Return To Dark Tower – Nostalgie, les plus grands tubes

Restoration Games a pour mission de refaire vivre les bons vieux jeux de notre enfance (enfin, si vous avez le bon goût d’être des années 80) en leur redonnant un intérêt ludique digne d’aujourd’hui.

Pour ma part, autant
L’île infernale avait rythmé mon jeune âge, autant j’ai réellement découvert Dark Tower avec cette réédition (avec la VO). Je ne goûte donc pas le plaisir de croquer une madeleine de Proust en voyant les contours de cette tour de plastique noire émerger de la table, éructant des crânes en tous sens, émettant des bruits étranges et menaçant de ses petites lumières rouges (mais où est la fumée ? On est trop déçus !). Je n’en reste pas moins intriguée, car ce coopératif, tout auréolé de ses attributs, surgit de la masse escorté d’une bande d’épithètes inspirant le respect, tels que “culte”, “mythique”, “iconique”.


Bien entendu, il s’agissait initialement d’un jeu à matériel, d’un jeu à spectacle, la tour faisant le show. Qu’on se le dise, la tour d’aujourd’hui est toujours impressionnante – certains gothiques prendront le jeu juste pour redécorer leur intérieur sans que nous ne questionnions leur goût (car cela ne se questionne pas). Mais côté game design, Restoration Games (avec Rob Daviau en chef restaurateur, ici secondé entre autres par Isaac Childres) a-t-il proposé quelque chose de solide et de contemporain ?

 

 

Mais comment ?

Comment retoucher sans trahir, comment améliorer sans décevoir, comment dénoter sans dénaturer ? Il est indéniable que l’équipe éditoriale maîtrise parfaitement son sujet. Chaque choix a été manifestement longuement pensé, pesé. La première question fut sans doute de faire “quelque chose de mieux”, de plus actuel, avec cette tour. On a répondu à cette question comme il convient de le faire en l’an deux mille et plus, par une connexion Bluetooth – via une application.

Choix clivant s’il en est. Certains hurleront sans doute à la lune contre l’hégémonie des écrans. Si vous en faites partie, il est évident que Restoration n’a pas pensé à vous en planchant sur ce jeu. En effet, l’appli est indispensable, elle accompagne la mise en place, ponctue chaque tour de chaque joueur, pilote la tour à distance, simule les combats et modélise les donjons, vous donne des statistiques à la fin, fait revenir l’être aimé… Bref, c’est un jeu à appli, il faut l’accepter malgré tous les ombrages que cela soulève (passez votre chemin en serrant les dents si vous préférez, mais tout de même, il s’agirait de se mettre à la page, même les Pharaons avaient l’électricité après tout).

Pour ma part, mon inquiétude est plus de l’ordre de la défaillance technique, du petit bug qui ternit l’expérience, et de la pérennité de la licence. En bref, je joue aux jeux à appli tant que l’appli ne m’empêche pas de jouer. Force est de constater que sur nos parties de Dark Tower, nous n’avons pas eu de vrais soucis. Les piles de la tour ont failli nous lâcher en pleine session, mais l’appli a été bien urbaine et nous a prévenus poliment. 

 

 

L’appli administre donc beaucoup de choses, que vous n’avez ainsi pas à gérer. Quand vous avez terminé vos actions, vous faites l’offrande d’un crâne à la tour, et bim l’app affiche alors un événement. Des monstres apparaissent sur le plateau, se mettent en action, des quêtes annexes surgissent, des menaces s’éveillent (qu’il faut contenir à temps sous peine de sanctions), mais parfois de nouveaux compagnons débarquent et peuvent être recrutés pour apporter leur eau bénéfique au dark moulin. Et parfois il ne se passe rien. Tout cela aurait pu être géré par des paquets de cartes, mais l’app assure une randomisation intelligente en facilitant la tâche. Tout se fait très simplement. C’est la magie du XXIe siècle. 

Et le tatanage de mâchoires ? 

De même pour les combats. Leur simulation fait un clin d’œil obvious aux jeux de cartes, mais tout se joue sur l’écran, en un instant, sans qu’on ait à gérer des tonnes de paquets liés à des monstres différents. En effet, quand un combat se déclare, l’appli vous propose un éventail de cartes.

Vous en tirez au hasard en tapotant et découvrez le défi à relever, qui malheureusement consiste toujours à être capable de payer un coût via des ressources diverses (guerriers, potions, esprit). Si vous êtes suffisamment armé, vous pouvez faire baisser ce coût progressivement mais – et ça c’est plutôt sympa, bien qu’un peu random surtout quand on découvre le jeu – sans savoir à l’avance ce que sera la prochaine revendication de la carte.

On marchande avec nous-mêmes (et les autres qui peuvent donner leur avis, à vous de voir si vous voulez les écouter, comme dans la vraie vie), on paie nos ressources, tant et si bien que le combat ressemble limite plus à une négociation commerciale qu’à un acharnement physique et épique. Même le combat final tombe un peu à plat alors qu’on le voudrait comme un homérique climax à la hauteur de cette tour qui ne cesse de nous invectiver depuis le début.

