Nucleum : Brassage ludique
Brass et Barrage ont fait un bébé ! Voilà comment un Youtubeur américain (The Game Boy Geek) avait présenté Nucleum, quand j’ai découvert son existence. Autant dire que ça place la barre très (très) haut sur la progéniture de David Turczi et Simone Luciani – ses deux papas. Comme souvent quand il s’agit d’un jeu à deux auteurs, on se demande qui est l’initiateur, mais ici j’ai ma petite idée 🙂
Nucleum est édité par Board and Dice (et distribué en France par Intrafin). Ces dernières années, il n’y avait rien de folichon à se mettre sous la dent chez Board and Dice à mon sens, pire encore, on aurait dit que les jeux étaient faits à la va-vite avec des soucis d’équilibrage évidents. Cette année avec Barcelona (notre article) et ce Nucleum, il semblerait qu’ils aient entendu les critiques et bien corrigé le tir. Une super nouvelle 🙂
Comme dans Barrage, nous voilà dans une uchronie, cette fois en Allemagne Saxe du XIXe siècle. Elsa Von Frühlingfeld a découvert ni plus ni moins l’uranium et son utilisation afin de produire de l’énergie. Nous allons ériger des bâtiments et les alimenter en énergie – et pour cela il faudra construire des rails pour acheminer notre Uranium jusqu’aux centrales.
La cover (les illustrations sont signées Andreas Resch, Piotr Sokołowski & Zbigniew Umgelter) nous projette dans un univers Steampunk étrange avec ce bâtiment qui fait un peu victorien, mais ressemble à tout sauf une centrale nucléaire. C’est d’ailleurs la seule incursion dans le thème, car finalement on ne sait pas ce que l’on est, ou ce que l’on fait, si ce n’est que l’on va produire un max d’énergie pour gagner le plus de points de victoire – ce qui n’est pas spécialement dérangeant pour un Euro.
Tuiles Building
En début de partie, nous avons un plateau central qui représente la Saxe, ainsi que cinq centrales, dont une qui fonctionne uniquement au charbon et une seule qui est pour le moment pourvu en Nucleum. Nous avons aussi quelques villes neutres qui ne demandent qu’à être alimentées. Nous démarrons avec notre plateau, comprenant nos bâtiments, turbines et mines que l’on va construire sur le territoire, ainsi que quelques tuiles Action et un peu d’argent et bien sûr, des Meeples.
À notre tour, il s’agira de réaliser une action parmi trois : on va jouer une tuile au-dessus de notre plateau et réaliser les actions présentes sur celle-ci. On a des tuiles de départ, mais on pourra en acheter de nouvelles, pour construire notre moteur de jeu. En plus de cette action, on peut aussi réaliser des contrats qui offrent point et bonus – on va y revenir tant c’est central.
On peut aussi jouer une tuile en tant que rail, celle-ci sera cette fois déposée sur le plateau central. Si les couleurs des extrémités correspondent aux régions connectées, on pourra réaliser l’action de la tuile. Un chouette dilemme, car une tuile jouée comme ceci devient un rail et elle ne pourra plus être récupérée. Il faudra donc bien choisir ce que l’on va sacrifier et le moment. Un joueur qui vient ensuite connecter son rail au nôtre gagnera aussi des actions – une incitation à construire et finir les rails qui vont ensuite servir à acheminer uranium et énergie.
Dernière action et non des moindres, on peut recharger, c’est-à-dire récupérer toutes nos tuiles, et gagner de l’argent, des Meeples, et des points de victoire en fonction de l’avancée de nos pistes idoines. En sus, il faudra avoir produit de l’énergie (représentée par des jetons Réalisation) pour pouvoir poser notre étoile sur un jalon de production et on ne peut placer qu’une étoile sur chaque jalon. On est donc condamné à faire mieux à chaque fois 🙂 Cela nous évoque fortement Barrage, mais aussi Great Western Trail où l’on ne peut pas livrer plusieurs fois la même ville, sauf celle à 0 qui nous sanctionne de points en moins – il en va de même dans Nucleum.
