Secrets – CIA, KGB et Hippies
Durant l’été 2017 sortait un OVNI dans le monde ludique. Pas dans le sens où le jeu est révolutionnaire, mais plutôt parce qu’on n’attendait pas ces deux auteurs sur ce terrain-là. Secrets est en effet l’œuvre de deux monstres sacrés du secteur : Bruno Faidutti et Eric Lang.
Le premier est certainement un des auteurs les plus prolifiques avec une centaine de jeux à son actif depuis les années 80 et l’un des plus célèbres aussi. On lui doit notamment Tempête sur l’échiquier, Mystères à l’abbaye, Mascarade et surtout Citadelles, son best-seller devenu un classique. Bruno Faidutti est un auteur éclectique qui nous surprend à chacune de ses productions.
Eric Lang, s’il faut encore le présenter, nous régale également depuis près de 20 ans avec déjà une trentaine de jeux. En général de grosses boîtes, sur de grosses licences avec beaucoup de matériel et de figurines : Blood Rage, Le Parrain et le très récent Rising Sun.
Bref, des poids lourds du J2S que l’on n’attendait pas forcément chez Repos Prod avec un party game à identités secrètes un peu loufoque. C’est pourtant déjà leur seconde collaboration après Dolorès en 2016, qui nous proposait un jeu de pierre-feuille-ciseaux dans un contexte de piraterie. Nous vous en parlions déjà dans l’interview d’Eric Lang lors du Festival de Cannes.
Moscou ne répond plus
Dans Secrets, vous interpréterez un agent secret dans les années 60. De 4 à 8 joueurs se répartiront les rôles de membre de la CIA et du KGB. Des Hippies pourront également se joindre à la fête et compliquer encore un peu le jeu.
On commence par distribuer à chacun un jeton Identité Secrète et on en ajoute un supplémentaire au milieu de la table. En fonction du nombre de joueurs, ceux-ci auront accès à un certain niveau d’information. Dans tous les cas, en début de partie, ils pourront consulter leur propre identité. À 5 ou 6 joueurs, ils connaîtront également l’identité de leur voisin de droite. À 7 ou 8, ils pourront également consulter le jeton au centre de la table.
C’est important car c’est le seul moment où vous pourrez consulter ces informations sans y être invité par une carte particulière en cours de jeu. Tout au long de la partie, les identités vont bouger et vous risquez vite de ne plus savoir pour qui vous roulez.
C’est dans la boîte
Côté matériel on est plutôt pas mal pour un jeu à moins de 20 €. Les 10 jetons d’identités secrètes (4 CIA, 4 KGB et 2 Hippies) et le jeton « Nations Unies » sont gros et lourds, agréables à manipuler.
On trouve également dans la boîte deux petites flèches en plastique qui servent à indiquer les 2 personnages qui ont été piochés par le joueur actif. Leur utilité est largement superflue mais elles pourront aider les moins attentifs d’entre vous. Cependant, on a plutôt tendance à les oublier si la partie se joue vite.
Les illustrations de Cari sont vraiment dans le thème du jeu et aident beaucoup à l’ambiance. Encore nouvelle dans le monde du Jeu de Société (Elysium, Pelegrinus, T.I.M.E Stories…), elle a beaucoup d’expérience dans le jeu vidéo et est même passée par les illustrations de Jeux de Rôle (Shaan et Chroniques Oubliées). Carole Chaland, de son vrai nom, a un style très vintage qu’elle décline ici avec beaucoup de talent.
L’iconographie illustrant les pouvoirs des personnages est très claire et permet une appropriation rapide du jeu.
Une mécanique à base de cadeaux empoisonnés
Le principe du jeu est très simple. À son tour, chaque joueur va piocher 2 cartes personnages différentes et les montrer à tous. Il en choisit ensuite secrètement une des deux et la propose à un autre joueur face cachée. Ce dernier peut décider de l’accepter (et appliquer immédiatement son effet) ou de la refuser, dans ce cas c’est le joueur actif qui la pose devant lui et en applique l’effet.
