Splotter : en attendant Food Chain Magnate…

Splotter Spellen, synonyme de Graal ludique pour certains, d’horreur prise de tête pour d’autres, et plus probablement de rien du tout pour une bonne partie, sinon la majorité des joueurs. On est certes dans la catégorie “gros jeux”, pourtant cet éditeur un peu atypique mérite qu’on s’y attarde.

Je vous propose donc une petite présentation de leur ligne éditoriale, en guise de mise en bouche pour attendre la sortie de leur prochaine titre à Essen (Food Chain Magnate).

Splotter Spellen

Splotter Spellen

L’éditeur

Editeur Néerlandais, Splotter Spellen est créé en 1997 par un petit groupe de joueurs qui décident de publier leurs jeux créés en commun au cours des années précédentes. Les débuts sont modestes, car malgré un catalogue comprenant plusieurs titres dès la création, ceux-ci sont produits à la main, avec quelques dizaines de boites par titre.

En 1999, l’éditeur sort Bus et Roads & Boats. Ces deux jeux attirent rapidement l’attention d’un public un peu plus large et font peu-à-peu sortir Splotter de l’ombre. Depuis, nous devons patienter entre 1 et 3 ans entre chaque nouveauté.

Un détail du plateau de Bus.

Un détail du plateau de Bus.

 

Joris Wiersinga et Jeroen Doumen dirigent cette petite société d’édition et en sont les uniques auteurs (bien qu’au début ils étaient 4 à faire partie officiellement de Splotter). Tous deux citent des influences diverses, mais déclarent volontiers avoir été influencé par la série 18XX de Francis Tresham. S’il est vrai que les jeux de Splotter sont variés, on leur retrouve systématiquement une forte dimension géographique (avec souvent une composante réseau, comme dans les 18XX).

Le fonctionnement de cet éditeur reste relativement marginal en comparaison de la plupart des éditeurs établis du marché actuel. En effet, messieurs Wiersinga et Doumen ont tous deux une autre activité principale en parallèle, et leurs revenus ne dépendent pas principalement du succès de Splotter. Ceci n’est pas spécifique à Splotter, par contre ajoutons qu’ils se satisfont de cette façon de procéder qui leur permet de prendre tout le temps nécessaire pour développer leurs créations, et ne cherchent pas à en faire une société « viable » (économiquement parlant, parce que ludiquement, c’est très viable).

De plus, le tirage de chaque nouveau titre est assez faible, et s’écoule assez vite, créant ainsi un phénomène de rareté qui fait partie de la marque et participe un peu sans doute à leur succès. Les années où ils ne sortent pas de nouveaux jeux, ils rééditent un de leurs anciens titres, mais globalement il est assez difficile de se procurer un de leurs jeux si on n’est pas à l’affût.

Les jeux

Le catalogue de Splotter présente bien des facettes, néanmoins on retrouver certaines caractéristiques sur quasiment tous leurs titres :

  • Des jeux généralement longs, au hasard quasi absent.
  • Des règles plutôt courtes et assez simples, pour des jeux complexes voire parfois chaotiques. Certains jeux, comme The Great Zimbabwe par exemple, sont quasiment abstraits, ce qui facilite cette légèreté de règles, tout en gardant une grande profondeur.
  • Une durée de jeu non fixe : aucun jeu ne se joue en X tours/années/manches. Cela implique parfois qu’il s’agit d’une course contre les autres joueurs. Antiquity, Duck Dealer et Zimbabwe illustrent bien ce phénomène.
  • Un aspect graphique parfois simpliste, bien que les dernières productions évoluent dans le bon sens.
  • Une grande richesse stratégique, mais ne pardonnant pas les erreurs grossières, il n’y a pas de mécanisme de compensation à l’allemande.
  • Comme évoqué, une composante géographique importante.
  • On retrouve très souvent un système de ressources, avec des matières premières permettant de fabriquer d’autres ressources, et ainsi de suite permettant diverses choses en fonction du jeu.

