Maracaibo : L’aventure c’est l’aventure
Maracaibo nous propose de nous la couler douce sous les cocotiers des Caraïbes. Enfin, pas tout à fait puisque nous sommes des navigateurs ivres de gloire et de reconnaissance et nous allons explorer ces îles, combattre pour l’une des trois grandes nations colonisatrices. Tout cela dans le but de rester dans les mémoires comme le plus grand des navigateurs (une obsession atavique chez les humains).
Alexander Pfister est un auteur prolifique, avec pas moins de 20 jeux édités. Avec Mombasa et Isle of Skye il a surpris tout le monde. Le premier parce qu’il nous proposait un jeu de gestion et de programmation avec une interaction douce amère (souvenirs). Le deuxième d’abord parce qu’il remporte le Kennerspiel des Jahres (le prix des connaisseurs en Allemagne), mais aussi parce qu’il mélange de la pose de tuiles à la Carcassonne avec un système d’enchère très malin (réminiscence). Il continua en 2017 avec Great Western Trail où il mélange de la gestion avec du deck-building, et en 2018 avec Black Out Hong Kong avec de la programmation.
Dernièrement Alexander Pfister nous proposait deux titres : Expedition to Newdale chez Look out Games qui reprend le système de Oh my Goods mais dans un jeu de plateau (il sort chez Funforge en fin d’année) et Maracaibo (prévu chez Super Meeple d’ici mars-avril) qui va piocher dans plusieurs de ses jeux pour récupérer quelques mécaniques et les transformer. Vaillants navigateurs, hissez la grande voile, on est partis pour un long voyage.
Arrêtons-nous 5 minutes pour contempler cette jolie cover très évocatrice, où une roue de navigation trône en son centre. Tout en haut nous avons un paysage maritime avec un bateau qui accoste sur un port, tandis qu’en surplomb des explorateurs défrichent la forêt vierge. C’est peu ou prou ce que nous allons faire.
Dans le sillage de Great Western Trail
En effet, la mécanique de base ressemble à s’y méprendre à celle de GWT. Chacun notre tour nous déplaçons notre navire sur la route et nous pouvons nous arrêter sur des villes ou villages pour réaliser des actions : vendre des ressources, faire la guerre, avancer son Meeple explorateur sur la piste idoine tout en bas du plateau, etc. Mais aussi dans des villages pour récupérer de l’argent ou engager des personnages (payer une carte).
Nous pouvons faire de 1 à 7 déplacements. En sachant que dans un village on fait plus ou moins d’actions selon notre déplacement (1 à 3 actions). Quand un joueur arrive au bout de la piste, il déclenche la fin de la manche : il reste un tour pour chaque joueur et l’on passe au décompte de fin de manche. Puis tous les bateaux repartent de la Havane et tant pis si vous aviez prévu de faire une autre escale. Autant dire qu’il faudra arbitrer pour pouvoir faire les actions que l’on souhaite tout en levant le nez pour ne pas se trouver dépourvu parce qu’un joueur accélère le tempo.
Un jeu à la carte
Alexander Pfister adore les cartes. De la programmation et de la gestion de main dans Mombasa et Black out Hong Kong, du deck building dans GWT. Dans Maracaibo les cartes sont encore au centre du jeu.
Nous avons 4 cartes en main et nous allons pouvoir les utiliser de différentes manières. Vous pouvez les récupérer (via une action village) vous embauchez alors de l’équipage pour profiter de leur effet dans votre tableau, qu’il soit immédiat ou bien permanent ou lié à un village.
Vous pouvez les utiliser pour leur ressource : maïs, tabac, sucre, etc. Ce qui nous permet d’enlever un petit disque sur notre plateau navire et éventuellement de gagner des bonus si l’on libère certaines cases : pour refaire sa main à 6 cartes et non 4, gagner des points de victoire, etc.
Vous pouvez aussi les utiliser pour réaliser des quêtes. Ici ce qui nous intéresse ce sont les symboles livres, longue-vue, etc. Si la case où je suis comporte une tuile quête, je peux – en dépensant les cartes avec les ressources affichées – réaliser la quête et gagner les bonus en sus.
On peut même en programmer jusqu’à 3 sur le dessus de notre plateau pour les garder pour plus tard, mais elles ne pourront être utilisées que pour une seule option, l’achat. Si finalement on ne désire pas l’utiliser elle nous prendra une place…
Quand on termine notre tour, on complète notre main à 4 en piochant des cartes au hasard sur la pioche ou en payant un doublon si l’on veut prendre une des 4 cartes présentes dans la rivière.
Engager une carte nous permet immédiatement de la placer dans notre zone de jeu et nous fait profiter de ses effets. Ces cartes sont coûteuses, mais ce sont elles qui vont guider notre stratégie : augmenter sur la piste des revenus, ou des points de victoire, placer un assistant sur un lieu (numéroté sur le plateau) pour réaliser l’action de l’assistant plus tard au lieu de faire les actions village, etc.
