Shogun no Katana : aiguisé comme une lame
Les samouraïs étaient des guerriers au sens de l’honneur sans faille, ils vouaient leur vie à leur maître, leur Daimyo. Prêts à se faire seppuku (s’éventrer sans trembler) si leur maître mourait, disparaissant avec lui pour laver leur honneur. Une fidélité et une abnégation (et peut-être une forme de fanatisme aussi) que nous ne pouvons pas comprendre aujourd’hui.
Shogun No Katana est un jeu de Frederico Randazzo et P.S. Martensen chez Placentia Games et Post Scriptum, des éditeurs italiens responsables de l’excellent Wendake. Le jeu a été lancé en 2020 sur kickstarter et a été livré aux “backers” puis a rejoint les boutiques en 2023.
Japon féodal
Dans Shogun no Katana, nous n’allons pas croiser le fer, mais plutôt incarner des maîtres-forgerons afin de réaliser les katanas que leur commandent les Daimyos. Le but ultime étant de réaliser leur grand œuvre : le Katana du Shogun. Nous avons pour cela quatre manches.
Shogun no Katana est un classique jeu de pose d’ouvriers et gestion de ressources, afin de réaliser un sabre il nous faut aller en commander réserver un chez un des quatre daimyos qui va nous donner immédiatement un petit pécule qui nous permettra d’aller acheter métaux, bois, galuchat (sorte de cuir que l’on utilisait pour le manche), et laque au marché, que l’on pourra décorer (améliorer) à l’académie. On peut aussi se rendre au Palais du Shogun afin de placer nos membres de familles et surtout de les activer pour bénéficier de leurs faveurs. Plus l’on en place et plus on en active (jusqu’à 3).
Classique, pas tout à fait, tout d’abord, parce que certaines actions vont aussi bénéficier aux autres joueurs, mais ce twist reste finalement quelque chose d’assez courant. Par exemple, au palais du Shogun, j’active tous les membres de famille, tandis que mes adversaires n’en activent qu’un seul.
La forge est matérialisée par notre plateau personnel. Nous allons-y faire glisser nos tuiles sabre avec une mécanique de taquin. Cette mécanique de forge représente LA spécificité du titre, il nous faut donc optimiser les déplacements, planifier l’achat des ressources, et même la livraison doit être savamment pensée. Vous allez vous faire des nœuds au cerveau. Il faudra éviter de se coincer et optimiser au maximum nos mouvements.
La fabrication de votre sabre (voir photo) requiert du galuchat, puis de l’acier (2 fois), et enfin du bois. Il va donc partir de la dernière ligne et se déplacer à droite, haut, droite, haut. Quand il s’agit de faire avancer le travail d’un sabre, tout va pour le mieux, sauf que souvent vous allez en déplacer plusieurs à la fois. Quand je dis qu’il est nécessaire de planifier, prévoir, organiser, ce n’est pas à prendre à la légère. Vos choix peuvent être lourds de conséquences.
Un ouvrier placé devant une ligne ou colonne de notre plateau va pouvoir activer tous les sabres et y placer les ressources requises pour peu qu’on les ait en réserve (nos adversaires vont pouvoir en activer un sur leur plateau). Une fois qu’une tuile sabre est terminée, vous pouvez la livrer et selon la colonne et la ligne où elle est placée, vous pouvez gagner de l’argent et des ressources qui vont être utiles pour les autres sabres.
Il peut être intéressant de ne pas le livrer immédiatement, par exemple parce que l’on souhaite décorer nos ressources. Cela consiste à améliorer nos ressources afin de gagner plus de points de victoire au moment de la livraison, et de l’argent au moment où l’on fait appel à nos artisans pour décorer nos ressources. Là encore, on peut décorer une ressource de chaque quand on réalise l’action, tandis que nos adversaires bénéficient d’une seule action de décoration.
À la livraison, on gagne les points indiqués sur le sabre, plus les points pour les ressources améliorées, ainsi que les points de la manche, et l’étrangeté du jeu, on en gagne plus les manches avançant. (en général c’est l’inverse).
Comme dans beaucoup de jeux de ce type, la ressource pécuniaire (la thune ^^) reste primordiale, ici pour acheter des ressources, mais aussi pour faire appel à un de nos moines, sorte de super ouvrier qui va nous offrir un bonus en fonction de l’endroit où il sera placé. À la forge par exemple, il peut activer un autre sabre et pas forcément dans la ligne ou colonne où il est placé (pratique). Vos neurones vont fondre à la chaleur, car là encore vous pouvez activer son pouvoir au début, à la fin, ou au milieu de son travail, et je le dis tout net, si vous aimez jouer en dilettante, passez votre chemin au risque de vous blesser :).