Bref, s’il est indéniable que cette idée ne manque pas d’une réalisation ultra fluide (et aurait été par ailleurs nettement plus lourdingue sans le soutien numérique), je ne reste pas tout à fait convaincue que c’était la meilleure pour prêter un souffle héroïque aux combats.     

Mais la tour quand même !

L’appli est présente donc, mais face à la dark tour qui trône de toute sa superbe au centre du plateau, elle se fait oublier. 

La star du jeu en fait plus qu’à la grande époque des épaulettes XXL, c’est certain. Elle anime la tablée comme un beau diable, à nous vitupérer ses petits bruits menaçants. Parfois, des glyphes apparaîtront face à vous, ce qui signifie que certaines actions vous coûteront plus cher (à moins d’avoir un objet qui permet de passer outre). D’autres fois, vous devrez retirer manuellement une des douze portes de la tour qui se met à briller, ce qui fera peut-être expulser un peu plus de corruption accumulée dans l’ombre. Par moment, elle tourne à l’intérieur grâce à ses petits moteurs et rotatives, et on se demande alors tous à quelle sauce on va être mangés.

Nous ne sommes pas dans un jeu à la Pont Maléfique où le plastique était un gadget impressionnant mais paresseusement non intégré. C’est un gimmick, certes, mais un gimmick incorporé à la proposition. Et la proposition reste solide, même si on regrettera un peu de tension (sur les combats, vous l’avez compris) et des choix parfois un peu prédestinés. Nous avons toujours gagné nos parties (sans forcer) aussi devons-nous sans aucun doute augmenter la difficulté d’un cran, voire commencer à sortir l’extension Alliances qui ajoute les Guildes et apparemment, toute une dimension supplémentaire. Une richesse sans doute indispensable pour un public gamer, mais non sans surcoût. 

Surprise or not surprise 

Concrètement, rien de révolutionnaire dans ce que les joueurs vont avoir à opérer comme décisions au cours d’une session. Nettoyer des lieux de la corruption un peu comme on retire des cubes à Pandemic, défaire les monstres du royaume en payant des ressources face à l’app, améliorer son personnage (parfois rien de bien fifou à débloquer d’ailleurs). 

Là où le jeu surprend plus, c’est finalement sur sa fluidité et son accessibilité. Question fluidité, il faut dire qu’à votre tour vous ne réaliserez qu’une seule action. Combattre un monstre, nettoyer un lieu de la corruption (virer les petits crânes qui sont posés sur le plateau), accomplir une quête… Il faudra choisir. Vous allez déplacer votre figurine pour aller sur un lieu qui vous permettra d’acquérir des ressources ou des améliorations. Comme on bouge en moyenne de 3 cases, il faudra planifier nos déplacements pour être sûr d’être au bon endroit le tour suivant. On se met donc d’accord entre nous pour se répartir les tâches et éviter de perdre des tours à faire peu à part se déplacer. 

Mais globalement le jeu consiste à accumuler toutes sortes d’avantages sous forme de cartes et de jetons qui donnent au joueur un bonus persistant ou ponctuel pour des actions effectuées dans un certain type de lieu, ou contre un certain type de monstre, ou un joker qui se veut moins situationnel. Ce système d’avantages peut d’ailleurs parfois générer un petit côté “boule de neige” avec des joueurs qui font des bons départs d’un côté, accumulent vite de bons avantages, ce qui leur permet de relever des défis qui leur rapportent toujours plus, tandis que d’autres peuvent avoir plus de peine au démarrage et perdre des tours à faire des choses moins gratifiantes. 

Nostalgie, une bonne conseillère ? 

C’est plus question accessibilité Dark Tower que surprend finalement. Alors qu’il ressemble à un de ces jeux qui prennent “un certain temps” (dirons nous gentiment) à expliquer, Dark Tower reste facile à prendre en main même pour des joueurs pas très aguerris. Le jeu top pour jouer avec des ados par exemple. Le gros des informations reste lisible sous le menton, ce qui n’est pas une mince affaire dans ce genre de jeux. L’app et la tour font le reste.
Malgré tout, nos parties restent nettement plus longues que ce que la boîte indique. Il tient plus ses promesses de durée dans des configurations basses (solo, deux joueurs). 


Jusqu’à maintenant ce qui pouvait vraiment diminuer l’accessibilité de
Dark Tower, c’était surtout le fait que le jeu soit en anglais uniquement. Mais les inarrêtables canards chanceux viennent de lancer un GameOnTabletop et là plus d’excuse – sauf si 119€ (149€ avec l’extension Alliances) et des piles AA commencent à trop piquer votre budget ludique, ce qui pourrait se comprendre. Alors, laisserez-vous le flot nostalgeek l’emporter ? Vous avez jusqu’au 9 mai pour vous décider. Quoi qu’il en soit, le retour de la tour noire semble déjà validée, puisque Lucky Duck Games a actuellement rassemblé près de 180% de son financement.  

 

 

 

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