Mycelia : du mousseron au bolet
Qu’est ce qu’un jeu de deck-building ? Il peut y avoir un peu débat à ce sujet, alors précisons : il s’agit, dans cet article, d’un jeu dans lequel on commence la partie avec un paquet de cartes (un deck). Ces cartes vont pouvoir être jouées et rejouées plusieurs fois durant la partie. Mais on va surtout petit à petit enrichir ce deck avec de nouvelles cartes, plus fortes, de façon à monter en puissance. Un grande partie du jeu va donc résider dans la sélection minutieuse de ces cartes à ajouter à notre deck, pour créer la meilleur synergie possible et atteindre l’objectif de la partie. Je ne parlerai donc pas ici des jeux de deck-building où l’on construit son deck AVANT la partie, le plus connu de ce genre étant Magic. Ou Pokemon selon votre âge.
Le deck-building est probablement une de mes mécaniques de jeu préférées. Son évolution m’a toujours surpris. Sa première incartation (oui j’ai inventé ce mot, mais avouez qu’il colle bien), Dominion, était exigeante comme peuvent l’être les jeux à l’allemande. Avec le recul, c’est même surprenant de voir à quel point Dominion poussait déjà le genre, et surtout les joueurs, dans leurs retranchements. Pourtant, cette mécanique a rapidement été mise au service de jeu plus « immersifs » et lorgne souvent aujourd’hui plus du côté de l’améritrash, avec du combo facile à mettre en place (je pense à toi Star Realms). Ces deux dimensions de la mécanique me plaisent, mais je regrette un peu que l’exigence proposée par Dominion disparaisse un peu. Dans les deux cas néanmoins, on cible en général des joueurs déjà amateurs, car bien maîtriser son deck nécessite un peu de doigté.
C’est donc d’un deck-building dont nous allons parler aujourd’hui, mais avec un public assez original puisque c’est cette fois la « famille » qui est visée. Par « famille », j’entends les joueurs plus occasionnels et qui n’auront jamais entendu parler de deck-building avant. Mycelia est son petit nom, et Daniel Greiner est son auteur (et c’est son premier jeu !).
Cueillette bucolique
Mycelia est donc un deck-building pour la famille : vous êtes en charge d’un royaume champignon sur lequel il a un peu trop plu. Il va vous falloir enlever les gouttes de pluies de chez vous, et y parvenir avant les autres. Pour cela, un deck donc. Vous piochez trois cartes, vous les jouez et ainsi de suite. Ces cartes vont vous permettre soit de gagner des feuilles, qui serviront à acheter d’autres cartes, soit d’agir sur les gouttes. On pourra soit les déplacer et les amener au puits magique pour les évacuer, soit les retirer directement, en fonction des effets de nos cartes. Mais attention, souvent ces actions ne pourront être effectuées QUE sur des cases bien précises de notre plateau. Rien de bien méchant mais… on y reviendra.
Tout dans Mycelia transpire le jeu « gentil » et « mignon ». Mignon par son design d’abord. Nos champignons sont tous champinoux (oui j’invente des mots aujourd’hui), imaginés à partir de vrais espèces de nos forêts, il n’y a pas de méchant, le thème est poétique à souhait. Dans mon entourage, les illustrations de Justin Chan n’ont pas fait l’unanimité. Le thème est parfois poussé un peu loin : le jeu propose une structure où poser nos gouttes une fois évacuées, qui déclenche la rosée quand il est plein, et remet une ou deux gouttes sur notre plateau. On a ainsi une énorme structure en carton, qui est certes très jolie et permet de faire entendre (vaguement) la pluie tomber. Mais c’est un peu trop à mon goût, et surtout cela agrandit trop la taille de la boîte (boîte de qualité médiocre au passage). Mais bon, cela fait aussi parti du charme du jeu.
« Gentil » parce que Mycelia est gentil avec ses joueurs. Le deck-building est en effet un genre qui peut être exigeant et punitif : si les cartes sortent mal, si la rivière ne nous plaît pas, etc. Ici, tout a été pensé pour que les frustrations des joueurs soient sinon effacées, au moins minimisées. D’abord, la monnaie du jeu, les feuilles, se conserve d’un tour sur l’autre. Ainsi, pas de frustration si nos cartes d’achat ne sortent pas ensemble, et on pourra certainement aller chercher des grosses cartes puissantes dans la partie sans avoir optimisé cet aspect du jeu. Les cartes achetées d’ailleurs, ne vont pas dans notre défausse mais sur le dessus de notre deck : on est sûr de les avoir immédiatement, et on peut ainsi choisir parfaitement ce dont on a besoin pour le tour suivant. Les achats sont donc intéressants même en fin de partie ! On ne sera pas pénalisé si on a ainsi trop de cartes d’achat. On n’aura pas d’effet de pioche, ce qui simplifie grandement les choix. On sait au début de notre tour ce que l’on va pouvoir réaliser, on peut y réfléchir pendant celui des autres, ce qui rend le jeu très fluide, sans avoir de tour infini car ils vont piocher 40 cartes.
La rivière ne vous plaît pas ? Pas grave, chaque joueur a un pouvoir pour la renouveler entièrement à son tour. On l’a dit, vos cartes ont besoin de situations précises pour être activées. Mais si vous êtes bloqués, vous avez aussi un pouvoir pour déplacer des gouttes si besoin, et les placer dans les bonnes configurations.
