Prehistories, mon mammouth c’est du Street Art
La Préhistoire, le thème n’est pas si souvent exploré dans le jeu de société. L’axe choisi pour coller au thème (ou l’inverse plutôt) est souvent la survie et le développement de la tribu (La Vallée des mammouths, L’âge de pierre, Prehistory, Sapiens, L’aube des tribus…), ou le langage supposé peu abouti et gestuel (CroMagnon, Ouga bouga, Aaargh ! Tect). Parfois, nous avons de la préhistoire vue à travers l’écran de la famille Pierrafeu (Krom, Neolithibum, Flintstones…).
Prehistories, édité chez Flying Games, lui, explore les peintures pariétales, ces œuvres qui sont autant de traces archéologiques de la présence de nos ancêtres, et dont l’interprétation est encore voilée de mystères. Dans le même temps, Paléo dans un genre plus coopératif, évoque également l’importance pour nos aïeux de laisser des traces de leur passage sur les parois des grottes. L’approche de la préhistoire est en train de changer. Si les anciens jeux étaient modelés de préjugés et de chasse au mammouths, qu’en est-il à présent ?
Benoit Turpin et Alexandre Emerit nous proposent dans Prehistories de jouer une tribu qui va chasser et peindre. À vous de prouver que votre tribu est plus développée culturellement en peignant des trophées de chasse sur les parois de leur grotte.
Partir à la chasse
Votre tribu est composée de 12 chasseurs qui vont du jeune avorton à Mr gros gourdin. Vous vous doutez bien que les plus costauds ont plus d’arguments pour ramener du gros gibier. Les cartes chasseurs ont des puissances allant de 1 à 6. Vous en choisissez autant que vous voulez parmi les cartes disponibles dans votre main (trois au début). Mais attention plus costauds veut dire moins rapides aussi. On compare nos cartes pour déterminer quelle tribu va arriver en premier sur le lieu de chasse. L’initiative revient à la plus petite puissance de chasse : la plus petite somme de carte choisit en premier les animaux à chasser. Les tribus suivantes auront moins de choix, le gibier chassé ne reviendra qu’au tour suivant.
La tribu choisit d’envoyer les chasseurs sur une ou plusieurs scènes de chasse. Elle pourra ramener des tuiles Animal allant de 1 à 4 cases. Ces tuiles, des polyominos, seront “peintes” ensuite sur les parois de notre grotte, selon des règles de pose. En réalisant les conditions des objectifs de peinture, on va pouvoir se défausser de nos Totems. 8 totems placés et c’est la preuve immédiate de la supériorité culturelle de la tribu !
Ne pas peindre le mammouth avant de l’avoir chassé
Le jeu est une arborescence de choix. Reprenons à la fin.
Nous devons compléter des lignes et des colonnes d’animaux pour se défausser d’un Totem à chaque fois. C’est une constante de l’artiste. Mais il y a aussi des objectifs différents, dictés par le hasard de chaque partie, d’autres objectifs artistiques, pour lesquels la première tribu qui le réalise place deux totems, et les suivantes un seul. Petite course.
Notre grille va donc se construire à chaque tour avec les tuiles que nous aurons chassées. En ramenant des grosses tuiles, la grille se remplit plus vite et on peut espérer ainsi prendre de vitesse les autres tribus pour la course aux objectifs. Placer de grosses tuiles voilà une stratégie bien évidente, mais encore faut-il pouvoir aligner la puissance de chasse correspondante (au moins une somme de 10). Cette possibilité dépendra du tirage de sa main, qui contient une part de hasard, mais également une part de contrôle. Ce que l’on peut contrôler, c’est le nombre de cartes qui vont se rajouter à notre main d’une journée de chasse à l’autre. Lors de la phase de chasse (si aucune tuile n’est prise), nous aurons trois cartes supplémentaires pour la prochaine journée, deux si on a chassé, et une si on a chassé mais qu’un chasseur est blessé.
Alors, reprenons au début de la journée : Je vais chasser avec qui ? Pour chasser quoi ? Et pour revendiquer quel objectif ?
Pour chasser une tuile, il faut amener une certaine puissance de chasseur. Par exemple 10 pour chasser une tuile 3. On peut la chasser avec une moindre puissance de 7, mais on aura un blessé, ce qui implique d’avoir une carte de moins dans notre main au prochain tour. Le choix à chaque tour est donc de construire sa grille et courir pour un objectif ou de construire sa main pour avoir une plus forte puissance au prochain tour.
Ça va être tout noir !