Brassage ludique
David Turczi est un grand fan de Brass. Nous sommes en mai 2020, sans doute qu’il s’ennuie pendant le confinement et après quelques tests et discussions à distance avec Martin Wallace il réalise Isle of Wight: a Brass Duel Game. Une version pour deux joueurs qui est disponible en print and play et sur TTS, mais qui ne connaîtra pas d’édition.
On ne m’enlèvera pas de l’esprit que cet Isle of Wright a fait germer les ferments de Nucleum. On sent bien qu’il a pioché son inspiration dans le chef d’œuvre de Martin Wallace (je parle de Lancashire, pas Birmingham qui reste toutefois sympathique ;p).
D’abord pour construire quelques bâtiments, mines ou turbines, il faudra qu’ils soient dans notre réseau, oui comme Brass il faut constituer un (ici plusieurs) réseau(x). De plus, nos tuiles bâtiments une fois placées ne nous rapportent rien. C’est quand ils sont alimentés en énergie et retournés que l’on gagne leur bonus, ainsi que des jetons réalisations, précieux pour avancer sur les jalons.
Pour alimenter un bâtiment, il faut qu’il y ait une route qui relie la centrale, le bâtiment et la mine d’uranium (et que l’on ait joué l’action Alimenter). On retrouve même l’utilisation du charbon qu’il faudra payer de plus en plus cher au fur et à mesure de la partie, même si ici son prix ne varie pas à la baisse contrairement à Brass.
Si les bâtiments sont numérotés, on peut les construire dans l’ordre souhaité, et il en résulte une sensation grisante de liberté ; il en est de même pour turbines & mines. Chaque turbine une fois posée libère un avantage – un peu comme dans Barrage il arrive aussi qu’on les pose surtout pour cela.
Maintenant la comparaison s’arrête là : Brass et son écosystème peut être très punitif, Nucleum est plus dans une interaction semi-positive. On n’utilise jamais les productions de l’adversaire, on ne lui “vole” rien, on ne fait que se servir des rails posés en commun et parfois on partage un bout de rail avec un autre joueur.
Attention toutefois, l’interaction reste forte, on peut pester contre un rail placé par un de ses adversaires, ou sur la concurrence sur les bâtiments, quand on se retrouve à devoir payer 2 sous supplémentaires parce que la case que l’on convoitait est prise. Notons aussi la fin du jeu qui est provoquée par les joueurs, il existe plusieurs déclencheurs (dépasser les 70 points, finir la piste de tuiles contrats, etc) et quand on en déclenche deux (trois à 2 joueurs) cela annonce la fin de partie. C’est évidemment un élément qu’il faut surveiller.
Poser des étoiles sur les jalons à deux fonctions : d’abord en fin de partie, on gagnera des points de victoire selon un multiplicateur et selon la tuile jalon du segment (photo et exemple ci-dessous).
Cela offre aussi une belle interaction, car au moment du “Jour du roi” le joueur qui est le plus élevé sur la piste jalon gagne 6 points, le suivant 2, les autres rien du tout (tiens comme Barrage avec sa piste d’énergie ^^).
L’énergie est notre avenir
Si au début, il n’y a qu’une seule centrale parmi les quatre qui est pourvue en Nucleum, en avançant dans la partie, les joueurs vont pouvoir approvisionner les autres en fameux minerai. Cela va nous offrir plus de capacités de production, car chose que je ne vous ai pas dite, mais chaque centrale ne peut traiter qu’un seul cube d’uranium (qui produit deux d’énergie) et pour en utiliser plus il faut soit passer par des turbines, les siennes ou celle des autres joueurs, soit par d’autres centrales.
