Nevsky – Archers on the Lake

Lancée en 2019 par Volko Ruhnke (Fire in the Lake, Wilderness War), la série Levy & Campaign de GMT Games me faisait de l’œil depuis quelques temps. Il s’agit d’une collection de jeux qui tente de reproduire le fonctionnement des conflits au Moyen-ÂgeNevsky : Teutons and Rus in Collision 1240-1242 est le premier opus de cette série et modélise la croisade entre les Teutons et les Russes (groupe ethnique slave) qui se sont déroulés entre 1240 et 1242.

En dépit de ma curiosité, je n’ai pris le temps de découvrir Nevsky qu’il y a quelques mois car, pour tout vous avouer, j’appréhendais un peu le travail nécessaire à découvrir et prendre mes marques dans cette nouvelle collection. En effet, l’ambition de la série Levy & Campaign est rien de moins que de reproduire les spécificités du fonctionnement des petites armées du Moyen-Âge, avec la durée de service limitée de chaque seigneur, la nécessité pour ces derniers de rémunérer et nourrir leurs unités, ou encore la logistique des déplacements et du transport de vivres.

Nevsky est donc un jeu de plateau historique (échelle opérationnelle) pour deux joueurs où se mêlent combats, gestion de la logistique et des ressources de nos seigneurs, deck- et tableau-building. L’objectif du Teuton comme du Russe, c’est de conquérir et de piller le plus grand nombre de localités pour avoir le plus de points de victoire à la fin du scénario choisi. Eh oui, il n’y a pas moins de six scénarios – dont un scénario d’initiation – permettant de jouer entre deux et seize tours de jeu – chaque tour correspondant à une période de quarante jours.

Alors, Nevsky m’a conquis ou sa complexité m’a rebuté ?

Le plateau central mis en place pour le scénario d’initiation : Pleskau.

 

Un peu d’histoire (et de géographie)

Nevsky, premier volume de la série Levy & Campaign est consacré à la croisade lancée par les Teutons catholiques contre les Russes orthodoxes (1240-1242). La période était particulièrement troublée pour les Russes car, après des siècles pendant lesquels l’État centralisé de la Principauté de Kiev avait permis l’essor économique, politique et culturel de leurs contrées, ils s’étaient divisés dans des cités-États autonomes.

Cette dispersion avait rendu les cités de la Rus’ vulnérables aux attaques et aux raids des Mongols de Batu Khan, le petit fils de Gengis Khan. Ainsi, en décembre 1240, Kiev tombe entre les mains des Mongols, venu de l’Ouest. Au même moment, les cités les plus à l’Ouest de la Rus’ doivent faire face aux attaques de l’Ordre Teutonique qui, en prétextant vouloir combattre le christianisme orthodoxe au profit du catholicisme, tentent de s’emparer de Pskov et de Novgorod, depuis la Livonie (correspondant à l’actuelle Lettonie) et l’Estonie Danoise.

Le jeu commence par la victoire du chef militaire Alexandre Nevski, lors de la bataille de la Neva de juillet 1240. Après cette bataille, Nevski est destitué par le Vétché de Novgorod pour des raisons économiques : les marchands de la ville voyaient dans l’offensive teutonique de nouvelles opportunités commerciales. Mais, face à l’intensification de la menace des croisés, Nevski est réélu Prince de Novgorod avec la mission de contrer les Teutons, à l’été 1241.

Le tapis de Nevsky, avec trois Chevaliers, deux Hommes de Guerre et quatre Guerriers Mongols qui infligent chacun un demi-dégât pendant les combats d’archers. Comme Aleksandr a plus de six unités, il lui faudra dépenser deux vivres pour chaque mouvement et/ou combat.

 

La campagne se termine en avril 1242, avec la bataille du Lac Peïpous – des chroniques racontent que cette bataille s’est déroulée sur le lac gelé. Grâce à cette victoire, Alexandre Nevski repousse définitivement l’offensive teutonique. Du côté des Mongols, il choisit en revanche de leur déclarer son allégeance avant qu’ils saccagent Novgorod, ce qui lui permet d’accéder au titre de Grand Prince de Kiev et de Vladimir. Il sera même canonisé par l’Église Orthodoxe de Russie et est, aujourd’hui encore, l’un des personnages héroïques favoris des Russes.