La journée de ma tribu Chauvet se compose d’une suite de choix opportunistes allant de la bataille de l’initiative, puis à une optimisation de l’utilisation de mes chasseurs pour finir sur un rangement de grotte. J’aime bien les choix opportunistes quand le jeu est fluide. Mais il me manque ici de la fluidité.
Voyons où. Lors le la première phase, quand on résout l’initiative à la chasse : la plus petite somme de puissance prendra l’initiative. En cas d’égalité, il faudra regarder parmi les cartes chasseurs jouées lequel est le plus rapide (autre valeur unique pour chaque chasseur). Une suite de résolutions un peu lourde pour savoir qui partira en premier à la chasse. Cette donnée est essentielle, attention, il est souvent primordial de passer en premier, au risque de se retrouver à se retrancher vers une zone de chasse moins convoitée.
Il manque aussi de la fluidité quand je dois placer ma tuile dans ma grotte : Une des règles de pose est de respecter le fait que les animaux aient les pattes vers le bas. Afin d’offrir plus de possibilités pour le positionnement horizontal ou vertical, les animaux ont été imprimés recto et verso. Seulement ils ne sont pas dans le même sens recto et verso !
Au moment où je choisis ma tactique du tour, je me décide pour la tuile à 4 sangliers, je l’imagine bien aller à tel emplacement dans ma grille, surtout quand je vais la retourner, mais en la retournant ce n’est pas le sens que j’avais imaginé, je refais donc mes calculs mais je ne lui trouve pas un emplacement qui matche bien… Je vais devoir choisir une autre tuile, et par conséquent, mon calcul de déplacement de chasseur est à revoir. Pour un jeu opportuniste, ça devient embêtant de devoir refaire un choix, non pas parce que j’ai une meilleure option mais à cause de la lecture des tuiles.
Cela dit, si l’orientation de la tuile me pose problème et que pour moi ici le thème alourdit le jeu, pour les joueurs Rosembergiens cela pourra être une contrainte innovante pour se challenger.
Et… est-ce que le jeu sert son thème ?
Les mammouths, les chevaux et les bisons sont des animaux le plus fréquemment représentés sur les parois. Les poissons que nous trouvons dans le jeu en revanche sont très très rares sur les murs des grottes et des abris sous roche.
Pour parer nos murs de grottes, l’équipe du jeu a rajouté des animaux légendaires, des chimères fantastiques, s’affranchissant ainsi de la cohérence des théories nous expliquant la raison de ces peintures pariétales. C’est bien vu car pour les archéologues il semblerait qu’il n’y ait pas forcément de lien entre les animaux chassés et leur représentation en peinture pariétale. Il semblerait même logique que les chasseurs et les peintres n’étaient pas les mêmes personnes : les peintres étaient forcément des gens spécialisés, la tribu devait consacrer du temps et des matériaux pour subventionner cet art ! La représentation des mammifères sur les parois ne seraient donc pas des scènes de chasse mais plus de l’ordre du mythe et de l’organisation sociale ou encore, selon d’autres archéologues, de la mise en avant de l’importance de la tribu par l’utilisation de modèles artistiques. Cette théorie n’est pas si éloignée du but du jeu qui est d’être reconnue comme la tribu étant la plus développée culturellement !
Pour la cohérence avec le thème, j’invoque ici Le Grand Panneau des lions de la grotte Chauvet. Le rapport avec nos histoires de ligne et de colonne ? Les lions sont en pleine chasse, leurs têtes sont alignées sur l’horizontale, les bisons sont en fuite et leurs têtes sont alignées sur la verticale et nous foncent dessus ! Étonnants ces artistes du Paléolithique, non ?
Le jeu de peindre
Prehistories est une sorte de bingo agréable avec une course pour remplir les objectifs de placement dans la grille. Les choix à faire à chaque phase du tour sont impliquants et la construction de main en fonction de l’issue de la journée de chasse est intéressante. Ma grotte à orner est faite en relief, et sympa à utiliser. Les illustrations de Camille Chaussy sont lumineuses et un peu cartoonesques, elles savent mettre en avant le côté familial du jeu. (Lumineuses mais moins « colorful » que pour les autres collaborations avec The Flying Games, le jeu est pourtant accessible à partir de 8 ans). On sent ici une réelle motivation voire une admiration pour le thème. Les peintures sont fidèles tout en prenant des libertés artistiques. D’ailleurs, Préhistories nous fait chasser des mammouths, et tant pis si nos ancêtres ne prenaient sans doute jamais ce risque. Nonobstant ce sujet de l’art pariétal bien mis en valeur, et ce avec une intention respectable, la transformation en règles de jeu (me) pose par certains aspects des problèmes ergonomiques.
Alors les amis, envie de chasser du mammouth ? 😉
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