Paléo, jouer la carte de l’aventure
Ce gros mammouth sur fond clair attire l’œil, non ?
Les boîtes sur fond blanc ont souvent ce petit plus de swag. Elles promettent quelque chose d’original, de marqué, de stylé. Time stories, Fog of love, Concept, Tokaido… Le fond blanc, c’est une promesse. Et Paleo en formule une belle : celle de nous faire vivre l’aventure du quotidien de l’Humanité avant l’âge de la sédentarisation. Vous savez, cette période de l’histoire où l’on n’avait pas besoin de faire 35 minutes de yoga par jour pour éviter les sciatiques. On avalait chaque matin des kilomètres pour trouver de quoi se remplir l’estomac. C’était dans des activités de chasse et de cueillette que nous pouvions nous épanouir professionnellement au jour le jour. De belles carrières, de pierres essentiellement, attendaient chaque membre de la tribu.
À cette époque, l’homme préhistorique chassait pour se nourrir, et de l’animal on récupérait la viande, la graisse, la peau et les os mais aussi les ligaments et les nerfs pour faire des liens. Et oui, l’homme préhistorique s’y connaissait en anatomie. Et la femme aussi d’ailleurs…! Les dernières études montrent qu’elles participaient à la chasse, et même à celle du gros gibier. Elles utilisaient des armes en pierre taillée notamment, telles que le javelot. Quand une blessure survenait, certaines plantes pouvaient s’avérer bien utiles pour nos ancêtres… On mangeait chaque jour beaucoup de plantes et de fruits d’ailleurs ! Et malgré les apparences, là aussi, c’était un peu une question de vie ou de mort (oh qu’il est joli ce champignon rouge à petits pois blancs !). Bref, la vie n’était pas de tout repos mes aïeux. Il fallait du courage, un peu de chance et une bonne dose d’entraide pour s’en sortir. Tout cela, Peter Rustemeyer, archéologue dans le civil, le sait bien. Et quand il décide de créer un jeu sur cette période du Paléolithique, il choisit naturellement d’en faire un coopératif.
Dans Paleo, l’intention est donc bien celle de nous faire revivre par procuration les journées éreintantes et exigeantes de l’Âge de Pierre. Mais notre but s’élève un peu plus haut que la bestiale survie. En tant qu’êtres humains, nous avons des rêves… et une véritable fibre artistique. Nous gagnerons donc la partie si nous parvenons à achever cette fresque de mammouth que nous projetons de dessiner sur les parois rupestres. Pour l’éternité.
Très concrètement, il s’agit de réunir des conditions nous octroyant 5 tuiles “fresques” avant d’obtenir 5 tuiles « crânes », synonymes de mort pour la tribu. Pour ce faire, les joueurs devront rassembler des ressources, déjouer les dangers du quotidien, agrandir leur tribu, avoir des idées, partir explorer de nouvelles zones, braver la météo, et dormir un peu. Ça donne envie, non ?
Coopération dans la survie
La vie, c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Dans votre deck, c’est la même chose. À votre tour, vous tirez trois cartes et regardez uniquement leurs dos pour en choisir une. Tout le principe de Paléo est de mesurer les risques pour chaque action, car on ne sait jamais de quoi les cartes seront faites, surtout le premier jour où l’on découvre une bonne part du deck (après la première nuit, on récupère les cartes, on les mélange et on les redistribue, ce qui permet de gérer encore mieux la prise de risque par la suite).
L’illustration du dos de carte vous donne une petite idée de ce que vous pourriez trouver. Dans la forêt, il y a surtout du bois (nooon ?) et de la nourriture ; en montagne, on peut dénicher des pierres et des peaux ; à la rivière des nourritures et des peaux… Attention, toutes ces ressources ne vous tombent pas toutes cuites dans le bec. Vous retournez la carte et prenez connaissance de la situation, des pré-requis. Serez-vous capable de faire face seul ? Et avec de l’aide ?
Toute la coopération se condense là. Vous allez ensemble mesurer quelle carte est la plus raisonnable à retourner, et vous éviterez de partir tous simultanément dans des chemins séparés et dangereux. Si tu vas à la rivière, j’y vais aussi, comme ça je pourrais t’aider, au cas où, voilà le genre de phrases que l’on entend dans la partie. C’est cette force coopérative que Paleo sait généreusement offrir. Sur bon nombre de cartes, on trouve toujours l’action “aider”, ce qui permet de venir mettre en commun nos compétences avec celles d’un copain et ainsi, surmonter plus facilement un certain nombre de situations.
En effet, chaque joueur sera doté d’un groupe de personnages (à maintenir en vie, c’est mieux) qui détient des compétences. Ensemble, on est plus forts. Si l’un des nôtres tombe, c’est tout le monde qui perd un peu. Donc on fait attention aux risques que l’on prend, et que l’on fait prendre. Cet aspect est sans doute pour moi l’une des plus belles réussites du jeu.