Plus récemment, Sergueï Eisenstein et Dmitri Vassiliev, réalisateurs soviétiques, ont consacré à Nevski un film dont les allégories associent les Teutons aux Allemands et Nevski, à Staline. Ce film, dont les musiques ont été composées par Prokoviev, sera régulièrement diffusé en URSS à partir de 1938 et pendant la Deuxième Guerre Mondiale à des fins de propagande. Pour les mêmes raisons, Hitler tentera de récupérer l’image de l’Ordre Teutonique, avant d’en saisir les biens et les terres et d’emprisonner son Grand Maître.

 

Lever des troupes

Chaque tour de jeu est divisé en deux phases, la levée et la campagne. La levée, c’est la phase durant laquelle nous nous préparons à la campagne militaire. À tour de rôle, en commençant par le Teuton, nous piochons deux cartes Arts of War et nous les jouons pour leurs Événements. Chacune de ces cartes se compose d’une partie supérieure, l’Événement, et d’une partie inférieure, une Capacité que nous pouvons attribuer à certains de nos Lords voire à l’ensemble de notre faction.

Ensuite, dans l’ordre du tour, les joueurs vont rassembler (Muster) leurs unités : chaque Lord qui se trouve dans une localité amie pourra dépenser ses points de Lordship pour acquérir de nouveaux moyens de transports, recruter des Lords ou ses vassaux ou se doter de nouvelles capacités. Pour recruter des Lords, il faudra lancer un dé et obtenir un résultat inférieur ou égal à sa valeur d’allégeance. Pour choisir une capacité, un joueur passe en revue son deck de cartes jusqu’à trouver la capacité souhaitée.

Les cartes Arts of War et, à droite, le deck de cartes Command qui permettent d’activer les Lords durant la phase de Campagne

 

Lorsqu’on est familier de Nevsky, on devient capable de gérer stratégiquement les cartes Arts of War : choisir une capacité, c’est en effet renoncer à la possibilité de piocher l’événement correspondant. Attribuer les archers à un seigneur revient ainsi à faire une croix sur des cartes qui, par un bonus de combat, pourront faire la différence si elles sont jouées durant la bonne bataille. De la même façon, pour les Russes, faire du Commerce avec la Mer Noire revient à ne pas pouvoir jouer une carte pour avancer l’arrivée d’un seigneur dans la partie.

Bien entendu, vous prêterez également attention au moyen de transport choisi : à l’approche de l’hiver, vous délaisserez les charrettes et les barques – inutiles lorsque tout est glacé – au profit des traîneaux. Lorsque le printemps arrive et que la glace fond, c’est la saison de la Rasputitsa – lisez : les routes sont recouvertes de boue. Il n’y aura donc que les barques et les bateaux qui vous serviront au transport des vivres et du bétail.

 

La campagne

La campagne commence par l’étape de Planification. Il faut constituer le deck de cartes Command qui vous permettront d’activer vos Lords pour qu’ils réalisent des actions. Les guerres au Moyen-Âge devaient en effet être planifiées soigneusement : on ne pouvait pas compter sur des outils de communication ou de ravitaillement rapides. Dans Nevsky, on commence donc par coordonner nos seigneurs, en sélectionnant un certain nombre de cartes (trois au maximum pour chaque Lord) et en les ordonnant dans l’ordre d’activation souhaité.

La planification exigera de vous que vous ayez les idées claires sur le tour à venir. Il faudra tout d’abord tenir compte de la saison : pendant l’hiver, les mouvements sont plus difficiles, on ne pourra donc jouer que quatre cartes Command. Au printemps, le climat s’améliore mais la boue rend difficile les opérations – cinq cartes. L’été, on peut emprunter indifféremment les chemins, les rivières et la mer, et les manœuvres sont plus aisées – six cartes.

Pendant la prochaine Campagne d’hiver, le joueur Russe va d’abord rapatrier Domash près de Novgorod. Ensuite, Aleksandr, chef militaire, pourra se déplacer avec lui, pour contrer l’offensive teutonique.