 

Impossible de dégager des composantes fortes communes aux thèmes de leurs jeux, peut-être parce que la thématique ne semble pas avoir une place aussi importante que chez d’autres éditeurs. Néanmoins, on retrouve parfois des touches de critiques du monde de la finance et des affaires, notamment dans Cannes: Stars, Scripts and Screens, dans Greed, Inc. mais apparemment aussi dans le prochain titre, où le monde du fast-food est passé au vitriol.

Enfin, ce qui est intéressant avec les jeux de Splotter, c’est que chaque jeu ou presque présente un mécanisme novateur, ou une particularité qu’on ne retrouve pas vraiment ailleurs.

Passons en revue quelques uns de leurs plus gros titres.

1999 : Roads & Boats

Si ce n’est le premier jeu de l’éditeur, c’est en tout cas celui qui l’a fait sortir de l’ombre, toutes proportions gardées.

Les auteurs citent “Settlers” (le jeu vidéo) comme étant une de leurs sources d’inspiration. En effet, ce jeu propose une pyramide de ressources comme on peut en retrouver notamment chez Mr Rosenberg (Le Havre, Ora & Labora), une décennie plus tôt. Malgré cela, et comme le laisse supposer le titre, la difficulté du jeu tient principalement aux problèmes logistiques imposés par cette pyramide : comment optimiser au mieux le transport des ressources afin de générer un maximum de points, en produisant ce qui est au sommet de cette pyramide, à savoir … des actions bancaires. Une particularité du jeu est que chaque joueur ne possède que ses transporteurs et ce que ceux-ci transportent. Rien d’autre, pas même les bâtiments construits qui sont utilisables pour tout le monde.

Couverture de Roads&Boats

Couverture de Roads & Boats

1999 : Bus

Bus présente deux particularités intéressantes. Déjà, c’est un worker placement bien avant son temps. 6 ans avant Caylus qui allait populariser le genre, Bus propose un système qui tient encore largement la route en termes de placement d’ouvriers. Bien qu’un des premiers, ce ne fut pas le seul, et on peut raisonnablement douter que Bus ait eu une quelconque influence directe sur la genèse des pointures du genre, à savoir Caylus et Agricola notamment.

La seconde innovation tient au fait que chaque joueur ait 20 actions à sa disposition à jouer au cours du jeu, ni plus ni moins. Il est contraint d’en jouer 2 par tour au minimum, mais aucun maximum n’est imposé.

Notons que le plateau, d’un goût certes particulier, est un hommage aux jeux de plateau “modernes” du moment, puisque chaque quartier de la ville représente un jeu (Catane, 1830, 6 qui prend, Elfenland, Tikal, et bien d’autres).

Le plateau de Bus au cours d'une partie

Le plateau de Bus au cours d’une partie

2004 : Antiquity

C’est sans doute Antiquity qui ressortirait si on ne devait citer qu’un seul jeu de chez Splotter. En jouant sa première partie, on a d’abord la sensation d’un gros jeu de gestion épais auquel s’ajoute un système de “punition” qui peut mener à une lente agonie, étouffant sous la pollution et les tombes que nous impose le jeu. Mais, même si ce système punitif existe bel et bien, il s’agit en fait plus d’un jeu de timing, voire de course, que de gestion pure, et dont la durée diminue beaucoup avec l’expérience, contrairement à Roads&Boats par exemple.

L’idée géniale de ce jeu est que chaque joueur définit à un moment de la partie sa condition de victoire, parmi 4 possibles. Les conditions de victoire étant fort différentes les unes des autres, il conviendra de choisir au bon moment, et de s’y tenir, sans quoi un changement de direction peut s’avérer compliqué. Les stratégies qui en découlent peuvent évidemment grandement varier. Le but étant en définitive d’atteindre sa condition de victoire avant les autres.

Pollution sur Antiquity

Pollution sur Antiquity

2005 : Indonesia

L’allusion à la série 18XX que présente Indonésia n’est peut-être pas aussi claire que Ur 1830 BC (un autre splotter non détaillé ici, hommage direct au jeu 1830 de Francis Tresham), mais elle existe bien dans le mécanisme d’actionnariat des différentes compagnies du jeu qu’on retrouve. D’ailleurs, Imperial, de Mac Gerdts, sorti l’année suivante, sera sans doute le jeu qui popularisera le plus ce mécanisme.

