Rock Hard: 1977 – Raw Power ?
En règle générale je n’attends pas de jeux précis, je n’ai pas de wishlist, et je survole les previews. Il y a tellement de choix (Vichy l’a encore montré cette année, ça va être la surdose jusqu’à Noël, si bien que Iello, l’éditeur de Rock Hard, fait figure de modéré avec seulement 20 jeux en attente !), tellement de choix donc que je me laisse surprendre par un auteur inconnu et décevoir par quelqu’un pourtant bien en place. Que le hasard décide de ce qui arrive sur ma table, ça ne changera pas grand-chose.
Pour Rock Hard 77, c’est un peu différent. Le jeu s’empare d’un thème qu’on voit peu (citons dernièrement Rock Festival, l’excellent Come Together, on en parlait dans ce Just Played) mais, surtout, son autrice connaît plus que bien l’univers qu’elle décrit puisqu’elle fut la bassiste des Runaways, groupe comptant en son sein Joan Jett dans les années 70, années chaotiques, sex, drugs and rock’n’roll. Jackie Fox, l’autrice, ne restera que deux ans dans le groupe, ce qui suffira à la marquer. Elle deviendra avocate, puis mettra sur pieds son jeu durant le Covid.

Let’s rock !
Retour en 77. Vous êtes Eric Fairchild ou Bebe Rose, vous aimez la musique, vous vous débrouillez pas trop mal avec votre instrument, et rêvez d’être la prochaine star qui remplit les stades avec son groupe… Hey ho, let’s go ! Hélas, pour l’instant c’est plutôt let’s go to bed, car demain il y a boulot, vous êtes encore portier dans un hôtel avec un petit salaire qui ne vous permet pas grand-chose. Tout cela va changer. Dans les mois qui suivent, vous allez enregistrer une démo, progresser en technique, écrire des chansons et jouer dans des clubs pour vous faire connaître.

Moi je veux être…
Si vous vous intéressez un peu à la musique, vous allez adorer le matériel et les références. Quasi tout y est, des dollars usés aux techniciens qui enroulent les câbles, des médiators servant de jeton ordre du tour aux personnages typiques, des K7 au 33 tours, plongeant le joueur la tête première dans ce monde sonore… L’ambiance est là, pour un peu on crierait avec la foule. Le plateau personnel est le plus réussi, calqué sur un ampli avec ses boutons servant à augmenter ses compétences en technique, sa réputation, créativité et mesurer… son addiction à la drogue. Le mot ne sera jamais employé et sera remplacé par des bonbons (le sucre étant addictif on le sait).

1$, quelques souvenirs, un boulot prenant et tout à apprendre !
Who are you ?
Chaque joueur incarne donc un guitariste, une claviériste… qui veut percer. Il a une histoire personnelle, un pouvoir (gagner + 1 point en chanson si vous écrivez la nuit…), un agent qui l’aide (se placer sur un lieu occupé/une action jour coûte moins 1$/ modifier de 1 votre lancer de dé…) et un travail qui lui rapporte quelques dollars. Mais pendant qu’on travaille, on ne fait pas de musique, on ne croise personne. Faut-il continuer dans cette voie ? Il a également deux objectifs personnels (garder son job pendant 6 mois/donner 3 concerts au Panda Palace…) et deux souvenirs aux textes souvent amusants qui donnent des logos de départ (il est bon de les collectionner).
Tout au long de la partie, on va essayer d’améliorer ses compétences, accomplir ses objectifs, valider des paliers pour pouvoir prétendre à être mieux payé et jouer dans des salles de plus en plus grosses, jusqu’au moment où votre nom éclatera au firmament du rock. Pose d’ouvrier et récupération de ressources, voilà la méthode pour que ça rock dans la casbah !

Tout ça en une journée.
Le plateau principal est divisé en 3 parties : Journée/Soir/Nuit. Chaque zone possède ses propres lieux où placer sa figurine pour réaliser des actions, récupérer des points de savoir-faire et/ou point de victoire.
Pour améliorer votre technique, il faut aller dans un studio et cela se passe le jour. Idem pour engager un technicien (obligatoire pour les gros concerts) ou faire grandir votre réputation en donnant une interview. On peut aussi engager un publicitaire ou un promoteur indépendant pour aller plus vite, c’est-à-dire récupérer un peu plus de ressources en payant plus cher. Cette zone est celle où l’on valide les contrats d’enregistrements rapportant à chaque tour l’argent des royalties. C’est là aussi où l’on ira en cure de désintox si on a trop abusé des bonbons, nous y reviendrons.