 

Il ne faudra pas non plus négliger la nécessité de taxer leurs sièges pour prolonger le service de nos Lords, d’acheminer de la nourriture en quantité suffisante pour nourrir nos unités et, bien sûr, d’assiéger et, dans un deuxième temps, de prendre d’assaut les localités ennemies pour gagner des points de victoire et le butin des conquêtes. L’ordre que vous choisirez pour vos cartes Command devra donc tenir compte du tempo que vous prévoyez pour vos actions, mais aussi des potentiels objectifs de votre adversaire. En effet, si vos Lords sont attaqués, il vous faudra être en mesure de réagir, voire de contre-attaquer, sous peine de pertes plus ou moins lourdes.

Cela fait beaucoup d’éléments à prendre en considération pour les premières parties et il est normal d’être un peu dérouté et de ne pas savoir par où commencer. Lorsqu’on accumule plus d’expérience, Nevsky devient un jeu très agréable et gratifiant : on a le sentiment d’avoir tout anticipé au cordeau, de n’avoir rien laissé au hasard et, ainsi, de parvenir à réaliser les objectifs que nous nous sommes donnés pour le tour. Cela vaut en particulier pour les Teutons dont les armées nombreuses s’avèrent redoutablement efficaces, mais aussi coûteuses en entretien.

Avec autant d’unités, Andreas se prépare probablement à prendre d’assaut Pskov. Mais tout seul, avec seulement deux traîneaux et autant de bouches à nourrir, il n’ira pas bien loin. Il lui faudra retrouver un ou plusieurs Lords avec des vivres pour pouvoir assiéger et attaquer Pskov.

 

Asymétrie, quand tu nous tiens… !

Pour des débutants prenant plaisir à la baston, je recommanderais de découvrir Nevsky avec les Teutons, surtout si vous commencez par le scénario d’initiation, Pleskau. En effet, ce sont les Teutons qui, au début de la croisade, sont les plus nombreux et, surtout, puissants, grâce à leurs Chevaliers (Knights) et à leurs Hommes de Guerre (Men-at-Arms). En contrepartie, ils devront prêter attention à disposer de suffisamment de Monnaie (Coin) pour pouvoir payer leurs Lords et prolonger leur service.

Parmi les prérogatives de William de Modène, légat du Pape, il y a celle de recruter automatiquement un Lord pendant l’Appel aux Armes teutonique de chaque Levée. Mais William peut aussi être utilisé pour ajouter un point d’opération à un Lord pendant une activation – ce qui sera le cas ici.

 

Les Russes, en revanche, devront faire preuve de plus de patience et de finesse stratégique. D’un côté, les capacités Commerce avec la Mer Noire – et, éventuellement, Commerce avec la Mer Baltique – leur permettront de rémunérer régulièrement leurs Lords, par le soutien des marchands du Vétché. Bien géré, le Vétché vous rapportera jusqu’à huit points dans une partie, un point par tour où le Vétché refuse l’aide d’Aleksandr ou de son frère Andrey. Mais de l’autre côté, les Lords russes sont moins puissants et leurs unités seront facilement déroutées lors des combats car il s’agit surtout de cavalerie légère et de milices.

Sans Alexandre Nevski – qui n’intervient que dans certains scénarios et dont le recrutement coûte un point de victoire -, ses impressionnants Chevaliers et ses Guerriers des Steppes, vous ferez donc difficilement le poids contre les Teutons. Vous pourrez, en revanche, tenter de reprendre le contrôle des localités conquises (et négligées) par les Teutons en Rus’. En effet, avec les contraintes associées à la durée de service de leurs Lords, il est fort à parier qu’à un moment ou à un autre d’un scénario de durée moyenne ou de la campagne, ils finiront par laisser les localités conquises à votre merci.

Enfin, n’hésitez pas à rendre la vie du Teuton difficile en fortifiant vos villes grâce à Stone Kremlin : un assaut (Storm) raté l’obligera à nourrir ses unités et retardera son avancée. Une bonne stratégie consiste aussi à partir piller allègrement les localités proches de l’Estonie Danoise ou de la Livonie. Il est vrai que chaque pillage (Ravage) ne rapporte qu’un demi-point, mais si vous vous y mettez suffisamment tôt et que vous vous dotez de la capacité Raiders, vous ferez des dégâts. Les Teutons, par contre, auront intérêt à piller plus modérément car ils auront besoin de fourrager dans les localités de Rus’ dont ils prennent le contrôle, pour passer l’hiver.

