Phantom Ink – Quel adjectif le décrit le mieux ?
Avant d’entendre parler de Phantom Ink, j’avais surtout découvert le travail de l’une de ses autrices, Mary Flanagan, qui a récemment publié Playing Oppression. Il s’agit d’un ouvrage universitaire qui tente de mettre au jour les liens thématiques et mécaniques entre les jeux de société et l’impérialisme colonial. Vu l’engagement éthique, politique et intellectuel de l’autrice, j’étais donc très curieux de découvrir Phantom Ink, sa dernière création née de sa collaboration avec Max Seidman.
Il s’agit d’un jeu d’ambiance pour quatre à six joueurs, dans lequel deux équipes, Soleil et Lune, s’affrontent pour remporter la partie. Chaque équipe est composée d’un ou deux Médiums qui tenteront de deviner un mot, en posant des questions pour obtenir des indices, et d’un Esprit, chargé de faire deviner un mot en répondant aux questions des Médiums. L’équipe gagnante est la première qui parvient à deviner le mot.
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Trouver les bon mots
La partie commence par une phase de concertation entre les Esprits des deux équipes. Ensemble, ils doivent regarder une carte Objet et choisir un mot qu’ils essayeront de faire deviner au Médium de leur équipe respective. Il s’agit d’une phase de négociation intéressante puisque, en fonction du degré de familiarité entre les membres d’une même équipe, chaque Esprit pourrait tenter de faire pencher la balance pour son équipe.
Les mots appartenant à différents champs sémantiques – animaux, végétaux, objets du quotidien, véhicules, outils de travail, instruments de musique -, il importe aux Esprits des deux équipes de choisir un mot que leurs coéquipiers pourront trouver sans se fourvoyer. C’est d’autant plus important que les questions sont, elles aussi, très diverses et ne seront pas toujours pertinentes en fonction de l’objet choisi.
Pour poser une question et obtenir un indice en réponse, chaque Médium choisit à son tour deux cartes Question de sa main et les propose à l’Esprit qui doit en retenir une. Celui-ci commence alors à répondre, en écrivant lentement une lettre après l’autre, jusqu’à ce que le Médium dise « Silencio ». Les réponses étant écrites sur une feuille visible de tous les joueurs, il est important que les Médiums arrêtent l’Esprit au bon moment, pour éviter de donner de précieux indices à l’équipe adverse.
Poser des questions pertinentes, au bon moment
Les questions sont plus ou moins précises et il arrive que le lien avec le mot à deviner soit très ténu voire inexistant. Pour éviter de gâcher des tours de jeux, au début de la partie, les Médiums auront surtout intérêt à poser des questions générales, pour tenter au moins de cerner la catégorie de l’objet et éviteront les questions trop spécifiques – essayez donc de faire deviner Botte, Chaîne, Hamac ou Imprimante en répondant à la question « Si c’était un aliment, lequel serait-ce ? ».
Par exemple, des questions telles que « De quoi avez-vous besoin pour l’utiliser ? », « Qui ne l’aime pas ? » ou encore « Où pourriez-vous vous en procurer un ? », seront préférables pour éviter des pirouettes sémantiques trop importantes à votre coéquipier, tout en avançant dans votre quête. Il vaut mieux poser des questions plus précises seulement lorsqu’on a une idée plus claire de la nature de l’objet à deviner, de façon à rendre plus difficile la tâche des Médiums adverses.
Lorsque le Médium estime avoir récolté suffisamment d’indices et pense avoir deviné le mot, il pourra utiliser son tour pour l’écrire, lettre après lettre. L’esprit ne l’arrêtera que s’il se trompe. Il convient donc d’être sûr de son coup car les lettres qu’on devine sont un indice précieux pour l’équipe adverse.
Questions pour un champion ?