Mais ce système ne devait pas être assez complexe aux yeux de Joris Wiersinga et de Jeroen Doumen, car ils décidèrent d’ajouter la possibilité de fusionner deux compagnies. Principe très intéressant, nouveau, offrant beaucoup de possibilités, mais nécessitant également la mobilisation de beaucoup de neurones pour être pleinement compris, si une telle chose est possible !

La qualité graphique s"améliore avec Indonesia

La qualité graphique s’améliore avec Indonesia

2008 : Duck Dealer

Est-ce le moins compris des jeux de cette liste ? Sorti la même année que Le Havre, de Uwe Rosenberg, on pourrait voir une similitude entre ces deux jeux, au moins sur le système de ressources (qu’on récolte pour produire d’autres ressources, etc). Mais là encore, ce jeu est avant tout une course plutôt qu’un jeu de gestion pur, où il faut amasser le plus de point possible avant que la partie ne s’arrête.

Ici encore, une idée simple mais novatrice vient enrichir le jeu : à votre tour de jeu, vous pouvez soit accumuler des actions pour un tour ultérieur, soit dépenser l’ensemble de vos actions pour jouer. Donc plus on accumule, plus on va faire un gros tour, et donc plus on rentabilise ses actions. Mais bien entendu, si vous attendez trop, vous allez voir disparaître les opportunités intéressantes, et surtout quand viendra le moment de jouer vos actions, votre cerveau risque de ne pas supporter la charge de calcul devant toutes les possibilités qui vous sont offertes.

C’est d’ailleurs le principal reproche fait par les joueurs : la trop grande complexité induite par ce système, et le temps d’attente entre deux tours qui peut s’en trouver allongé.

Toujours des ressources !

Toujours des ressources !

2009 : Greed Incorporated

Pas de mécanisme spectaculairement nouveau pour Greed. Un jeu où on prend place au sein de diverses compagnies, et où le but est d’en tirer un maximum de profit à titre personnel, peu importe si la boîte coule, afin d’acheter aux enchères les fameux signes extérieurs de richesse que toute personne normalement constituée chercher à arborer au cours de sa vie (ou pas, à vous de voir si escort girls et yacht sont vos buts dans la vie !).

On rencontre à nouveau un système de ressources primaires et secondaires à produire et à vendre, avec en prime un mécanisme de marché économique très malin, où les prix vont bouger en fonction de cartes à chaque tour, suivant globalement la même courbe d’une partie à l’autre, mais pouvant être très variable d’un tour sur l’autre. C’est-à-dire qu’on sait que telle matière ne vaudra probablement rien à la fin de la partie, mais on ne sait pas quand elle va s’effondrer.

Un jeu qu’on peut qualifier de “facile” par rapport à la moyenne de cette gamme, mais qui reste long.

Greed Incorporated  860_md

2012 : The Great Zimbabwe

Virage plutôt radical niveau thème … Mais on garde toujours ce principe de producteurs primaires qui alimentent des producteurs secondaires ! Dans une ambiance africaine donc, quoi que plutôt abstraite, des tribus doivent ériger des monuments et construire des artisans qui leur rapporteront des points de victoire. Encore et toujours selon un principe de course, le but étant d’atteindre le premier 20 points de victoire. Mais pour ne pas déroger à la règle de la bonne idée, il est possible d’acheter des bonus. Ces bonus ne se paient pas en point de victoire ni en argent, mais simplement en repoussant la limite des 20 PV à atteindre, plus ou moins loin en fonction de la puissance du bonus. Grosso-modo, vous vous fixez vos moyens, et le but est calculé en conséquence.

Sensiblement plus court que la moyenne des Splotter, ce jeu est pourtant tout-à-fait représentatif de leur gamme, avec des règles courtes induisant un jeu dense, profond, aux possibilités multiples, mais qui pardonne mal les erreurs. Beaucoup de fan du genre le placent à un rang comparable à celui d’Antiquity, Roads&Boats ou Indonesia (le top 3 habituel des Splotter).

Le Zimbabwe, en plus abstrait

Le Zimbabwe, en plus abstrait

 

Leur prochaine sortie : Food Chain Magnate

À moins de deux semaines de sa sortie, nous avons assez peu d’information concernant le nouveau titre de Splotter, Food Chain Magnate (tout un programme).