Cet après-midi on va …
Concert intimiste, club, petite salle ou stade, c’est ici que ça se passe, en soirée, au centre du plateau. Bien sûr, si les clubs ne sont pas très regardants et que vous pouvez vous pointer seule avec votre guitare désaccordée, un Stadium demandera un bon niveau de musique, des techniciens, une démo…, et le retour sur investissement sera évidemment plus lucratif. À chaque manche, un concert improvisé est proposé, cassant ainsi la structure de base. Parfois très lucratif, il nous éloigne un moment de notre planification, mais pour le meilleur.

Ce soir j’ai concert… pour une bar mitzah euuh.
Quant à la troisième zone, elle permet de se placer en tant que premier joueur et d’enregistrer une démo (une ressource utile pour toucher des royalties et viser la gloire). Son véritable intérêt est de partir en virée nocturne. Et ainsi de tirer des cartes (il y en a une centaine) vous apportant des bonus ou des échanges (vendre sa musique (-2 en chanson) pour gagner des dollars…). Lier des amitiés ou payer des tournées, en règle générale, il y a toujours du bon à prendre en n’allant pas se coucher. Les cartes possèdent des logos qui donnent des points par set de 4 et les emplacements, numérotés, donnent l’ordre du tour suivant pour les médiators des joueurs.

Le reste du plateau affiche l’événement du jour introduit par un petit texte souvent plein d’humour, des cases pour écrire des chansons, donner son sang pour des dollars, travailler ou acheter des bonbons. Trois cartes bonus de production, etc (objectifs communs) font gagner des points.

Des objectifs à valider en premier.
On a beau être straight edge, les bonbons, comme l’argent, on en a besoin. Allégorie gentillette, les bonbons sont un mal nécessaire. Ils permettent d’ajouter une, voire deux actions à son tour. Bien sûr, il y a un revers (la drogue c’est mal). On va augmenter son addiction de 1 sur le bouton dédié. On va ensuite lancer un dé. Le résultat est inférieur à votre niveau d’addiction. Vous faites une crise d’hypoglycémie. Cela vous oblige au prochain tour à passer votre journée (perdre une action) en cure pour baisser de 1 votre addiction. Pas toujours facile d’être une Acid Queen. Très utile, mais à user avec intelligence.

Le jeu se déroule de la même façon à chaque manche. On tire un événement, une carte concert improvisé puis chaque zicos va agir (ou non s’il est en cure) durant la journée. Ce sera ensuite le soir et la nuit. À lui de décider s’il veut travailler, sucer un bonbon ou se coucher tôt pour être premier sur le terrain le lendemain.
Pose d’ouvrier, chaque emplacement pris est interdit aux autres (sauf effet de carte ou agent). Peu à peu, on va augmenter le volume de ses boutons pour accéder à plus de royalties et des salles de concert plus importantes. L’interaction est indirecte et le jeu exponentiel, puisque jouer dans une grande salle demande plus de réputation, de techniciens. Mais rapporte plus, ce qui permet de payer l’agent, d’acheter plus de bonbons, etc.

La première partie de Rock Hard 1977 s’est terminée d’un coup, net. On ne l’avait pas vu venir, alors que c’est précisé dans la règle, mais oui, franchir la ligne des 50 points de popularité signifie fin de partie. La fin arrive sinon d’une façon moins cassante, au mois de décembre, à la neuvième manche. Zut, j’allais enfin jouer dans le Carter Stadium !
L’autoroute vers l’enfer ou les escaliers pour le paradis ?
Ce qui marque dans Rock Hard 1977, c’est l’ambiance. Ces couleurs chaudes, la tête du roadie, le look cheveux longs, pantalon slim troué du gratteu, la pose énervée de la chanteuse, les clubs enfumés… Et les textes d’ambiance, pertinents à souhait. Cela sent le vécu, et encore plus si vous aimez le rock. C’est d’ailleurs ce qui nous a attiré dans ce jeu en premier lieu, et qui nous a donné l’envie d’y revenir. Les mécaniques, si on pratique un peu, sont plus classiques, mais non dénuées d’intérêt, l’ajout du bonbon y est délicieux.