Les moines, une fois leur service rendu, reviennent au temple à la fin de manche. Si vous désirez faire appel à leur service, il faudra les payer à nouveau et, la partie avançant, c’est de plus en plus cher (5,6,8 puis 12 sous). Vu leurs compétences, on fera tout pour en bénéficier un maximum, et là encore, il faut trouver une machine à fric :).
Votre grand œuvre, le sabre du Shogun demande lui aussi une planification aiguisée : quand un de vos sabres est forgé, il rejoint votre Washitsu (non c’est pas le nom de votre chien). C’est ainsi que vous pourrez éventuellement débloquer de nouveaux ouvriers ; après l’argent, l’autre nerf de la guerre dans un jeu de pose d’ouvriers). Mais surtout vous pouvez placer jusqu’à deux ressources afin de fabriquer votre Katana du Shogun ou plutôt de le planifier, littéralement de réaliser le plan de construction. Il faudra toutefois qu’il passe par les différentes étapes de votre forge.
Ce sabre une fois dans votre Washitsu vous donnera des points en fonction de la manche dans laquelle vous l’avez réalisé, mais aussi des ressources améliorées, ainsi que différentes cartes faveur du Shogun pour celui qui aura réalisé la demande du Shogun, le premier.
Si vous aviez dans l’idée de ne pas vous embêtez avec ce katana, sachez que votre honneur sera sali, et vous risquez de perdre des points de prestige, on ne plaisante pas avec le Shogun.
Aiguisé comme une lame ?
Shogun no Katana est, comme nous le disions, plutôt classique, en plus de points gagnés par les sabres (les contrats), en fin de partie, on marquera des points en plus selon des objectifs que l’on aura choisis à la fin de chaque manche, ceux-ci guideront nos choix. On gagnera aussi des points sur un principe de collection.
Il offre une interaction intéressante, certes les emplacements sont limités, mais on le ressent assez peu, on est plus dans une interaction de tempo, une interaction où l’on va tenter de bénéficier des actions de nos adversaires.
Une belle édition, entre les différents plateaux illustrés de fort belle manière avec sobriété et classe, les figurines qui servent d’ouvriers plutôt de bonne facture elles aussi. La boite comprend un thermo qui permet de ranger et sortir le jeu facilement, il reste un peu de place pour y caler les extensions si l’on souhaite enrichir l’expérience. Pour ma part, après examen, je ne sais pas trop ce qu’elles apportent vraiment, et je passe mon tour.
Comme pour Wendake, l’éditeur nous propose un petit livret qui en plus de spécifier certaines tuiles, cartes ou icônes nous narrent la période historique, tout en nous expliquant les choix qu’ils ont opérés, les libertés qu’ils ont prises avec le thème pour garder une cohérence mécanique. J’apprécie particulièrement ce côté instructif loin d’être anecdotique, et finalement que l’éditeur nous explique les décisions prises en termes de game design.
Le jeu étant produit pendant la période de la pandémie, ils ont proposé un mode Histoire, un solo de type automa qui comprend 14 chapitres différents avec des scénarios et des mises en place. Si je ne suis pas amateur de jeu en solo, j’ai tout de même envie de louer ce bel effort.
Sous la chaleur de la forge
Shogun No katana représente un énorme casse-tête d’optimisation, un puzzle spatial qu’il ne faut pas négliger. Il est proprement impossible de jouer en dilettante. J’ai même proposé à un joueur de faire un petit “roll back”, car je le voyais bien en peine, à subir un choix hasardeux fait quelques tours plus tard. Il faut penser au déplacement de ses sabres, dans quel ordre, à quel moment, les ressources que cela va générer, pour finaliser, avancer tel sabre etc. Le jeu offre une énorme courbe de progression : sur la première, on se coince aisément, on galère avec la gestion de l’argent et des moines, mais sur les suivantes, on déroule, et finalement on réussit bon an mal an, à se “dépatouiller”. J’ai presque regretté la petite salade de points finale, avec les collections, les cartes honneur, etc, j’aurais préféré je pense, que le jeu reste plus concentré dans son mécanisme central, mais le principe de collection permet une certaine versatilité dans les scorings. Quand aux cartes honneur, elles servent en quelque sorte de mécanismes de rattrapage, et réduisent le sentiment de répétition qui finit toutefois par subvenir.
Il finit malheureusement par s’émousser un peu. Pourtant Shogun No Katana détonne par son originalité, par sa réalisation, et tout le travail éditorial, et c’est un titre que l’on a plaisir à découvrir et faire découvrir.
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