 

Profondeur stratégique ou usine à glace ?

Bien que le matériel soit esthétiquement réussi et attire l’œil, vous aurez probablement compris que Nevsky n’est pas un jeu à mettre entre toutes les mains. Il est surtout destiné au public expert, désireux de prendre le temps nécessaire à maîtriser des mécaniques complexes, et intéressé par le thème. Néanmoins, il ne faut pas non plus exagérer sa complexité : avec l’aide et les conseils d’un joueur plus expérimenté, il est possible de le découvrir au moins pour s’en faire une idée d’ensemble.

J’ai trouvé qu’il est nécessaire de faire plusieurs parties, au moins cinq ou six, pour prendre ses marques et arriver à tenir compte des éléments climatiques, logistiques et militaires qui conditionnent nos décisions. La contrepartie, c’est que Nevsky récompense la persévérance et l’assiduité : petit à petit, celles qui semblaient des contraintes insurmontables et limitantes deviennent des opportunités pour prendre des décisions plus réfléchies et efficaces.

Il est vrai que le système de combat – que je n’ai fait qu’évoquer – peut sembler lourd aux néophytes des jeux d’histoire : avec les différentes phases d’intervention de vos unités, leur résistance plus ou moins importante à la déroute, les murailles qui peuvent empêcher les frappes d’atteindre la garnison d’une localité, ou encore les différents rounds, et la possibilité de concéder la victoire… c’est complexe, on lance beaucoup de dés, et les débuts seront probablement laborieux.

Pour des parties plus fluides, le module de Rally the Troops qui implémente automatiquement les règles m’a beaucoup aidé à comprendre et à retenir des points de règle que j’avais tendance à oublier. Je le recommande à ceux qui voudraient découvrir Nevsky avant de sauter le pas. D’un point de vue ergonomique, le matériel est bien fait, mais les aides de jeu sont très complètes et, si l’on ne connaît pas le jeu, elles peuvent donner le sentiment d’être dépassé par la quantité d’informations à retenir.

Pour ma part, j’ai beaucoup apprécié Nevsky : la courbe d’apprentissage et de progression est importante et récompense la constance. D’autre part, même si les scénarios orientent les choix des deux factions, je n’ai pas le sentiment qu’il soit scripté. Même si j’ai fait presque vingts parties, je ne m’en lasse pas et je n’ai pas le sentiment d’en avoir fait le tour. Pour plus de brouillard de guerre, il est aussi possible de jouer avec deux paravents et, si l’on recherche un niveau supplémentaire de complexité, on peut introduire la règle de la durée de service des vassaux des Lords.

Il s’en passe des choses, derrière le paravent du joueur Teuton… !

 

L’aspect historique est travaillé par un Livret de Jeu fouillé et bien rédigé, la cohérence entre l’histoire et les mécaniques de jeu est forte, et les nombreux scénarios permettent de varier – parfois significativement – l’expérience de jeu et d’adapter la durée d’une partie au temps dont on dispose.

À titre personnel, j’ai le sentiment que la campagne est trop longue – on est autour de six heures – et je préfère les scénarios de durée moyenne tels Peïpous et le Retour du Prince. Du fait de l’importance de la planification, de l’organisation et de la gestion des ressources, il n’est pas impossible que Nevsky convienne à des amateurs de jeux de gestion en quête d’une bonne dose d’affrontement et d’une cohérence thématique forte. Enfin, j’ai préféré Nevsky à Almoravid – le deuxième volume de la série – dans lequel l’aspect logistique m’a semblé trop présent et limitant et l’asymétrie, trop importante.

On trouve des exemplaires de Nevsky d’occasion sans trop de difficultés. Une deuxième édition est actuellement en précommande sur le site de GMT et, dans la mesure où elle comporte des ajustements de règles parfois significatifs, un kit pour mettre à jour la première édition devrait être disponible prochainement. En attendant, il est toujours possible de télécharger les règles de la dernière édition sur le site officiel, la version française n’étant malheureusement pas à jour.

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