Pampero – un jeu dans le vent
J‘apprécie quand un jeu renforce ma culture par son thème bien documenté. C’est le cas pour Pampero qui traite de l’économie énergétique de l’Uruguay. Ce pays possède peu de ressources naturelles, mais un puissant vent hivernal venu du Sud, le Pampero, balaie ses terres. Le gouvernement avait donc le choix entre développer le tourisme d’influenceurs via le plan « Planche à voile et Pina Colada » ou investir dans les éoliennes. Ayant trop peu de plans d’eau en pente, ils ont opté pour le choix numéro 2, devenant un des leaders de ce secteur dans le vent.
Ce jeu est passé par une campagne de financement participatif en Octobre 2022, animée par APE Games. Son auteur, Julian Pombo, est le coauteur de Mercado de Lisboa, un jeu qu’il avait développé avec son ami Vital Lacerda (grand nom du monde du jeu, connu pour ses jeux très exigeants). Plus léger que les productions habituelles de Sir Lacerda, Mercado de Lisboa n’a pas été une franche réussite. Avec Pampero, M Pombo monte en complexité et s’approche des productions de son ami ce qui fera d’ailleurs l’objet d’un paragraphe comparatif plus loin dans cet article.
Dans Pampero nous incarnons les entreprises en charge du développement du parc éolien Uruguayen. Bien sûr notre principal objectif est le bien être de la planète et la sauvegarde de l’humanité mais comme c’était difficile à quantifier dans un jeu, c’est finalement l’entreprise la plus riche en fin de partie qui va l’emporter. Pas de point de victoire, seul l’argent compte. Nous allons jouer des cartes pour effectuer des actions qui vont nous permettre de produire de l’énergie, et par ce biais de valider des contrats qui vont nous faire monter sur des pistes d’investissements, nous fournissant à chaque fin de tour de l’argent. Un jeu expert, pas aussi compliqué dans ces mécaniques qu’il n’en a l’air, mais assez calculatoire, d’autant que chaque pièce dépensée est potentiellement des points de victoire en moins.
Grand espace
Pour qu’une éolienne puisse exprimer son plein potentiel, il faut un vent de qualité et un grand espace dégagé. C’est pareil pour le jeu Pampero. Sur ma table de salon avec ma rallonge (table 6 personnes), le jeu déborde par endroit en optimisant au maximum son positionnement.
Chaque joueur à son plateau personnel sur lequel il va positionner ses cartes, avec un rappel des phases d’un tour. À côté il a son plateau entreprise avec son réseau de transformateurs, ses pylônes, ses pistes de revenus et son stock de matériel. Et bien sûr en point central, le plateau de jeu principal qui aurait pu être à mon avis un poil plus petit. À noter que ce dernier est recto verso avec une face 3/4 joueurs, et une face pour 2 joueurs.
La patte de l’illustrateur Ian O’Toole fait toujours merveille. C’est beau, et si de prime abord cela fait un brin chargé ; c’est que toutes les informations sont présentes sur les éléments de jeu, avec des pictogrammes vite assimilés. Cerise sur le gâteau, un petit dessin nous indique la position de l’Uruguay en Amérique du Sud et le plateau reproduit la forme de ce pays (même si je ne suis pas allé personnellement vérifier) découpé en 3 zones : la zone A au Nord moins exposé au Pampero, donc moins rentable énergétiquement et moins cher en terme de coût d’emplacement, la zone B plus exposé et donc plus chère, et enfin la zone C, plein sud, avec une exposition optimale qui induit des coûts prohibi….écoresponsables ^^.
Abattre ses cartes
Lors d’une manche de Pampero, les joueurs vont effectuer à tour de rôle une action. Soit jouer une carte de sa main, soit récupérer les cartes jouées de son plateau, soit récupérer une batterie. Quant 3 actions ont étés jouées par chaque joueur nous passons en « phase consolidation ».
Les cartes sont le cœur de la mécanique de Pampero. Ici point de draft, tout le monde commence avec toutes ses cartes en main, et le même deck de départ. Pendant la partie, il sera cependant possible de rajouter à sa main des cartes spéciales, soit d’action, soit de scoring. Jouer ses actions via des cartes permet d’avoir sous les yeux toutes les choix possibles sans devoir chercher sur le plateau ce qui est encore faisable ou pas. Le fait d’avoir toutes ses cartes en main permet de mieux planifier que dans un jeu de draft ou de deckbuilding où l’on doit composer avec ce que l’on reçoit.