Certaines actions nécessitent de défausser des cartes de son paquet (face cachée ou face visible, c’est selon) pour être effectuées. Autrement dit, on payera en réduisant notre deck, donc aussi nos options pour le reste de la journée. L’avantage avec cette mécanique, c’est que les journées ne se ressemblent pas d’un tour sur l’autre, et qu’il faudra plusieurs manches pour découvrir tout le deck du module dans sa globalité.
On devra parfois même sortir définitivement certaines cartes de la partie : il s’agit assez souvent d’obstacles plus difficiles qui nécessiteront de la préparation. En général, la récompense vaut la peine.
On résout une action en rassemblant les conditions imposées : un certain nombre de compétences détenues par nos personnages, des cartes à défausser… Et des éléments à fabriquer nous-mêmes pourront bien nous aider, comme une tente pour se protéger du froid, une arme pour chasser, etc. Les cartes Idées, toujours positives, nous permettent d’ajouter ainsi de nouvelles alternatives à la tribu, rendant ses options plus efficaces. On place nos Idées dans le grand râtelier de la création :
T’es en veine Pierre ?
Paléo veut clairement jouer la carte de l’aventure. Pour faire face aux dangers, on va agrandir son groupe, sa tribu, développer de nouvelles capacités, construire de nouveaux outils, bref s’adapter en fonction de ce que l’on sait qui risque de nous tomber sur le coin de la binette. On va se répartir les forces, et optimiser nos chances. Malheureusement cette chance est ponctuellement ruinée arbitrairement par un lancé de dés qui peut être punitif. Qu’il y ait une part de hasard sur de la prise de risque, ça commence à faire un peu beaucoup, surtout de la façon dont c’est proposé ici. On aurait pu avoir un dé à lancer pour ajouter du suspens et ça restait dans l’ordre du gérable. Mais double-dés avec double-symboles : autant dire que de potentiellement faisable on passe parfois d’un coup à mission impossible.
Bon, pourquoi pas : on n’en meurt pas (du moins, rarement). Mais en jeu, c’est assez rageant car concrètement cela signifie surtout rajouter du temps de partie sur un bête mauvais tirage de dés. Frustrant inutilement, d’autant que la gestion des risques est assez finement menée en amont. Ainsi le couperet du hasard peut sonner comme une sanction, surtout qu’il tombe souvent sur les cartes qui mènent aux tant recherchées tuiles fresques et que la différence entre ce qu’il y a à gagner et à perdre est énorme. D’autant plus rageant que l’on doit attribuer les personnages et les éventuels soutiens avant le résultat de dés. Bref, après deux parties, nous avons improvisé sur le tas une règle autorisant la relance de dés moyennant un jeton “peau”. Je sais pas vous, mais moi je suis toujours un peu grognon quand je dois régler un sentiment d’injustice avec une règle tirée du chapeau.
Home sweet home
Ce qui est sûr dans la vie Cro-magnon, c’est que rester au foyer est toujours un choix réconfortant qui ne vous mettra pas en danger et vous permettra au besoin de voler au secours d’un copain en mauvaise posture. Pour le reste, c’est toujours un peu l’inconnu et c’est bien ça que l’on apprécie globalement, ces péripéties avec leurs potentielles complications. Les cartes rouges, “danger”, nous avertissent clairement : préparez-vous, l’issue devrait être douloureuse ! Mais en réalité, ça n’est pas toujours le cas (disons que ça peut se terminer beaucoup mieux que d’aller se promener seul en forêt et de tomber nez à nez avec une meute de loups affamés). Cela peut même être positif. On aime ce genre de surprises qui récompensent la prise de risque.
On va donc discuter ensemble chacun de la carte que l’on choisit de retourner, simultanément. Puis, quand vous avez terminé les cartes de votre paquet, vous allez au dodo. Là, il faut d’abord nourrir tous vos personnages. Vous saisissez le traditionnel dilemme : avoir un grand groupe de personnages procure plus d’options, mais coûtera plus cher à l’entretien. Une nourriture par tête… Ou c’est un jeton crâne pour chaque perso qui va se coucher le ventre vide. Grouik ! Souvenez-vous, 5 Crânes et this is the end.
Le jeu soumet pour chaque partie d’autres objectifs supplémentaires qui ajouteront un peu plus de pression : la mission “proie adipeuse” par exemple vous demande à chaque phase Nuit de défausser trois nourritures et une peau supplémentaires, sans quoi, paf, un Crâne.
On en vient à l’un des arguments forts du titre : la variété de ses cartes. Des Missions certes, mais aussi et surtout des decks. L’auteur a prévu de nombreuses cartes pouvant être mélangées suivant des règles de modules qui génèrent diverses aventures assez typées, avec des niveaux de difficulté annoncée.
Bon, il est vrai que cela est un peu confusant au début, toutes ces cartes avec des dos différents (222 cartes dans le jeu tout de même) qu’il faut trier puis mélanger. Mais une fois qu’on a saisi le principe, c’est moins complexe que ça en a l’air. Des variations proposées vous permettent aussi d’ajuster encore plus finement la difficulté des modules. Une belle granularité qui permet d’éviter la routine.