Là encore, il peut y avoir une course qui se joue, car c’est le joueur qui atteint le seuil où est présent le nucléum qui va décider de la centrale qu’il va ravitailler. Évidemment il va choisir celle qui l’arrange le plus. Encore un petit truc malin, si le premier gagne le nucleum, il risque de perdre la course à la production, pendant le jour du roi, car les autres pourront essayer de produire plus pour placer leur étoile plus haut.
Quand on construit une mine d’uranium on y place un ou des petits cubes verts, mais là aussi attention à la pénurie ; toutefois il existe plusieurs moyens de réalimenter, comme certaines tuiles actions, en prenant des contrats ou bien des tuiles technologies. La gestion de cette ressource radioactive est très importante… mais tout est important, l’argent pour construire des bâtiments, les Meeples pour les turbines & mines.
Moteur nucléaire
S’il possède beaucoup de similitudes avec les deux chefs-d’œuvre (ces propos n’engagent que moi ^^) il a aussi ses qualités propres et se distingue par ses particularités. Revenons sur les contrats, mais aussi les bâtiments, en réalisant l’un, ou en alimentant l’autre, on gagne des bonus qui peuvent être des avancées sur des pistes de revenus, en points de victoire, argent et Meeples – une ressource ultra nécessaire pour construire des turbines, des mines d’uranium, mais aussi pour construire des rails, ainsi que des tuiles technologies. Il faut donc garder à l’esprit nos besoins et y pallier.
On peut s’en prémunir aussi avec les bonnes tuiles Innovations que l’on aura achetées sur le marché. Nucleum reste très ouvert et on peut se lancer dans différentes stratégies. Les contrats nous donnent des bonus à la réalisation, mais aussi à la prise. Une fois un contrat choisi on le place à la gauche de notre plateau, pour gagner un cube uranium, un Meeple, deux sous, etc. Et c’est très gratifiant disons-le. Parfois on cherchera un contrat pour avoir le Meeple ou l’uranium qui nous manque. En se creusant les méninges on trouve une solution, pas forcément optimale, mais elle existe.
Autre bonus que l’on peut obtenir et qui est un pan important du jeu : les tuiles Technologies. En plus de notre plateau, nous avons aussi un rack comprenant des tuiles numérotées de 1 à 8. Certaines actions nous permettront de brancher ces tuiles, ce qui aura pour effet de donner un bonus immédiat ou bien un bonus qui va courir toute la partie.
C’est un axe très important tant ces tuiles sont puissantes. Elles sont graduées en puissance, les premières sont faciles à débloquer, via le contrat de départ. En ce qui concerne les niveaux 2 et 3, c’est une autre paire de manches… Encore que, c’est quelque chose que l’on peut planifier. Ainsi, dans une de mes parties, une joueuse a débloqué rapidement une tuile lui donnant un bonus conséquent, mais ce fut coûteux, et c’est un choix qu’elle a fait. C’est en tout cas une orientation que le jeu nous donne. La toute dernière tuile Techno nous offre des points selon une condition et cela peut aussi donner une direction à notre jeu.
Nucleum est asymétrique. On démarre avec notre set de tuiles, et notre rack technologies. À ce sujet, on a apprécié l’iconographie qui est rapidement intégrée, surtout avec l’aide de jeux au format carte Dixit qui détaille chaque action et chaque technologie, très pratique. On apprécie un peu moins ce rack que l’on punche et dépunche à chaque fois, on peut légitimement se poser la question de sa durabilité.
Nucleum détient une forte composante d’analyse de setup : on stratégise en fonction de notre set de technologies, des tuiles Bâtiments neutres, mais aussi des tuiles Jalon qui peuvent donner beaucoup de points si l’on respecte la bonne condition et que l’on a un gros multiplicateur.
Le mix énergétique
Si l’on a beaucoup parlé de Brass ou de Barrage, ne vous y trompez pas : Nucleum est beaucoup plus ouvert que Brass ou Barrage où de mauvais choix et un mauvais placement rendent votre partie très compliquée. Dans Nucleum on peut toujours partir ailleurs en posant un rail quelque part. Dans ces deux titres, le placement est bien plus primordial. Placement qui peut faire souffrir un joueur, surtout dans Barrage où l’on peut littéralement vous piquer l’eau qui est la ressource essentielle du jeu. Dans Nucleum on pestera, mais on visera un plan B.
