Photosynthesis – ça sent pas le sapin !
Il y a des phrases qui ne font sens que lorsqu’on est adepte de jeux de société. Vous savez, les « je prends deux viandes et je fais un clocher » ou « Je construis un centre de recherches à Londres. Oui, je sais, Karachi et Buenos Aires vont caner mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ? ».
Et il y a Photosynthesis. C’est là où il faut qu’on aborde un concept de game design : les affordances, ou « actions que vous savez pouvoir réaliser. » Une échelle ? Ça permet de grimper ou descendre. Une porte ? On peut l’ouvrir. (Bon, ok, pas toujours.) Explications en anglais ici, mais en bref : une affordance, c’est une occasion intuitive d’accomplir une action. Cela peut être amené par la fonction naturelle de l’objet (comme dans mon exemple, l’échelle) ou par l’ergonomie et la logique interne à un jeu. L’inverse s’appelle la dissonance ludo-narrative. Maintenant, vous pourrez briller en société.
Pourquoi je vous en parle, au juste ? Parce que de l’affordance, Photosynthesis en est rempli. Et ça marche super bien.
Le pitch
J’arrive chez des amis, DD et FF, avec Photosynthesis dans le sac. Comme d’hab, on papote avant de s’y mettre. « Qu’est-ce que t’as rapporté, alors ? » demande FF.
Et là, je suis un peu embêté. J’avais… Photosynthesis. J’ai répondu :
« On va planter des arbres pour dominer la forêt. Et ça va couiner pour avoir du soleil. »
Je le craignais, ce moment. Le pitch, il ne fait pas forcément rêver. D’habitude, on joue à Horreur à Arkham JCE ou à TIME Stories alors vous voyez, le fossé…
Mais, FF et DD, sans aucune réticence aucune, ont accepté. C’est peut-être la couverture qui a marché : douce et colorée, empreinte de paix. On pourrait y jouer sur fond de BO de Princesse Mononoké, ce serait parfait.
Mais ne nous y trompons pas, on a signé pour de la compétition végétale de premier ordre. Et comme c’est moi qui avais apporté le jeu, je ne pouvais pas me défiler avec un « c’était pas ma guerre ! » bien placé.
Matériellement consistant
Photosynthesis possède beaucoup de matériel en 3D. Tous ses arbres ! On place ce qu’on peut sur son plateau personnel, avec un pion soleil pour marquer son énergie. Une règle d’or : ce qui est sur le plateau personnel n’est pas disponible. Il faudra le rendre disponible en l’achetant.
Au final, le matériel prenait plus de place sur la table que ne le laissait entendre le petit plateau de jeu. Il faut dire qu’on a fort à faire avec les pions de score et le soleil qui va tourner autour. Et puis y’avait nos rafraîchissements. Bref.
DD s’impatiente : elle veut nous mettre la misère.
Objectifs
Pour gagner, il faut avoir des points de victoire. Pour avoir ces PV, il faut faire évoluer un de ses arbres jusqu’au niveau 3 (le plus haut) et ensuite laisser mourir son vénérable tronc pour remporter une tuile points de victoire. Plus on le fait au centre de la forêt, plus on rafle de points.
Et pour planter et faire pousser nos arbres, il nous faut de l’énergie solaire collectée à chaque tour.
Séquence
Deux phases viennent découper le jeu : l’ensoleillement et la phase de croissance. Pendant l’ensoleillement, chaque joueur récupère autant de points de soleil que ses arbres l’indiquent. 1 pour un petit, 2 pour un moyen, 3 pour un grand. Sauf si ledit arbre se trouve à l’ombre d’un arbre de taille équivalente ou plus grande. Et un arbre porte son ombre sur… le nombre de cases équivalent à sa taille.
Puis une fois que tout le monde aura collecté son énergie, chaque joueur aura l’opportunité de tout dépenser avant de passer la main (ou de thésauriser) pour débloquer les éléments de son plateau personnel (et pour les placer à côté, libres), ou faire pousser, chaque arbre ayant droit à une “action”. Faire pousser permet de prendre un arbre de taille supérieure libre et de le placer à la place de notre arbre. Par contre, notre ancien arbre retourne au cycle de la forêt : on le replace sur notre plateau personnel. Il faudra le repayer !
On commencera avec deux arbres au pourtour de la forêt. Ah, et pour en avoir plus, on sème des graines ? Oui. Et devinez ce qui détermine jusqu’où on peut semer ? La taille de l’arbre qui pose la graine, oui.
Bref, rien que là, FF et DD sont séduits.
De tour en tour, le soleil tourne. Nos économies aussi. Au début, on se contentera de maigres rations, mais après les premiers choix, nos jeux se typent. Untel pose des graines partout, unetelle tente de s’espacer juste ce qu’il faut pour se gêner le moins possible. Untel laisse son arbre de niveau 3 au beau milieu de la forêt pour être bien pénible.
Car oui. On se gêne. Entre joueurs, mais avec soi-même aussi. L’espace devient vite limité car le plateau est petit et les arbres grandissent, surtout si on veut atteindre le coeur de la forêt avec nos beaux arbres. [Si vous êtes deux joueurs, c’est un calme relatif et calculé pendant quelques tours. Si vous êtes plus, c’est la guerre des plantes, et bien plus vite.] Et c’est bien cela qui est difficile : il n’y a pas de clairière tranquille. Même au bord du plateau, on prend l’ombre des autres. Dès qu’on se rapproche du centre, en revanche, c’est un enfer obscur, avec de moins en moins d’ouvertures. Bref, c’est ultra-cruel.
Et jamais on n’aura posé de question : une fois les bases posées et acquises, le jeu n’a plus qu’à dérouler sa narration d’un trait. D’accord, le pitch aurait pu être plus immédiat, plus vendeur. Mais en fait, je me suis senti plus menacé que dans certains ameritrash : le dilemme économique est constant, car l’énergie solaire est rare et précieuse et on ne veut pas la gâcher. Rentabiliser un arbre haut est certes agréable, mais si on les garde trop, on ne marque pas de points. Et si je m’attire les foudres d’un joueur, je vais subir sa colère jusqu’à la fin de la partie – sans pour autant que ce soit déséquilibré : on a toujours des options pour se rattraper, mais un bon coup de couteau dans le dos fait toujours mal. Un arbre pile à l’endroit qu’on visait, ou une pousse pour nous faire de l’ombre, la guerre est rude. Même entre arbres.
Non seulement le jeu est beau, ultra-lisible et facile à apprendre, mais en plus, il se paie le luxe d’être profond, et sans concession. C’est un peu comme si vous faisiez gagner des niveaux à vos billes dans Abalone sauf qu’ici, tous les mécanismes abstraits sont servis par une narration qui, certes, a pris son petit temps pour s’installer, mais qui nous a tous transportés au beau milieu d’une jungle tempérée, où les arbres n’ont que la patience pour eux.
Patience, donc, car cette petite gemme sort à la Gencon 17 pour les anglophones et à Essen pour le reste du monde.
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Un truc tout meugnon avec des arbres ? => Kodama, le test
La fiche de jeu de Photosynthesis
Un jeu de Hjalmar Hach
Illustré par Sabrina Miramon
Edité par Blue Orange Games
Distribué par Blackrock Editions
Pays d’origine : France
Langue et traductions : Anglais, Français
Date de sortie : fin 2017
De 2 à 4 joueurs
A partir de 10 ans
Durée d’une partie entre 30 et 60 minutes
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Alendar 10/08/2017
Merci pour ce Just Played!
Le jeu est sur ma wish list depuis son annonce!