Si l’on parle pose d’ouvriers et gestion de ressources (on a l’occasion d’en perdre certaines pour en gagner d’autres), le jeu est loin d’être expert. Il n’est pas familial non plus, il y a pas mal de choses à faire, des choix (prendre des bonbons ou non, aller dans un club ou préférer le concert improvisé, répéter ou aller au boulot…), de l’optimisation (augmenter tel bouton pour atteindre tel palier…), de l’adaptation (la place est prise, je vais faire autre chose), de la planification, s’occuper des objectifs communs et des siens.
Sans être une course, il ne faut pas traîner et maintenir la puissance sonore. Comme on dit « le rock c’est tout à fond ». De toute façon, inutile de se la péter si vous ne pouvez pas fournir ce qu’on vous demande. Il est inutile de viser un contrat d’enregistrement si vous n’avez pas de démo ou de toquer à la porte du Yenser Arena si vous n’avez pas de technicien. Tout cela se fait pas à pas, une chose en entraînant une autre.
Sans parler réellement de moteur (engine building), il y a de ça. Vous démarrez avec peu de technique, à jouer dans des bars et, peu à peu, votre savoir s’étoffe, votre réputation grandit, vous avez accès à des endroits plus prestigieux et êtes payé en conséquence. Et, si prendre des bonbons peut, au départ, rebuter, c’est une façon d’accélérer tout ce que l’on met en place, de récupérer sur un tour où l’on a agit plus par dépit que par intérêt… On deviendra vite addict par nécessité.

La classe des petits standees.
Je parlais en introduction d’une réalité rock’n roll dans tout ce qu’elle peut avoir de dérive, et Fox a raconté, bien des années plus tard, avoir été victime d’agression sexuelle de la part de son manageur Kim Fowley*. Le jeu plonge dans cette réalité crue des années 70, mais en éloigne les mauvais côtés, ne gardant que le plaisir du jeu, les clins d’œil au showbiz et la réalité aplanie des groupes de rock naissants. Le jeu n’est d’ailleurs pas punitif, pas de crasse à faire à la voisine, rien de vraiment imposé lors de gain ou échange, on peut perdre des points dans un domaine pour en gagner dans un autre. On est parfois frustré de ne pouvoir se placer où l’on veut, de faire des actions qu’on n’avait pas prévues, mais le jeu n’est pas bloquant et on a toujours le choix : de jouer au hasard avec les bonbons ou les cartes de virée nocturne, mais également de prendre la première place pour avoir accès à ce que l’on désire. Le jeu veut avancer et ne pas laisser le joueur sur le carreau.
Le jeu intègre, c’est voulu, une part de hasard. On le croise dans les cartes Virées nocturnes, les concerts improvisés, les agents pas toujours équilibrés, ou simplement le jet du dé d’addiction. Si vous aimez le contrôle absolu, cette distorsion n’est pas pour vous.

Un peu abusé non ?
Rock Hard 77 rappelle ce que l’on trouve dans Pop Corn, un autre jeu Iello, cette progression qui colle parfaitement à l’univers proposé. Cela joue énormément en sa faveur. Le thème ici est poussé dans ses recoins et la connaissance de l’autrice se ressent. Le déroulement est fluide et le jeu va dans ce sens. On se prend rapidement à se dire que ce serait sympa d’engager ses propres musiciens, d’améliorer cette case démo dont on se sert peu, de produire plusieurs albums… Preuve que le jeu ne laisse pas indifférent.
***
Depuis sa création en juin 2014, Ludovox a à cœur la pertinence et l’intégrité des contenus proposés par une rédaction indépendante et l’établissement d’une charte que vous pouvez retrouver ici. Cet article a été écrit avec un jeu acheté par nos soins. Si vous aimez notre travail, n’oubliez pas de nous soutenir sur Tipeee.
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :





atom 30/10/2025
J’ai beaucoup apprécié ma découverte. Je pensais sincèrement passer à côté du jeu à cause de la mécanique assez classique, mais le thème est tellement bien intégré que je passe outre ce côté classique.
Natosaurus 31/10/2025
Et les amplis vont jusqu’à 11 !
morlockbob 31/10/2025
Depuis Spinal Tap 😉
DocGuillaume il y a 6 jours
Fantastique article de morlockbob, comme toujours
morlockbob il y a 6 jours
salut Doc….et merci, ça réchauffe toujours ce genre de retour, surtout en cette saison 🙂