Si, pendant l’échange, un joueur a strictement moins de personnages devant lui, il peut prendre le jeton « Nations Unies » et intercepter la transaction. Il prend alors le personnage et en applique l’effet.
Si, au cours de la partie, un joueur se retrouve avec deux exemplaires de la même carte posés devant lui, elles s’annulent et sont retournées face cachée.
La partie prend fin dès qu’un joueur a devant lui, face visible, 5 cartes personnage différentes. Le but du jeu est alors d’obtenir le maximum de points pour sa faction en fin de partie.
Il y a 8 types de personnages différents (Agents doubles, Psychiatres, Politiciens, Détectives, Diplomates, Journalistes, Scientifiques et Assassins), certains plus rares que les autres. Sur chaque carte on retrouve une illustration, le type du personnage, sa valeur et son effet immédiat.
Les secrets ne meurent jamais
Et c’est là que le chaos s’installe. Les pouvoirs des personnages sont assez variés mais tournent beaucoup autour des mécaniques d’échange de jetons d’identité secrète ou de révélation de ce jeton pour soi-même ou pour les autres. L’assassin permet quant à lui de distribuer des cartes balles dont la valeur (cachée jusqu’à la fin de la partie) lui fera perdre autant de points de victoire.
Étant donné que, lorsqu’on joue une carte, on ne sait jamais si elle sera acceptée par un autre joueur ou posée devant soi, il est très difficile de jouer de manière stratégique. Alors bien sûr, les bons baratineurs arriveront plus facilement à leur fin en choisissant leur victime et en trouvant les bons mots pour lui faire accepter ou refuser la carte. Mais ce n’est clairement pas une science exacte.
Au bout de quelques tours de jeu, si tout se passe bien, il en résulte un joyeux bordel ou plus personne ne sait pour qui il travaille. C’est drôle, on rit beaucoup, mais cela peut être mal vécu par des joueurs en recherche de contrôle et de stratégie rondement menée. On ne peut s’empêcher de penser à Loup Garou pour une nuit avec ce système d’échange de rôle et le fait de ne plus savoir pour qui on roule.
Les Hippies ne savent pas compter
Lorsqu’un joueur a posé son cinquième personnage face visible devant lui, on termine le tour et la partie s’arrête.
Chacun révèle son identité secrète et compte alors ses points en additionnant les valeurs de ses personnages et en déduisant les éventuelles balles reçues des assassins.
S’il y avait un ou plusieurs Hippies dans la partie et que l’un d’eux a le plus petit score, il gagne la partie seul. Sinon, on cumule les points de chaque agence (CIA et KGB). L’agence ayant le plus haut score remporte la partie.
On peut tromper mille fois une personne
Alors que penser de ce jeu aussi loufoque que décomplexé ? Dans la catégorie des jeux à identités secrètes, il se démarque assez nettement. Pendant une partie de Loup Garous de Thiercelieux ou de Resistance : Avalon, vous vous accrochez à votre secret jusqu’au bout en espérant que personne ne vous perce à jour. Dans Secrets, vous n’aurez parfois aucune idée de votre allégeance et vos adversaires en sauront parfois plus que vous.
Il faut aimer lâcher prise pour jouer à Secrets. C’est un croisement de party game et de jeux à identité secrète avec une pointe de coopératif à géométrie variable.
Faidutti et Lang ne sont pas des amateurs. Les mécaniques sont bien huilées et le jeu tourne très bien. Les tours sont fluides et sans temps morts, une fois que l’on a appris les capacités des personnages.
Certains vont adorer, de par l’ambiance et les situations loufoques qu’il engendre. D’autres vont détester car ils auront le sentiment de ne pas maîtriser ce qu’ils font. Quoi qu’il en soit, c’est une expérience que je vous invite à tenter.
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :
morlockbob 09/07/2018
effectivement, disparu trop rapidement des radars
TheGoodTheBadAndTheMeeple 09/07/2018
J’ai bien apprécié le jeu à 6-7 rien à voir avec The Résistance, c’est plus proche de Mascarade dans l’approche. Très agréable à jouer.