Du côté de l’interaction
L’interaction est liée aux déplacements et l’aspect course du jeu, mais aussi comme dans Mombasa sur les 3 pistes d’influences des 3 nations pour lesquelles on va combattre. Chaque fois que l’on va réaliser un combat, on va pouvoir choisir de se battre pour un pays (France, Espagne, Angleterre) et d’augmenter notre marqueur d’influence sur cette nation. C’est ainsi que l’on va pouvoir poser des cubes dans les villes et villages sur le plateau pour principalement augmenter l’influence de ce pays. Cela comporte deux intérêts, le bonus immédiat sur le lieu, mais aussi des points de victoire en fin de partie sous forme de multiplicateur.
Plus on déplacera notre marqueur d’influence sur la piste et plus on marquera de points, mais c’est aussi fonction du nombre de cubes nations enlevés par les joueurs. Là encore on retrouve ce système dans Mombasa avec les jetons comptoirs. Ici on pourra enlever les cubes d’une nation sur le plateau, mais ils ne reviennent pas sur la piste (un peu moins punitif donc que Mombasa).
Les combats se jouent via un système semi-aléatoire : nous tirons une tuile combat qui nous indique la force de chaque nation, à nous de choisir celle que nous allons utiliser. Avec notre force, on peut augmenter notre influence sur la piste choisie, placer des cubes de cette nation, en dégager un d’une autre nation, etc. Si l’on manque de force on peut toujours réduire celle de notre piste personnelle, ou pire sacrifier un assistant (présent sur notre plateau) pour augmenter de 1.
Ce système permet aussi de ne pas favoriser une nation puisque ce hasard nous pousse à combattre pour une nation en fonction de sa force. Mais, mécanique de catch up, la nation la plus présente sur le plateau peut avoir un malus de force (ou la moins présente un bonus).
Enfin, une des actions nous permet d’avancer son Meeple explorateur, ce qui nous rapporte des bonus immédiats, mais offre là encore une interaction puisque certains seuils une fois franchis offrent des bonus au premier. De plus, on ne peut pas être deux sur une case, on passe devant l’autre joueur (on “enjambe” l’explorateur adverse). Cette piste ressemble à s’y méprendre à celle de l’extension de Isle of Skye (qui sort d’ailleurs chez Funforge en février).
Bateau sur l’eau customisé
Ici aussi l’auteur jongle avec une de ses mécaniques favorites (reprise de GWT) : en livrant des ressources, mais aussi grâce à certaines actions, on va pouvoir débloquer des emplacements sur notre plateau bateau, qui nous permettent de gagner des bonus une fois (le fameux pouvoir belge) ou des actions supplémentaires au village, avoir plus de cartes en mains, pouvoir placer des cubes sur des villages et non uniquement des villes, et même marquer des points. Ce sont des éléments que l’on choisira en fonction de sa stratégie et tous semblent intéressants, ce qui augure d’une bonne profondeur.
Bilan
On va commencer par ce qui grattouille… L’iconographie est loin d’être évidente, on est quasiment obligé de fouiller dans le livret de règles quand on rencontre certaines icônes. Fort heureusement, comme Terraforming Mars, Maracaibo utilise du texte et des icônes. Ceinture et bretelles. On en vient à s’aider du texte pour comprendre l’action, ce qui est plutôt paradoxal.
Maracaibo est un jeu où l’on va monter en puissance. Au début, ce n’est guère passionnant, on se déplace dans les villes pour livrer des marchandises et libérer notre plateau, engager des cartes pour profiter de leurs effets, et puis au fur et à mesure, une stratégie se dessine et on prend plaisir à faire comboter nos cartes entre elles, d’autant qu’il y a des éléments qui sont rétroactifs.
L’interaction souffle le chaud et le froid de façon un peu ambivalente. Nous étions unanime à la table, on a quand même la sensation de construire son jeu un peu dans son coin, d’ailleurs si l’on ne se surveille pas on peut aisément tricher (volontairement ou non).
Pour autant, on ne peut pas dire qu’elle n’existe pas, elle est même plutôt importante avec plusieurs éléments de course, les pistes nations, la progression des bateaux qui ajoute un de pression, etc. Ce n’est pas non plus de la pose d’ouvriers bloquante, on peut tout à fait être plusieurs dans un port. Simplement le premier aura certainement un avantage. Il est probable que la version héritage (« Legacy ») nous ancre un peu plus dans le jeu et nous propose des choix narratifs (c’est du moins ce que nous avons entrevu, j’y reviens plus bas).
Le hasard est plutôt… intrigant. On le retrouve dans les tuiles de combats, dans les cartes que l’on pioche au hasard, mais au final comme les cartes servent pour plusieurs actions il n’est pas pénalisant.
La profondeur du jeu est intéressante, dans notre partie on a mené 3 stratégies différentes et sans se valoir, on va dire qu’elles ont toutes tenus la barre. Je pense qu’il faudra plusieurs parties pour en faire le tour.