On “perd” aussi le côté réseau que l’on va chercher dans un Brass, certes oui on construit en commun un chemin de rail, mais on utilisera que sa production personnelle, et non celle des autres, la nuance est ténue, mais on est plus dans un jeu de connexion.
Soulignons un léger manque d’épure aussi dans les règles – si bien que l’on s’est trompé sur quelques points. Par exemple, on ne peut pas réaliser de contrats quand on pose une tuile sous forme de rail, j’ai beau me dire qu’il y a une raison, probablement d’équilibrage, je ne vois pas en quoi ça ferait sens (en fait c’est lié à l’obtention d’une tuile technologie d’un plateau). De même, autre point qui nous avait échappé sur notre première séance, les derniers bâtiments scorent selon un principe de réseau, c’est le seul moment où l’on a affaire à cette mécanique de réseau, ça donne l’impression qu’il fallait ajouter un axe supplémentaire. Idem pour la zone de Prague qui score plus que les autres villes. C’est dommage, car ces exceptions ont tendance à alourdir le jeu un peu inutilement.
Attention, tout cela pourrait apparaître comme un blâme, mais Nucleum a vraiment des arguments à faire valoir ! Il est très satisfaisant avec la construction de son moteur et de son plateau, et les contrats qui nous procurent à la fois des respirations, mais aussi des explosions quand on parvient à bien combiner. N’oublions pas non plus les technologies que l’on va débloquer qui là encore nous offrent des avantages à utiliser à bon escient.
Il se distingue aussi par une grande ouverture avec les bâtiments que l’on peut construire. Ses dilemmes restent intéressants, à commencer par ses tuiles Action que l’on peut (et va) sacrifier pendant la partie pour construire son réseau.
Nucleum est surtout un bon mix énergétique, oui le brassage ludique est bon, on y retrouve pêle-mêle en plus des deux jeux suscités, du Concordia aussi, ou du Great Western Trail, avec quelques saveurs Pfisteriennes. Bref, on ne va pas tourner autour du pot, ce Nucleum est une bonne surprise qui demande à être pratiqué pour maîtriser ses arcanes et son tempo. Assurément une belle réussite de 2023.
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Ihmotep 14/12/2023
Une seule partie à mon actif (à 4) très plaisante. Je n’aime pas Brass (je n’adhère pas à son système de transport qui m’embrouille), Barrage je reconnais la grandeur de son gameplay mais mon cerveau bug sur le déplacement de l’eau (qui est au cœur du gameplay). Autant dire que Nucleum je ne partais pas serein mais je l’ai trouvé beaucoup plus clair au niveau du système de réseau et de l’alimentation des bâtiments. Le système des tuiles d’actions à sacrifier pour créer son réseau amène de bons dilemmes et autour de la table les stratégies ont été diverses et les scores finaux serrés. Le possesseur du jeu a depuis refait 7 autres parties et il trouve qu’un des plateaux (celui qui permet d’aliment n’importe où) parait plus fort que les autres (à confirmer). Il le donne donc au joueur le moins expérimenté (une sorte de petit avantage)
ocelau 16/12/2023
Comme Turczi est spécialiste des modes solos, je pensais que son nom était surtout crédité pour cette variante et que le jeu était surtout l’oeuvre de Luciani, j’apprends qu’en fait Turczi est bien celui à l’origine du jeu. Merci de l’info et du très bon article (je souscris à tous 🙂 , excellent jeu)
atom 19/12/2023
Merci 🙂
Alors, c’est ma théorie qu’il est à l’origine du jeu, mais en vrai on ne sait pas, si ça se trouve, ils se sont vus ont discutés et l’ont crée tous les deux de toute pièces. Il faudrait leur demander 🙂