Sur notre plateau personnel nous allons poser nos cartes sur des emplacements qui correspondent aux zones du plateau de jeu (A, B ou C) avec un coût associé. Plus je place de cartes sur mon plateau, moins c’est cher.
Et ce système est terriblement diabolique, car non seulement je vais devoir choisir judicieusement quelle carte jouer et où, mais en plus quand je récupère toutes mes cartes je vais intrinsèquement augmenter les coûts à venir.
Le travail de conception des cartes est une belle réussite éditoriale. Bien que chargé de prime abord, elles contiennent de façon très lisible toutes les informations nécessaires pour jouer l’action qui y figure avec un code couleur en prime.
Certaines actions nécessitent d’utiliser un bulldozer ou un pylône du plateau de jeu. Je vais pouvoir utiliser ceux d’un autre joueur. C’est alors à lui/elle que je verse mon précieux pognon. Une option qui rapidement devient une obligation car les spots se réduisent vite, nous incitant à aller voir du côté de nos concurr….aimables partenaires commerciaux. Cela entraîne une belle interaction : nous pestons de devoir payer Dudulle, Dudulle peste de devoir bouger son bulldozer qu’il comptait utiliser, mais personne n’est jamais coincé.
Dans le feu de l’action
Globalement trois actions modèlent le cœur du jeu :
- Construire des pylônes : indispensable pour développer notre réseau. Moins j’ai de pylônes, moins je peux monter sur mes pistes d’investissement et acquérir des contrats. C’est donc le nerf de la guerre.
- Construire des éoliennes : cela me permet de générer de l’énergie, ce qui est tout de même le cœur du jeu. C’est donc le nerf de la guerre.
- Valider des contrats : ils vont me permettre de monter mes pistes d’investissement en dépensant mon énergie et donc de gagner plus d’argent. C’est donc le nerf de la guerre.
Oui tout est le nerf de la guerre, et ça pour un jeu de pose d’ouvriers je trouve que c’est un point très positif.
Une fois un contrat réalisé, je place celui-ci sur mon plateau entreprise afin de créer un réseau de transformateurs connectés.
En débloquant mes pylônes j’accrois l’étendu de mon réseau de transformateurs et de mes postes d’investissements.
Ces contrats vont augmenter mes jetons revenus représentant l’argent perçu à la fin de chaque manche. Ils représentent les investissements réalisés en Uruguay. Les contrats d’exportation avec l’Argentine et le Brésil me donnent directement de l’argent en vendant des batteries à l’étranger contre des espèces sonnantes et trébuchantes (expression provenant du Moyen Âge où pour vérifier qu’une pièce était bien en argent on la faisait tomber sur une surface dure pour la faire « sonner », puis on la pesait sur un trébuchet, petit parenthèse culturelle qui n’a aucun rapport avec notre jeu).
Nous pouvons également faire un emprunt, car comme le dit l’adage Luxembourgeois : « Qui peut le plus peut l’emprunt ».
Évidemment, à côté de cela il existe d’autres cartes qui vont avoir des effets plus ou moins pertinents dans notre stratégie de jeu.
Vous constatez que le principe général du jeu n’est pas dur à comprendre. La question sera qu’est-ce que je fais, quand, et où ? Et c’est cela qui donnera la rejouabilité du jeu. D’autant que, quand je fais des pylônes je vais pouvoir récupérer des bonus et/ou des jetons m’offrant des pouvoirs permanents, un bonus en « One Shot » ou de l’argent en fin de partie. Et autant dire que tous ces bonus sont forts alléchants, le choix est donc cornélien.
Bien que le jeu demande un temps d’adaptation, une fois ces principes de base assimilés nous prenons beaucoup de plaisir à chercher le bon coup, le bon combo, tout en gardant un œil sur nos adversaires, car le tempo peut être crucial dans certains choix lucratifs. Une interaction vite présente (sans être pesante) que nous avons beaucoup appréciée.
Quand je n’ai plus d’atouts dans ma manche
À de rares moments, je vais choisir de récupérer les cartes de mon plateau dans ma main. Mais attention : en gros, plus j’ai de cartes posées, moins les actions vont me coûter, encore faut-il avoir en main la carte nécessaire pour faire l’action voulue. Un système que j’ai vraiment aimé car reprendre ses cartes en main n’est pas une action anodine, réalisée dans le bon tempo elle peut faire la différence.
Le système pour être premier joueur est un peu alambiqué mais rien de rédhibitoire.
