Une ultime carte question finale : toujours là même à chaque partie, à laquelle chaque personne devra répondre pour clore l’histoire.

 

 

L’autre élément important des DftQ est la manière dont les questions sont posées. On ne demandera jamais « Qu’est-ce que vous faites ? », une formulation neutre, mais plutôt « Pourquoi n’avez-vous rien fait quand […] ? » ou « Pourquoi êtes-vous en colère contre X ? ». Autrement dit, des questions orientées, dont les réponses, amèneront toujours un nouvel élément dans l’histoire, un rebondissement, une révélation, la création ou l’évolution d’une relation entre deux personnages, etc. Tous les ingrédients nécessaires pour créer une histoire pleine de rebondissements et de drama en somme 🙂

 

 

Revenons sur la route

Sur la route, en bon Descendant de la Reine, reprend ce principe en séparant les cartes questions en plusieurs catégories correspondant aux grands moments du voyage : 

  • Les préparatifs : où l’on va découvrir nos personnages et leurs préoccupations avant le départ.
  • Les péripéties : ledit voyage et ses événements et rebondissements.
  • Les dernières étapes : ce moment où on se rend compte du chemin accompli avec toutes les prises de conscience qui en découlent.
  • La fin du voyage : l’ultime carte, unique, mais comportant quand même quatre questions différentes permettant à chaque personne de choisir celle à laquelle elle voudra répondre pour conclure l’arc narratif de son personnage.

 

 

Ces grands moments sont représentés sur une piste imprimée au dos de la boîte. Au début de la partie, le jeton véhicule sera placé sur la case « Préparatifs ». Pendant son tour, un joueur pourra choisir de le faire avancer ou non. Ainsi, il sera possible de contrôler la durée de la partie, ce qui est très appréciable pour s’adapter à nos disponibilités ou à notre fatigue.

 

 

Le voyage de notre vie

Une des cartes instruction nous propose de piocher trois cartes contexte parmi les douze fournies dans la boîte pour définir rapidement ensemble qui nous sommes en tant que groupe ainsi que le but global de notre voyage. Chacune de ces cartes est magnifiquement illustrée (par Laëtitia Van Gasse donc), nous plongeant ainsi dans de nombreux thèmes et univers très différents (36 au total, 3 par cartes), mais on se rend vite compte que ces propositions sont très facilement adaptables et que le jeu permet finalement de jouer absolument n’importe quel voyage, dans n’importe quel univers, à n’importe quelle époque et avec n’importe quel type de personnages. 

Voici quelques exemples : un groupe de rock en chemin pour le concert de leur vie, une communauté en route vers un volcan pour y détruire un anneau maléfique, des journalistes reporters de guerre, des pilotes de rallye-raid, les participants d’une croisière sur un tout nouveau vaisseau spatial, des hobos qui vagabondent de train en train dans les États-Unis de la première moitié du XXe siècle… Bref, les possibilités semblent infinies.

 

Un contexte SF et un autre plutôt médiéval…

…et leurs 3 exemples au verso.

 

Et son lot de drama

En général dans les DftQ, quand le thème se prête à du drama, les questions vraiment axées drama sont simplement mélangées avec le reste des cartes sans différenciation, laissant uniquement le choix à la personne d’y répondre (si elle tombe dessus au hasard de la pioche) ou bien de la défausser et d’en piocher une nouvelle qui lui conviendra peut-être mieux. Cependant, dans Sur la route, l’auteur a fait le choix de sortir ces cartes pour les mettre dans un deck à part, sobrement nommées les cartes Drama. 

Chaque personne en pioche une en début de partie et la garde secrète devant elle. Pendant son tour, elle peut décider de la jouer à la place d’une autre carte, d’une part si elle trouve que la question entre en résonance avec l’histoire, mais aussi et surtout si elle souhaite provoquer un tournant plus doux-amer. Ce choix de l’auteur n’est donc pas anodin, puisqu’il permet aux joueuses d’avoir un contrôle total sur le moment où elles vont introduire cet élément, plutôt que de s’en remettre au hasard de la pioche (et elles peuvent aussi décider de ne jamais le faire, si elles préfèrent une partie plus légère émotionnellement). Personnellement, j’adore le drama dans mes sessions,  mais je trouve très bien d’avoir laissé le choix aux joueuses, car ça ne convient pas à tout le monde.

 

Les cartes Drama possèdent deux questions. On ne pourra en utiliser qu’une seule à chaque partie.

 

L’important c’est la voyage, pas la destination

Ce que je trouve excellent dans les DtfQ, c’est qu’ils sont non seulement très accessibles (comme susmentionné : aucune préparation ou lecture en amont, pas besoin d’un ou d’une maîtresse de jeu, etc.) mais qu’en plus ils permettent de vivre des histoires d’une grande profondeur et avec beaucoup d’émotions. 