Dans Food Chain Magnate, chaque joueur dirige une chaîne de fast-food dans une ville américaine des années 50. Chacun doit faire prospérer sa chaîne en engageant plusieurs employés qui pourront par la suite être licenciés pour être remplacés par d’autres, plus performants. Ces employés donnent les actions possibles de chaque joueur.

Un jeu que Joris Wiersinga annonce comme étant à longueur variable, bien qu’assez long en moyenne, tout en reprenant le principe d’un deckbuilding, mais différemment, sans qu’on sache exactement en quoi pour le moment ! Les cartes représentent les employés. Pour orienter un peu les joueurs, Jeroen Doumen nous dit qu’il y aura également des buts à atteindre (le premier à récolter telle somme par exemple), qui non seulement donneront des bonus, mais guideront un peu les joueurs dans leurs stratégies. Personne ne devrait être capable de récolter tous les bonus, et donc les stratégies devront différer d’un joueur à l’autre.

NEWS-food-OK

Comme tout deckbuilding, on peut s’attendre à ce qu’une des difficultés du jeu soit de trouver le bon équilibre entre acheter de nouvelles cartes plus performantes, et utiliser celles qu’on possède déjà au bon moment.

Sur les rares images qu’on peut observer sur la toile, le plateau modulaire représentant la ville fait beaucoup penser au plateau de The Great Zimbabwe, avec des petits plateaux carrés qu’on peut poser dans n’importe quel sens, afin de garantir une carte nouvelle à chaque partie. L’aspect cartes est nouveau chez Splotter, en tout cas sur la forme deckbuilding. Reste maintenant à savoir si Splotter va une nouvelle fois arriver à tirer son épingle du jeu dans un genre ultra-balisé où on peut déjà en trouver pour tous les goûts ou presque. La réponse à Essen dans quelques jours.

La news concernant Food Chain Magnate

Sources
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4 Commentaires

  1. yannibus 29/09/2015
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    Merci pour ce résumé ! Intrigué par Fodd Chain Magnate, puis refroidi par les premières informations autour de sa durée, je suis de nouveau interessé par le jeu… j’essaierai d’en faire un tour à Essen.

    Je suis un grand fan de TgZ car justement il arrive a condenser l’intêret d’un Splotter dans une durée raisonnable, contrairement à R&B, Antiquity et Cie qui sont bcp trop long selon moi.

    ++

    • toooooof 29/09/2015
      Répondre

      A priori, Food Chain Magnate s’annonce comme étant plutôt long, peut-être pas autant que Roads&Boats, mais quand même. Ceci dit, les maigres échos qu’on a semblent plutôt bons et donnent envie.

  2. Guillaume LEMERY 29/09/2015
    Répondre

    Dans le podcast Proxi-Jeux, il y a eu une série de chroniques sur le triptyque : Roads&Boats (épisode 52-C), Antiquity (épisode 54-C) et Indonesia (épisode 53-C).

    Sinon, Zimbabwe est sympa, mais le jeu a vite fait de déraper dès qu’un joueur lance un peu de concurrence. Ce côté légèrement incontrôlable est regrettable. Un peu comme pour R&B dont le rythme des tours ralentit franchement dès que qq joueurs sont en compétition pour les mêmes ressources.

    Pour autant, ce sont des jeux dont je ne me séparerai jamais. Indonesia est un jeu très exigent, et sans doute un des meilleurs jeux à quatre tant l’interaction est forte.

     

  3. Kubenboa 30/09/2015
    Répondre

    J’ai précommandé Food Chain Magnate sur le thème et sur le nom de l’éditeur (vu qu’on ne peut pas avoir accès aux règles avant la livraison du jeu). Peut être sera-t-il trop lourd pour mon groupe de joueurs, mais je sais que, si c’est le cas, je n’aurais aucun mal à trouver un acheteur. N’est-ce pas Yannibus ? 😀
    Au pire je pourrais t’envoyer FCM par la Poste en échange de The Great Zimbabwe pour un prêt, histoire qu’on puisse tout 2 jouer à ces 2 jeux !!

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