Une œuvre marquante dans l’histoire d’un artiste, écrivain, musicien, auteur ou éditeur de jeu, engendre  une attente sans cesse renouvelée auprès de ses fans. L’éditeur québécois Plan B publiait Azul en 2017. Ce titre majeur de Michael Kiesling a marqué son temps et a remporté le doublé As d’Or puis Spiel des Jahres en 2018. L’édition avait su magnifier la proposition abstraite de l’auteur, la mettant à la portée d’un public néophyte, et entraînant un succès d’estime de la plupart des joueurs, mais aussi des ventes en GSS (Grandes Surfaces Spécialisées), un cap que tous les jeux ne franchissent pas, loin de là.

Et depuis Plan B a sorti d’autres jeux : des nouveaux Azul, et d’autres titres qui n’ont jamais touché du doigt la même magie éditoriale, la grandeur du coup de la mosaïque. Azul, qui n’était d’ailleurs pas un coup d’essai : l’équipe derrière est aguerrie, revendiquant la mission de rassembler des personnes exceptionnellement talentueuses afin de créer des jeux d’une qualité exceptionnelle. Merci ?

Avec les années, Plan B se diversifie et crée une gamme-marque dédiée aux jeux format Azul, Next Move, en gardant intact le talent prétendu et la hype.  Alors, avec ce nouveau jeu Maui, l’attente est-elle confortée dans son bien-fondé, ou faisons-nous face à ce phénomène de régression vers la moyenne ?

Qualité exceptionnelle ?

Première impression, la boîte, le thème plage et exotisme, des petites serviettes colorées et des parasols stylés. Le travail graphique de Christian Quilliams permet de franchir le premier pas en gardant l’envie d’aimer le jeu. Les tuiles d’Azul étaient en bakélite, celles-ci sont en carton, bien épais certes ; on est au bord de l’eau, quelle matière est la plus appropriée ? 

Le jeu est une suite de choix de serviettes de plage, dans le but de faire des points de victoire. On retrouve l’abstraction thématisée d’un Azul : on se fiche du sens des points, le but est de faire joli, ou, à défaut, charmant.

Chaque serviette est composée de trois sections portant chacune un motif parmi cinq. À chaque tour, on choisit dans la rivière (vague serait plus appropriée à Hawaï) une serviette, qui peut avoir un coût, et la placer sur la zone adjacente à la serviette précédente sur sa plage personnelle. Imaginons notre serviette comme un domino en trois parties colorées, dominos que l’on tente de connecter au moins par l’un de ses motifs. Quand on réussit à faire une suite de motifs, on fait avancer son coquillage sur la piste correspondante, du nombre de cases allant de 1 à 3 en fonction de l’excentricité du lien de serviette. Notre plage a une profondeur de sept cases, notre serviette en prenant trois. La zone centrale de la plage fait peu avancer, les zones périphériques sont plus payantes, mais plus risquées également, on pourrait être tenté de mouiller sa serviette et perdant ainsi 1 point de victoire, ainsi que de la souplesse de pose de tuile.

Certains espaces comportent des bonus à ramasser (les fameux parasols stylés dont on parlait au début), ou à éviter (crabe) dans la version avancée du jeu.

Autre action possible au lieu de prendre une serviette : on peut ramasser les dollars de sable laissés par les autres vacanciers lors de leurs achats. Et il peut être rentable de payer afin de prendre la serviette qui permettra de faire correspondre deux motifs, faisant ainsi avancer nos coquillages sur deux pistes.

Petit coup d’œil vers un Ludochrono pour un meilleure compréhension des règles.

Coup de soleil

On résume : on pose des serviettes sur sa plage pour tenter de faire un bel alignement, recouvrant ainsi parasol et esquivant les crabes, afin de faire progresser nos coquillages sur des pistes de points de victoire. Et on peut trouver des perles sous les parasols.

On a bien tous les codes de la plage ? Le lien entre chaque élément est plus difficile à justifier, on est dans de l’habillage. La même ligne éditoriale qu’Azul : mettre un coup de pinceau plein de couleurs sur un jeu abstrait. Mécaniquement, que pouvons-nous espérer du choix offert ? Nous avons une offre de six serviettes, de coût variable (gratuit, une ou deux pièces). De façon assez simple, on choisit, en fonction de sa possibilité d’achat, au mieux parmi six, souvent parmi quatre, et par défaut parmi deux. De ce côté, le choix est assez ciselé pour être rapidement joué. Y a -t’-il un engagement, une stratégie derrière ce choix ? Un léger dilemme à avancer sur une piste plutôt qu’une autre, elles sont légèrement asymétriques, mais pour chacune, il y a un palier à passer qui fera gagner plus de points, et un palier en fin de piste, assez désirable.

À cette suite de motifs, on ajoute un autre élément dans le choix de chaque tour : en atteignant un parasol, on révèle le bonus caché, qui peut nous faire avancer sur une piste, ou nous apporter une perle. Deux collections de trois perles sont à prévoir, une collection complète étant évidemment plus juteuse.

Comme la partie se termine lorsque quelqu’un a posé sa douzième serviette, on peut envisager le jeu sous la forme d’une course.Tactique de course, ne jamais passer un tour à prendre des sous laissés par les autres, mais qui a l’inconvénient de n’avoir que la possibilité de prendre parmi les deux serviettes gratuites, ou tactique de maximisation de liens, où il faudra passer des tours creux à ne pas choisir de serviettes afin de prendre de quoi en acheter de plus essentielles aux prochains tours.

Nous arrivons tous avec nos stratégies très personnelles, à des scores très proches. Comme les serviettes glissent (une rivière quoi), il est envisageable à deux joueurs d’anticiper quelle serviette sera disponible pour notre prochain tour. À plus nombreux, le jeu sera plus opportuniste.

Peut-être le prochain ?

Si l’édition est correcte, disons qu’elle est lumineuse et colorée comme une plage hawaïenne, on ne peut pas parler de valorisation de l’abstraction comme le faisait Azul. Les serviettes sont en carton, on se rappelle le plaisir de manipuler les tapis en tissus de Marrakech. Le carton est plus abordable, et bien suffisant pour le jeu proposé, mais ne provoque pas le plaisir tactile qui est souvent la promesse faite par l’éditeur avec cette gamme. Le thème n’offre que la valeur ajoutée exotique et chaleureuse de l’été, sans aucune cohésion thématique.

Les auteurs de ce titre, Frank Crittin, Grégoire Largey, et Sébastien Pauchon, proposent souvent des choix simples et peu engageants. Loin d’être désagréable, la partie est assez rapide mais peu tendue, l’interaction réside dans la course vers la fin de partie, le choix de la tuile ne se fera pas en contre des autres joueurs. On optimise sa plage, on fait du serviettage. Faute de tension, Maui ne m’a pas tellement donné envie de remettre le couvert. De ce trio créatif, j’ai un plus grande attente pour le jeu de questions Le grand Kiwiz, à paraître bientôt chez Studio H.

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