Pandemic Zone Rouge : Pandemic contaminé par le virus des jeux express ?

J’ai fait la découverte de Pandemic avec la toute première version, quand le jeu s’appelait Pandémie. C’était peu après avoir joué à Ghost Stories et je n’avais envie que d’une chose c’était de jouer à ce jeu. À l’époque je n’aurais jamais imaginé qu’il devienne l’un de ces titres les plus vendus et qu’il en sorte un par an rethématisé ensuite. Je ne parle même pas des versions dés, ou même – et surtout – des versions Legacy.

 

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Depuis quelque temps se perpétue une mode, celle des jeux « express ». Pour aguicher le grand public, le jeu doit être simple, facile à comprendre et à jouer. Ce qui explique (en partie) le succès d’un Splendor, une action à jouer parmi quatre, faciles à retenir. Du coup, on voit aussi éclore des jeux bien installés dans les rayons dans de nouvelles versions plus compactes. Les aventuriers du Rail en sont déjà au 3e volet (4 avec le bien nommé Express). C’est donc tout naturellement si j’ose dire que Pandemic fut infecté par ce virus.

Je vous avoue que je suis partagé sur ce type de propositions de jeux. Il y a du pour et du contre, du bon et du moins bon. Qu’en est-il pour Pandemic

 

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Vous avez votre carte Vitale ?

Kof Kof! je ne me sens pas bien, je ne sais pas ce que j’ai, mais je traîne un truc depuis quelques jours… Des sueurs froides, le cœur qui s’emballe… Ce Zone rouge a été annoncé en pleine pandémie Covid alors que les Etats-Unis font partie des pays les plus touchés par la maladie. Je pensais que ça allait provoquer une levée de boucliers et en fait… pas du tout. On dirait que ce sujet nous parle ! Un peu comme les films de zombies, on aime se faire peur. Pendant le confinement le film le plus téléchargé fut “Contagion”… Étonnant non ? Fin du hors sujet, revenons à nos virus.

Mais au fait, qu’est-ce qui fait la particularité de Pandemic ?
D’abord, on joue tous ensemble contre le jeu, en coopération. Il nous faut trouver les remèdes à quatre maladies dangereusement virales qui se propagent sur la map-monde. À notre tour, nous avons 4 points d’actions à dépenser : se déplacer, ou soigner (enlever un cube d’une ville), se transmettre des cartes si on est dans la même ville (attendez, vous vous êtes lavé les mains avant ?). 

Chaque joueur a un personnage avec un pouvoir important : la doctoresse qui a une action de plus, le répartiteur qui peut déplacer le pion d’un autre joueur, etc. Pour s’en sortir, on va devoir s’entendre et prendre les bonnes décisions ensemble, se coordonner. À la fin de son tour, on pioche des cartes d’Infection et alors la maladie se propage, nous obligeant à faire les “pompiers” pour éviter une fin prématurée et surtout nous écartant de notre objectif qui se résume finalement à collecter des cartes de la même couleur.

 

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Dans cette nouvelle version, tout est réduit. Plus que trois maladies. Trouver le remède nécessite une carte de moins et l’on ne peut pas construire de centres de recherche, on n’a pas le temps, tout est supervisé au CDC d’Atlanta. Qui dit version ramassée dit aussi moins de cartes dans la pioche donc il ne faut vraiment pas traîner !

Ils ont par ailleurs ajouté des cartes Crises qui permettent d’augmenter la difficulté, des sortes d’événements qui s’activent au moment où on les poche, ou qui restent activées jusqu’à la prochaine Crise. C’est la petite nouveauté de ce nouvel opus. 

 

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Pandemic, success stories depuis 2008

Matt Leacock a conçu Pandemic en 2008, beaucoup de jeux coopératifs ont depuis repris cette même mécanique de points d’actions. Et pour cause, elle demeure super efficace et se transpose bien à toutes les situations. Dans Dead Men Tell No Tales de Kane Klenko on doit trouver des trésors dans un bateau en feu, dans Black Orchestra on nous propose de mener un complot contre Hitler, sans oublier évidemment L’île Interdite ou le Désert Interdit qui sont des créations de Matt Leacock again mais dans un autre univers.

 

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D’ailleurs, si l’on regarde à la loupe la ludographie de cet auteur, on remarque qu’il est principalement impliqué dans toutes les itérations de Pandemic. Il s’est bien essayé au jeu d’ambiance, mais Knit Witt n’a pas trop marqué les esprits. À son crédit, Roll through the Ages un agréable jeu dés à cocher en bois (roll and write sorti la même année que Pandemic) et l’an dernier Era Medieval Age, une nouvelle itération plastique de ce Roll through the Ages.

À l’instar d’un Uwe Rosenberg, Matt Leacock fait partie de ces auteurs qui ne sortent pas trop de leur chemin, mais qui par contre peaufinent leur mécanique, la transforme, l’adapte, parfois aidés de plusieurs co-auteurs. Leacock va ajouter une mécanique de rail dans Pandemic Iberia, de submersion des terres dans Pandemic Montée des eaux, un peu de hasard avec les dés dans la Chute de Rome… et je ne parle pas des versions Legacy qui sont une sorte de pot-pourri merveilleux de toutes ces idées.

Ce nouveau Pandemic ne déroge pas à la règle, le jeu est toujours millimétré, ici Leacock a réussi à faire tenir son gameplay dans un jeu d’une durée de 20 minutes. Et pourtant on retrouve bien tout ce qui fait le sel du titre… ou presque, comme nous allons le voir. 