Bref, tout est fait pour que les joueurs ne soient pas mis en difficulté. Quelque soient nos choix, on va avancer et faire des choses, avec assez peu de frustration. Le jeu atteint ainsi parfaitement sa cible : Tutur, du haut de ses 7 ans, y joue sans problème. Un enfant qui a l’habitude de jouer certes, mais Mycelia reste très accessible.
C’est donc une jolie surprise que ce jeu, gentil, mignon, poétique, accessible et indulgent avec ses joueurs. Je le recommande à toutes les familles pour passer un moment de détente sympathique sans prise de tête.
Sauf que.
Pas
Du
Tout.
Attention à bien choisir vos champignons
Mycelia n’est absolument pas un jeu mignon et indulgent. C’est au contraire un jeu qui marche dans les pas de Dominion et qui est très très exigeant avec ses joueurs. En effet, Mycelia est une course, et une course, par définition, c’est une question d’optimisation. Il va falloir être le plus efficace possible. Or, Mycelia n’est pas un jeu où il faut réellement combiner les cartes entre elles, il faut choisir le bon assortiment de cartes. C’est un jeu dans lequel vous avez une somme de problèmes, les gouttes, qui sont présentes sur différents types de terrains, et il faudra trouver une solution pour chacune. En effet, si vous avez éliminé toutes les gouttes dans les cases d’eau par exemple, les cartes qui donnent des bonus pour cela ne servent alors plus à rien ! Idem si vous en prenez trop, ou que vous avez des cartes qui ne fonctionnent que dans des conditions particulières. Il faudra également penser à régler tout les problèmes, et ne pas oublier un type de terrain.
Mycelia est donc un jeu qui demande une très bonne connaissance de son deck à tout moment, et de déplacer les gouttes pour optimiser nos cartes les plus fortes. Il est fréquent qu’il soit intéressant de ne PAS acheter de cartes qui n’iraient pas bien dans notre deck. On l’a dit plus haut, les pouvoirs permettent de sauver parfois une disposition des gouttes peu favorable à un moment donné. Néanmoins, ils coûtent quand même un peu, et comme on est en train de parler d’optimisation, ce n’est pas négligeable.
On n’est donc pas du tout dans du familial, mais au contraire sur quelque chose de beaucoup plus pointu et précis. Preuve en est, le jeu propose un paquet de cartes avancées, qui fait quasiment la taille du paquet de base ! Et là aussi ça ne rigole pas : ces nouvelles cartes ne proposent rien de moins que des capacités d’épuration du deck, pas la mécanique la plus facile à gérer ! On aura d’ailleurs des cartes qui ont des effets au moment où on les achète, qui compenseront la faiblesse de ces cartes. Voire même des cartes qui donnent des bonus aux autres. Lors de l’achat, il faut alors se demander si le jeu en vaut la chandelle. Voilà un choix pas du tout évident à faire quand on débute dans le deck building, et qui en plus rajoute de l’interaction. Même si l’une de ces nouvelles cartes me semble un peu casser le jeu (celui qui la prend doit à mon avis gagner à chaque coup : elle permet en effet de rajouter un puits), même si c’est un ajout vraiment très intéressant. On gagne encore un cran en profondeur en ajoutant des plateaux asymétriques.
« Mycelia est donc un jeu qui m’a énormément séduit car c’est un peu profond, exigeant et parfait pour les amateurs de deck-building avec un peu d’expérience. »
Le verdict du pharmacien
Bon, vous l’avez compris, il y a deux façons d’aborder Mycelia.
C’est un excellent jeu passerelle, pour initier au deck-building de façon simple et permissive, mais c’est aussi un petit défi d’optimisation pour ceux qui ont envie de gérer finement leur deck. Et c’est là que réside le tour de force de Mycelia, dans un grand écart assez incroyable que franchement je n’avais pas vu jusque là.
Mycelia est donc un jeu pour lequel j’ai un énorme coup de cœur, car c’est un peu profond, exigeant, et parfait pour les amateurs de deck-building avec un peu d’expérience, mais qui me permet aussi de jouer avec mon fils de 7 ans. Je ne peux donc que vous le recommander très chaudement.
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Steph’ 01/12/2023
En voyant ce jeu, j’ai des questions qui me viennent à l’esprit :
Si E.Hargrave n’avait pas annoncé sortir un jeu sur les champignons, le jeu Mycelia serait-il sortit avec ce thème ?
Cette autrice serait-elle en train de devenir petit à petit une faiseuse de mode ?
Est-ce que j’affabule (ce qui pourrait fort bien arrivé vu que c’est la fin de semaine) ?
fouilloux 02/12/2023
Et bien, je crois que je n’ai qu’une seule réponse à fournir à toutes ces questions: Je ne sais pas.
Après, vu le timing, je doute que l’annonce d’E. Hargrave soit arrivée assez tôt pour influencer ce jeu.
atom 02/12/2023
Je pense aussi que le jeu de Daniel Greiner a été crée bien avant le jeu de Hargrave. Il faut un certaine temps de maturation avant que le jeu n’arrive sur la table des joueurs. Pour un premier jeu c’est une belle réussite d’ailleurs. 🙂
Une Maman Loutre 02/01/2024
Tout d’abord merci pour cette revue très intéressante.
Et merci aussi car je n’ai lu que des revues sur ce jeu qui vantait son caractère familial et presque simpliste, et je trouve moi aussi que le jeu a bien plus à offrir que cela. Il est en effet accessible pour ceux qui y joueront avec candeur, mais peut devenir aussi intéressant pour des joueurs plus habitués qui chercheront à optimiser au mieux leur deck et leurs déplacements. Et je suis heureuse d’enfin trouver une voix en accord avec cela !