Dans Pampero, le rôle de premier joueur n’est pas aussi impactant que dans la plupart des jeux de pose d’ouvriers, mais cela peut avoir son importance dans certaines situations pour réaliser un contrat avant un concurrent par exemple. Avec ce système, l’ordre du tour change constamment.
Autre choix d’actions, prendre une batterie. Je vois surtout dans cette action un choix pécuniaire. Si je suis à sec, cela me permet de faire une action « gratuite » pour ne pas passer par un emprunt, ces derniers étant rarement rentables.
Une fois nos 3 actions jouées, arrive la phase de consolidation. Nous allons pouvoir récupérer une des cartes les plus à droite de notre plateau. Ah ben oui c’était trop facile de choisir quoi jouer en fonction du lieu et de l’action, faut en plus anticiper la récupération d’une carte ^^. Puis vient le moment tant attendu des gains (afin évidemment de les redistribuer à la population, cela va s’en dire).
Nous allons récupérer des batteries en fonction de notre niveau d’énergie et du nombre de pylônes que nous avons construits. Et oui encore un choix cornélien : réaliser des contrats dépense l’énergie qui aurait pu nous fournir des batteries en phase de maintenance.
Ensuite les dollars coulent à flot en fonction de l’avancée de nos jetons revenus. Puis nous avançons nos jetons sur la piste du temps. Si les marqueurs temps ont tous atteint une étape de décompte, nous réalisons ce décompte qui fournira encore plus d’argent.
Il est l’or, Mon Seignor
Au début de la partie 6 tuiles objectifs ont été placées sur le plateau de jeu. Il y a une tapée de tuiles objectifs, ce qui assure une belle rejouabilité au jeu car elles influent fortement notre façon de jouer.
Lors du premier décompte nous allons résoudre le premier objectif où tout le monde va pouvoir gagner de l’argent qu’il pourra investir dès le prochain tour.
Lors du second décompte seul un joueur gagnera de l’argent selon un critère de majorité (par exemple 15$ pour celle ou celui qui a le plus de contrats à distance). Ces objectifs là intensifient l’interaction entre joueurs, avec une course pour coiffer au poteau ses adversaires. Ça peut me coûter très cher (trop cher ?) si je ne remporte pas cette majorité.
Le troisième décompte intervient dans la foulée du second, après une manche supplémentaire. Nous avons beau le savoir, cela surprend.
Lors de chaque décompte vous pourrez jouer vos cartes scoring piochées durant la partie. J’ai un point très positif et un point très négatif à leur égard. Le négatif c’est que si aucune carte ne me sied je peux piocher en aveugle la première du paquet. Et autant dire que pour les cartes de scoring cela peut être la fête ou la douche froide. Et pour un jeu clairement expert cela peut faire grincer des dents.
Par contre ce que j’ai aimé c’est qu’une carte acquise rapidement pourra être jouée lors de n’importe quel décompte. Seulement ces cartes ne peuvent être jouées qu’une seule fois par partie, après quoi elles sont défaussées. Si je la joue lors du décompte 1 j’aurai un peu d’argent exploitable tout de suite, mais si j’attends la fin de partie, elle me donnera plus d’oseille. Cruel dilemme !
Lors du décompte de fin de partie s’ajoutent également des tuiles pylônes C et le remboursement des emprunts. Autant dire qu’il n’est pas aisé de savoir qui l’emportera.
Préparez votre coupe-vent
J’ai trouvé très intéressant que notre argent soit nos points de victoire. C’est très thématique : je joue une entreprise et ce que je paye doit me rapporter plus. Attention toutefois a bien anticiper le dernier tour. En effet sans cela vous pouvez vous retrouver à ne rien faire car l’action va vous coûter plus cher que le gain.
Cela étonne voire déçoit lors de la première partie, mais une fois que nous le savons cela s’anticipe.
Toutefois le scoring de fin peut surprendre entre un dernier tour qui peut ne pas être très rentable, une course aux objectifs qui peut coûter cher si nous ne parvenons pas à atteindre la première place, et des cartes « scoring » qui peuvent nous rapporter globalement entre 0 à 14$.
Au final ce qui résume bien la situation de Pampero est cette réflexion de Pierre, un ami joueur, qui en fin de partie m’a dit « J’ai gagné mais je ne sais pas pourquoi. Cela me frustre ». Perso j’étais plus en mode « Je n’ai pas gagné et je ne sais pas pourquoi. Mais je m’en moque c’était sympa ^^ ». Dans un bon jeu thématique j’apprécie souvent plus le voyage que la destination finale, mais pour des joueurs plus soucieux du score la ligne d’arrivée va primer sur le parcours. Et Pampero vous plaira plus si vous faîtes partie de la première catégorie.