 

Infecté ou pas ?

Je le disais, une partie dure 20 minutes. Pour le moment la cause de défaite la plus fréquente reste la fin de la pioche, on peut toujours dépenser des cartes pour voler vers un lieu, mais on a vraiment très très peu de temps. Nous n’avons pas trop eu la sensation d’être débordés par les virus qui s’enchaînent en revanche. On réduit rapidement leur force au bon moment pour éviter l’éclosion. Par contre, on est plus que jamais dépendants de la pioche pour produire ces fichus remèdes. Surtout qu’il n’existe plus qu’un lieu pour les trouver : Atlanta.

Dans Pandemic on est soumis à l’aléa, mais comme la pioche contient près de 60 cartes il est donc plus ou moins lissé. Avec 24 cartes on le ressent beaucoup plus fortement, c’est statistique si j’ose dire. Nous avons 8 cartes de chaque couleur, il en faut 4 pour générer un remède et on ne peut plus garder que 6 cartes en main. Il arrive que l’on soit forcé de défausser une carte (car il est impossible de produire 2 remèdes à la fois) et qu’on le regrette amèrement ; il arrive même que la carte qui nous manque pour l’emporter soit dans les deux dernières. 

Nous avons joué une partie avec des joueurs qui découvraient la mécanique (après tout, c’est sans doute à eux que le jeu s’adresse) et ce fut sans appel, ils ont voulu soigner les villes et on n’a pas réussi à éviter la fin de la pioche. J’ai quand même l’impression que pour s’en sortir, il faut au contraire laisser des foyers d’infection quitte à risquer les éclosions et principalement se concentrer sur la collecte des cartes. Nous sommes sortis un peu tièdes de l’expérience. La tension est toujours présente, mais un peu décevant de voir que notre victoire tient à la chance (et la défaite de même).

Bilan, je suis un peu mitigé. Ce que j’apprécie dans Pandemic, c’est la montée en puissance et la prise de risque. La sensation que l’on gère, et tout à coup d’être débordé parce que l’on doit contenir plusieurs lieux dangereux à la fois et qu’il nous faut choisir. Ici, principalement, ce sont les cartes et la fin de partie inéluctable qui donnent le tempo, et le hasard semble beaucoup plus imparable.

 

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Avait-on besoin de cette version Express ?

Contrairement à d’autres ludistes, je ne rejette pas les versions Express. J’avoue que j’ai arpenté les deux Pandemic Legacy avec bonheur et s’ils font partie de mes meilleures expériences ludiques, je n’ai paradoxalement plus envie de jouer au Pandemic classique, celui-ci me semblant assez fade au regard de la richesse d’un Legacy. En réalité, il me semble que c’est le ratio temps de jeu qui joue en sa défaveur. Pour une heure de temps, j’en veux désormais plus. Du coup, je peux me laisser transporter dans une version compacte.

Cela dépendra aussi du contexte. C’est typiquement un jeu que l’on va emporter en vacances, surtout que la boite se cale dans un sac à dos, son petit plateau se pose sans soucis sur une table de camping ou une tablette de train. Idéal aussi pour jouer durant la pause de midi au travail, comme me disait un ami : “Un jeu qui dure 20 minutes on va y jouer plein de fois au travail, s’il dépasse cette durée on hésite à le sortir”.

En tant que passionné ou amateur, on a tendance à oublier que nous avons pour certains 10 ans (ou plus) de jeux de société derrière nous, et ce qui nous paraît simple ne l’est uniquement parce que l’on est monté en compétence si j’ose dire (le fameux skill dans les jeux vidéo). J’ai souvenir d’avoir proposé un Pandemic classique a une amie diplômée de Science Po qui gère la politique urbaine de sa ville (ce qui, vous en conviendrez, demande quelques compétences), mais à mon grand étonnement, elle s’est complètement noyée dans Pandemic. Depuis, le jeu fait partie de sa ludothèque, et il n’a plus de secrets pour elle. Une version allégée aurait sans doute évité ce premier naufrage. C’est parce qu’elle est curieuse et obstinée qu’elle n’en n’est pas restée là !

 

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La durée de jeu aussi est importante pour le grand public. On pourrait dédaigner cela en se disant que ledit grand public n’est pas capable de garder son attention plus de quelques minutes. Mais rester une heure devant un plateau n’est pas toujours engageant quand on découvre le genre. Après tout, quand on apprend à nager, on rentre doucement dans l’eau avant le grand plongeon. Vous jeter dans le grand bain et boire la tasse aura plus de chances de vous écœurer. 

Sans avoir eu de coup de cœur, ce Pandemic fait le job en mode rapide (« filler game »), il propose la même chose en plus condensé. Certes, l’aléatoire est plus fort, et le tout n’innove en rien, mais ce Zone rouge reste un bon moyen de faire découvrir le jeu de société. J’espère juste que l’on n’aura pas droit à de nouvelles versions Express en cascade pour exploiter le filon.
En attendant, si vous souhaitez vous faire votre propre idée, le plus simple reste de télécharger le fichier en print and play, un bon moyen de ne pas céder au virus de la consommation ! 😉

 

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2 Commentaires

  1. morlockbob 06/08/2020
    Répondre

    Bien aimé cette version express, loin de la lourdeur de l’original, loin de sa teneur aussi. Un jeu de vacances

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