Il est possible d’y jouer de différentes manières, la plus commune étant, je pense, de simplement répondre à la question posée à son tour. Cependant, la manière de faire qui m’a le plus convaincu (et que j’utilise désormais dans toutes mes parties) c’est celle où, pour répondre à la question, on se met temporairement dans la peau de MJ et l’on cadre une scène : on indique le lieu où ça se passe, les personnages présents, la situation de départ et ce qu’on est en train de faire ou ressentir (parfois, cela peut s’apparenter à un véritable monologue). Puis on joue tous ensemble la scène comme dans n’importe quel JDR en incarnant notre personnage…

Je vais tenter de retranscrire un exemple tiré de ma partie de Sur la route, lisez-le si vous jugez que vous en avez besoin pour mieux comprendre :

– À mon tour, je pioche une carte péripétie et je lis la question à voix haute : “Comment te retrouves-tu à manger un plat qui te rappelle un moment de joie survenu avant ton départ ? Avec qui le partages-tu ?”

– Je cadre une scène : je suis attablé dans un des wagons de notre véhicule steampunk. Je mange en compagnie de Schala (le plus jeune apprenti du groupe). J’indique à la manière d’une voix off ce que Golan, mon personnage, ressent en mangeant ce plat. C’est du poisson, de la carpe, qui a mijoté dans une sauce à base de citron et d’olives. J’explique ses pensées et le souvenir qui remonte subitement. Cela concerne Le Minot, un autre personnage non présent dans cette scène (développant ainsi ma relation avec lui).

– [flashback] Il y a quelques années, nous nous entraînions au trapèze (nous sommes des circassiens), pour tenter de passer une figure très importante. Mais non, rien à faire, nous avions échoué toute la journée. Nous décidons alors de faire une pause. Nous mangeons ensemble. C’est du poisson avec une sauce au citron et aux olives. Je continue mon récit en indiquant que, vers la fin du repas, quelque chose avait fait tilt chez Le Minot. Il me demanda subitement de retenter la figure, là tout de suite ! Je m’exécute bien que dubitatif après ce repas copieux. La figure passe du premier coup ! Le joueur qui incarne le Minot prend soudainement la parole : “je pense que c’est le fait d’avoir mangé avec toi, d’avoir passé un moment moins formel, plus détendu, pendant lequel la pression est retombée et où quelque chose s’est décoincé. Je me suis senti plus à l’aise et ça a fait la différence”. Nous continuons ainsi à développer ensemble ce moment privilégié de complicité entre nous, et les émotions qui en découlent, etc.

– Puis je reviens sur le présent, la scène du repas avec Schala. Je précise qu’on mange en silence et qu’il ne voit que le sourire béat se dessinant petit à petit sur mon visage à chaque nouvelle bouchée.

– Schala décrit sa réaction. 

– La régisseuse, un quatrième personnage, fait son apparition dans la scène et nous demande comment on trouve le repas, puis on joue la scène ensemble comme ça en improvisant, via divers dialogues, pour voir où ça va nous mener. Chaque personne pourra orienter la suite à sa guise.

Et c’est ainsi que, pour chaque carte et donc chaque question, il n’est pas rare de jouer des scènes qui s’étalent sur plusieurs minutes, voire dizaines de minutes. 

 

 

Il y a combien de places ? 

La boite indique 1+ et certaines boutiques en ligne indiquent jusqu’à 42 joueurs et joueuses. La réalité doit probablement se situer autour de 3 à 5 personnes (For The Queen était prévu pour 2 à 6 personnes). Jouer à plus nombreux, c’est prendre le risque que le jeu dysfonctionne fortement (cf. la partie sur lacellule.net). 

Je n’ai jamais joué à des DftQ à 2 mais beaucoup le font et ont l’air de beaucoup aimer, il faudra que j’essaye un jour.
Dans Sur la route, une carte instruction décrit également comment y jouer en solo, je n’ai pas essayé moi-même, mais j’ai lu un retour de partie très positif à ce sujet.

 

Nous sommes arrivés à destination

Sur la route est peut-être l’un des meilleurs DftQ auxquels j’ai eu l’occasion de jouer. Comme les autres For the Story, on retrouve ici un jeu solide tenant dans une petite boite et avec de très belles illustrations. Le thème du voyage est très inspirant et déclinable à l’infini dans des ambiances très diverses : de très sérieux et réaliste, à des choses beaucoup plus légères, drôles ou épiques, en passant par de l’onirique ou du contemplatif, ce qui le démarque pas mal d’autres DftQ souvent moins flexibles. Il sera donc facilement adaptable aux personnes autour de la table en fonction de leurs envies, moral, fatigue… De quoi vivre de très belles histoires pleines d’émotions. Bref, c’est un jeu qui mérite grandement d’être connu.

 

 

***

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2 Commentaires

  1. Leslie Grillon-Bouttier 18/07/2025
    Répondre

    La question du nombre de joueureuses maximum a une réponse : 15. Parce qu’il y a 15 cartes préparatif et 15 cartes dernières étapes et qu’il faut que chaque personne ait tiré une de ces cartes.

  2. Ihmotep 21/07/2025
    Répondre

    Très tentant

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