Une influence Vital ?
Je suis un grand fan des jeux de Vital Lacerda. Ses créations partent d’un thème sur lequel il va greffer son gameplay. Cela donne généralement des jeux aux règles complexes mais aux mécanismes parfaitement équilibrés, avec une grande immersion une fois la phase d’appropriation des règles franchie. Et vous l’aurez compris en lisant ses règles, Pampero coche les mêmes cases. Le lien de filiation est d’ailleurs clairement affiché puisque dans les remerciements du livret de règles nous pouvons lire « Un merci spécial à Vital Lacerda pour son amitié et tout le temps partagé qui m’a apporté tant de plaisir et de connaissances ».
Déjà niveau design non seulement nous retrouvons Ian O’TOOLE, l’illustrateur iconographe habituel de M Lacerda, mais en plus l’édition d’APE Games s’inspire clairement de celles d’Eagle Gryphon Games avec ses meeples bois, boîtes de rangement en plastique blanc. Autant dire que c’est tant mieux car tout y est d’excellente qualité.
Il propose également un livret d’aide de jeu mais ce dernier manque de clarté par moment, là où ceux d’Eagle Gryphon Games reprennent les points essentiels de façon synthétique. Il a toutefois le mérite d’expliquer chaque carte et tuile du jeu, ce qui évite de devoir se passer sans cesse le livret de règles ou de solliciter à maintes reprises l’hôte de la partie.
Pour ma part je préfère On Mars, Inventions Evolution of Ideas ou Vinhos à Pampero. Ils poussent l’immersion thématique encore plus loin et surtout propose un équilibrage encore plus fin. Attention Pampero ne souffre pas de « déséquilibre », mais certaines tuiles ou bonus sont plus « bankables » que d’autres et auront notre priorité, là où chaque choix est difficile dans un Lacerda. Et surtout les scorings y sont plus cohérents. Quand on joue à un jeu de V.Lacerda, on sait pourquoi on s’est fait massacrer, l’égo peut même en prendre un coup pour les plus compétitifs d’entre nous, car le hasard ne peut pas expliquer notre défaite.
Mais Pampero est également plus accessible. En se basant sur le score de complexité de BGG, un bon indice qui pondère la subjectivité de l’auteur de ces lignes ^^, Pampero affiche 3.77, Vinhos 4,01, On Mars 4,67 et Inventions Evolution of Ideas 4,68 (à titre de comparaison Barrage est à 4,11). Il saura donc séduire celles et ceux qui veulent un jeu complet, thématique, bien designé et plus abordable que les jeux précédemment cités.
Il y a toutefois un domaine de niche où Pampero marque beaucoup de points sur ses cousins lacerdiesques, c’est le nombre de joueurs. Le plateau de jeu est recto-verso avec un plateau spécifique pour 2 joueurs. J’ai eu l’occasion d’essayer cette configuration avec un ami (merci Max ^^), et cela tourne très bien. Les places sont fortement réduites, les contrats moins nombreux. J’y ai retrouvé la même intensité, les mêmes choix cornéliens qu’à 3 ou 4 joueurs. Or des jeux de ce calibre jouables à 2 sont rares (plus qu’à convaincre ma femme :)). Pampero se joue aussi bien à 2, qu’à 3 ou 4 joueurs.
Dès que le vent soufflera, je repartira
Faut-il acheter Pampero ?
Tout d’abord si vous êtes fan de Lacerda et que la complexité des règles ne vous fait pas peur, les œuvres de ce dernier sont plus abouties. Si toutefois vous cherchez des mécaniques plus accessibles, Pampero propose un bon compromis entre temps de jeu, thème abouti et choix stratégique, avec en prime une édition de qualité et peu d’aléatoire (mis à part les cartes scoring).
Si vous cherchez la compétition et que pour vous le plus important c’est le score en fin de partie, vous risquez d’être frustré par votre périple Uruguayen. Si par contre pour vous le déroulé de la partie est plus important que de savoir qui a gagné, Pampero propose des parties agréables, avec de nombreux choix à faire. La possibilité d’exploiter les bulldozers et pylônes adverses amène des interactions présentes mais non bloquantes que j’ai tout particulièrement apprécié.
Détail pas si anodin, faîtes attention à la taille de votre table. Il serait dommage d’acheter le jeu et de ne pas pouvoir y jouer faute de place.
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