Avec son mécanisme de déduction, Phantom Ink m’aura rappelé à la fois Code Names, Decrypto et Concept. Code Names, pour la nécessité de deviner un mot à partir d’un indice, Concept, pour la façon dont on associe les questions et les indices au mot à deviner, Decrypto, car les indices peuvent aussi être utilisés par l’équipe adverse. La particularité de Phantom Ink, c’est que le hasard de la pioche et des questions posées par les Médiums (qui ne connaissent pas la nature de l’objet qu’ils doivent deviner), aura une influence certaine sur le déroulement de la partie.
Ce hasard est tout de même tempéré : les Médiums proposent chaque fois deux questions à l’Esprit qui choisit laquelle garder. Ils ont toujours à disposition une main de sept cartes Question et, une fois par partie, ils peuvent la défausser entièrement pour piocher sept nouvelles cartes. D’autre part, le lien – fort, faible ou inexistant – entre la question et le mot, obligera parfois l’Esprit à des efforts conceptuels stimulants… dont le résultat pourra être plus ou moins compréhensible.
En plus de cet effort, l’Esprit devra aussi tenir compte du fait que les indices qu’il écrit sont publiques et qu’il ne doit donc pas donner des réponses trop évidentes pour l’équipe adverse. Cette nécessité est partagée avec les Médiums qui seront parfois tentés de dire Silencio avant d’être sûrs d’avoir bien compris l’indice. Ces mécanismes et ces interactions font de Phantom Ink, un jeu plus subtil et intéressant qu’un petit jeu d’ambiance moyen – n’oublions pas qu’une partie dure environ trente minutes !
Une autre caractéristique intéressante de ce jeu, c’est qu’il ne présuppose pas d’autres connaissances que celles des objets du quotidien. À la place d’exiger des joueurs des connaissances culturelles communes, Phantom Ink leur demandera plutôt de mettre en œuvre leur capacité à créer ou à repérer des associations entre concepts et champs sémantiques. L’envers de ces associations, c’est qu’il faudra parfois endurer des moments d’incompréhension qui résultent, la plupart du temps, de l’inadéquation entre une question et l’objet à deviner. Il arrive ainsi que les parties se terminent sans qu’il y ait de gagnant, ce qui pourrait être frustrant pour certains joueurs.
Derrière ce matériel joli et minimaliste et ce thème amusant, se cache donc un jeu original, accessible à des néophytes comme à des ados sans grande difficulté, que vous pourrez sortir pour passer un agréable moment de convivialité sémantique. Attention, toutefois, si Phantom Ink est un jeu court, accessible, avec ses moments de surprise, de déception et la tension d’un jeu d’ambiance, il n’en demeure pas moins un jeu studieux comparé aux autres titres de cette catégorie.
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elniamor 09/06/2023
Merci beaucoup pour la référence au travail universitaire de Mary Flanagan, c’est un sujet intéressant, à creuser !
El Duderiño 09/06/2023
Je suis d’accord avec toi. Le sujet de l’influence du colonialisme sur le développement des mécaniques dans les jeux de société contemporains et sur la représentations des colonisés par les thèmes et les illustrations est très intéressant. Cela fait partie des raisons pour lesquelles je m’intéresse aussi aux jeux d’histoire 🙂
Si tu lis l’anglais, son ouvrage est disponible en téléchargement libre sur le site du MIT : https://mitpress.mit.edu/9780262373722/playing-oppression/
Elle a également été interviewée, aux côtés de Cole Wehrle, Brian Train et Jason Perez, sur la chaîne Homo Ludens :
https://www.youtube.com/watch?v=PMN99INLarE
manu 12/06/2023
J’ai apprécié le principe du jeu, mais je regrette qu’il y ait autant de cartes Question trop restrictives (par exemple : qu’est ce qu’il se passe si ca tombe en bas d’une colline ?). Malgré les 2 cartes par manches et un changement de main par partie, ça m’a pourri mes 2 premières parties. Ne pas hésiter à les retirer de la pioche et ne garder que les plus intéressantes.
El Duderiño 14/06/2023
Très bonne suggestion ! D’un côté ces cartes sont amusantes et, suivant le cas, obligent certains joueurs à faire un effort de réflexion supplémentaire, de l’autre, elles tombent parfois complètement à côté. Les retirer peut être une bonne solution 😉