Nous n’avons pas encore essayé le mode « Legacy » qui nous emporte à travers les Caraïbes dans une campagne de 11 scénarios. Concrètement, on ouvre le deck de cartes legacy qui nous propose une trame narrative avec des pirates, des hommes ou femmes à sauver, etc. Parfois nous devrons modifier certains éléments de jeu sans dénaturer le plateau (rien n’est définitif, il s’agit le plus souvent de placer une tuile sur un lieu). Mais ce n’est pas tout car parfois le jeu vous proposera des choix qui impacteront les parties suivantes (nous reviendrons sur cet élément quand on l’aura éprouvé).
Maracaibo est un excellent jeu qui paradoxalement ne propose rien de très original. Il va piocher à droite à gauche des mécaniques dans chacun de jeux que nous avons cités. Mais cela fonctionne, la profondeur est indubitable, et le système de campagne devrait pouvoir nous tenir en haleine.
Un très bon jeu que je conseillerais aux joueurs qui aiment les créations de l’auteur et qui ont particulièrement apprécié Great Western Trail.
Maracaibo sort en français chez Super Meeple en mars avril 2020.
LUDOVOX est un site indépendant !
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :
Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :
Zuton 25/01/2020
Merci pour l’article qui me donne encore plus envie, le jeu numéro 1 que j’attends pour 2020 en VF !
morlockbob 25/01/2020
c’est vrai que c ‘est un des rares jeux que j’attends, mais un peu sceptique quant au hasard dont les avis parlent, même si tu sembles dire qu’il n’est pas pénalisant.
atom 26/01/2020
Le hasard tu joues avec ou pas. Quand tu refais ta main soit tu prend les cartes au hasard, soit tu prend les cartes de la riviére mais tu les payes 1 doublon. Donc si tu refait ta main et que tu as besoin d’un symbole précis, soit tu payes et tu prend la carte dans la riviére, ou bien tu refais ta main sur la pioche et tu espère avoir un peu de chance. Bref rien de bien choquant. J’ai acheté une carte sur toute la partie parce que pour réaliser une quête il me fallait un symbole, j’ai considéré que le doublon payé était bien investi. Quand j’ai refait la riviére il était dans la carte que j’aurais pris si j’avais pas payé ^^
atom 26/01/2020
Le hasard sur les combats, évite ce que l’on avait fait quand on avait pas bien compris la règle. À savoir que tout le monde monte sur une piste et une seule et qu’il n’y ait jamais de dilemmes. Bon au bout de 20 mn on s’est dit quelque chose clochait, que l’auteur n’avait pas pu faire cette erreur et en effet on a compris et recommencé la partie 🙂
morlockbob 27/01/2020
merci… de toute façon je l’aurais essayé quoiqu il arrive 😉
Afloplouf 28/01/2020
Je n’ai pour l’instant eu uniquement l’occasion d’y jouer en solo et sur Tabletopia (5 parties). J’ignore si j’arriverai à convaincre mon groupe et le seul temps de mise en place me fait un peu peur mais il ne fait aucun doute que je vais le prendre dès que la version SuperMeeple sera disponible car entre le solo au poil et la tentation du mode campagne, il coche toutes les cases.
J’aime bien la variante d’avoir les 4 cartes objectifs révélées depuis le début mais en dehors de ce point, le hasard est parfaitement géré. Pour les cartes, on a une rivière révélée (qui coute quand on pioche dedans mais il y a une amélioration du plateau personnel pour que ce soit gratuit) et on a une autre amélioration pour avoir 6 cartes en main au lieu de 4. Le seul vrai hasard est sur les tuiles combat (pourquoi pas une autre variante pour choisir entre deux ?) mais quand bien même la différence entre les trois nations est en général faible.
Le thème est limite insultant dans son traitement (y’a une carte esclave qui ne dit pas son nom) mais la rejouabilité est quasi infinie et surtout les mécaniques sont aux petits ognons.
atom 30/01/2020
Le temps de mise en place n’est pas si important que ça. Je le trouve bien moindre que Great Western Trail par exemple. Pas bête la variante des cartes objectifs révélées, mais j’aime bien le fait que l’on ne sache pas, ça évite que l’on partent tous dans la même direction. Au final on est tous en capacités de faire une de ces cartes, peut être deux. ça laisse une chance à tout le monde je trouve. Si c’était des majorités je comprendrais.
Comme tu l’as dit pour les combats ça différe de peu, mais ça évite la aussi que l’on soit tous a jouer sur la même piste de nations. je comprend que ce hasard puisse irriter, pour moi c’est un hasard ami car on doit s’adapter et non dérouler tranquillement.
Pour la carte esclave, je me suis posé la question sur le jeu, mais j’ai pas vu cette carte ou bien je suis rapidement passé dessus en jouant, je m’étais dit que je regarderais toutes les cartes 🙂
Afloplouf 04/02/2020
Elle ne s’appelle comme ça (c’est « chef de plantation » je crois) mais c’est une carte où pour chaque matelot que tu « sacrifies », tu augmentes ta piste de revenus d’argent d’autant. C’est quand même pas mal sous-entendu.
zango 02/02/2020
Un jeu qui pourrais bien me plaire … il va falloir que je le teste !!!!!
Groule 10/05/2020
Ffff, merci pour mon compte en banque. Vraiment, merci !