Avec tout ça on se dit que quelque soit la configuration, on devrait y trouver son compte. En réalité, plus ou moins. Le jeu brille surtout dans sa configuration deux joueurs, où les choix ne prennent pas trop de temps et où la dynamique de l’ensemble se maintient bien jusqu’au bout. Car malgré le souffle d’aventure qui imprègne nos actions, Paléo ronronne un peu : on pioche trois cartes, on en choisit une, encore et encore. Si en plus chaque décision traîne trop, la partie peut prendre du plomb dans l’aile. Pour que Paléo garde son rythme et tout notre intérêt, il faudra que ça joue vite autour de la table. Soit vous n’êtes pas trop nombreux, soit vous maîtrisez les arcanes du jeu. D’ailleurs, la règle nous annonce que si vous êtes quatre joueurs sur votre première partie il vous faudra jouer en binôme (argh ! pas très satisfaisant comme solution). Etre nombreux est potentiellement un sérieux ralentisseur lors des prises de décision. Sauf si vous avez un joueur alpha avec vous (haha youpie).
Quoi qu’il en soit, les 10 modules du jeu offrent une belle diversité de situations et de parties qui donnera bien envie d’y retourner. On nous propose un ordre de modules à suivre, mais rien n’est vraiment obligatoire puisqu’il ne s’agit pas d’une campagne. Une liberté qui ne nous enferme pas avec un groupe de joueurs. En ces temps où les jeux à campagne se multiplient plus vite qu’une calculatrice, c’est bon à prendre !
Un mot sur l’édition (Hans in Gluck/Z-man Games)
La direction artistique est un vrai plus soutenue par une édition soignée. Le râtelier en 3D est un prétexte pour augmenter inutilement la taille de la boîte (et donc son tarif) ou un élément qui donnera de la présence sur la table, choisissez votre camp. Les illustrations de Dominik Mayer (que l’on a pu voir chez Wizards of the coast, Awaken Realms, ou encore Paizo, bref qui n’est pas franchement un perdreau de l’année) font véritablement mouche, donnant une ambiance chaleureuse à l’ensemble avec ses couleurs ocres. Le design presque low-poly a du caractère sans jamais en faire trop, ce qui aurait tranché avec le sujet. On aime particulièrement les découpes irrégulières des tuiles et des plateaux, ainsi que les dés en bois qui donnent bien le ton. Le soin du détail pour une vraie sortie nature !
Retour de classe verte
Entre un Vendredi et un Robinson Crusoe, Paléo nous fait goûter cette aventure du man versus wild tant recherchée de nos jours. Il recèle de petites idées ingénieuses qui nous donnent envie de s’y attacher et d’y revenir. Sa dynamique de choix simple et rafraîchissante (quand elle reste fluide) où l’on gère ensemble la prise de risque dans une coopération originale (mais qui ne prévient pas l’éventuel effet leader), ses decks variables, asymétriques et évolutifs, son design moderne et évocateur… Il n’est pas à court d’arguments. Mais le jeu a aussi ses limitations qui pour ma part l’empêchent d’être le coup de cœur que j’aurais aimé avoir (moi qui suis si amoureuse de Robinson Crusoe – pourtant imparfait lui aussi). Un livret de règles pas très facile à utiliser, d’autant qu’il y a de fréquents aller-retours sur des cartes particulières, une énergie qui baisse avec le nombre de participants, et ce hasard gratuit des dés qui en font trop en nous allongeant la tâche inutilement. Il n’en reste pas moins une jolie surprise et une proposition ludique intéressante, entre jeu d’aventures, craft et survie, avec un caractère « Euro-(un-peu-trop)-Trash » original. Maintenant reste à voir sur le long terme s’il parvient à être aussi varié qu’il le promet !
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atom 07/01/2021
Un jeu qui nous a plutôt surpris, sa mécanique est simple, mais les choix sont toujours intéressants, malgré ce hasard dans les cartes, on s’adapte à ce hasard. Au début on souffre, mais en rejouant on maîtrise mieux le jeu en s’armant plus rapidement, en s’équipant. Son système de campagne est intéressant. Une bonne surprise qui m’a un peu déçu à 3 joueurs, mais qui m’a convaincu à deux joueurs.
morlockbob 08/01/2021
A part un ratelier pratique, des règles pas toujours claire pour les modules autres que ceux de base, voilà une bonne surprise qui a su se frayer un chemin au milieu des sempiternels Catan/ Aventuriers/7 W et Unlock pour cette fin d’année.
Groule 28/01/2021
Enorme coup de cœur pour ce Paléo. Il y a en effet l’essence d’un Robinson Crusoe, réduit à sa simplicité. Ici on ne joue qu’avec les dilemmes et il y a peu de maintenances. C’est fluiiiide, prenant et pas facile.
Les dés ne m’ont pas tant dérangé, mais en effet ce n’est pas le meilleur dans ce jeu en termes de game design. Idem, pas mal de retour au règles, même après quelques parties. A part cela, un goût de reviens-y permanent pour ma part. Je ne le lâcherai pas jusqu’à l’avoir poncé, ou plutôt « poli », comme la pierre (…l’outil, la pierre taillée… Enfin polie quoi……Ok)