C’est une page importante du monde du jeu de société qui se tourne avec la fin de l’aventure éditoriale des Ludonaute. 

La maison d’édition, fondée par Cédric et Anne-Cécile en 2009, annonce en effet cesser la création de nouveaux jeux. “Cédric et Anne-Cécile ont fondé Ludonaute en 2009, sans rien connaître du métier de l’édition, mais avec beaucoup d’humilité et de passion. Chaque étape leur a appris quelque chose, et Ludonaute a grandi avec le marché du jeu qui n’a cessé d’évoluer. Aujourd’hui ils sont plutôt fier·es de ce qu’ils ont réalisé, mais ils ont aussi le sentiment d’avoir fait le tour de ce métier. Après tant d’années, leur énergie et leur passion ne trouvent plus leur place dans les évolutions actuelles du secteur.” indique le communiqué de presse paru ce matin dans lequel les fondateurs explicitent leur choix, décidé par le fait que leur métier a progressivement basculé d’un univers de passionnés vers un secteur dominé par les logiques économiques. « Les décisions prises au nom de ce réalisme économique sont de plus en plus difficiles à assumer, et ce qu’il nous faudrait apprendre ne relève plus vraiment de la passion ludique mais plutôt de domaines comme le marketing, ce qui ne nous attire absolument pas », écrivent-ils.

Éditer un jeu demande un engagement émotionnel et humain fort, mais entraîne aussi une grande déception lorsque le succès n’est pas au rendez-vous. Face au rythme effréné des sorties et à la surproduction qui caractérise désormais le secteur, les Ludonaute disent ne plus se reconnaître dans cette dynamique. « Nous prenons nos responsabilités en décidant de ne plus produire davantage et, face au dilemme se battre dans le système ou sortir du système, nous faisons le choix de faire un pas de côté. » Cédric Lefebvre ajoute par ailleurs être convaincu qu’une contraction économique du marché est inévitable et préfère amorcer dès maintenant un retrait en douceur.

Avec cette décision, Ludonaute met un terme à un parcours emblématique de l’histoire ludique francophone et internationale, laissant derrière eux des titres marquants comme Living forest, Lewis & Clark mais aussi Colt Express à la maison Tycoon Games (cf notre news) pour assurer la continuité des revenus des auteurs et illustrateurs de ces succès. Plutôt que de vendre leur société, les fondateurs ont donc choisi de l’arrêter progressivement, refusant de voir Ludonaute passer sous la coupe d’un grand groupe. Symboliquement, ils revendiquent ce choix comme un acte de décroissance volontaire.

Deux derniers titres symboliques

Ludonaute termine son parcours éditorial avec deux sorties marquantes :

• Arigato, un jeu de cartes interactif décrit comme « le dernier plaisir coupable » de la maison, fruit d’une envie présente depuis ses débuts. Nous vous en parlions déjà ici. Le jeu sort le 26 septembre prochain. 

• Limit, un opus à portée politique qui aborde les relations entre peuples et planète, et propose une réflexion sur les conséquences de nos choix sans jamais se montrer moralisateur. Notre retour à chaud ici. Sortie le 24 octobre. 

Ces deux créations reflètent les deux facettes que Ludonaute a toujours défendues : le plaisir ludique et le jeu comme outil d’expression. En disant à la fois, on a atteint les « Limit » (celle des contraintes économiques, de la surproduction et de la fatigue émotionnelle qu’impose le marché actuel) et « Merci » (Arigato en japonais), l’éditeur semble partir en laissant un message codé aux joueurs, reconnaissant les limites du système tout en exprimant une profonde reconnaissance avant de tirer leur révérence. 

Si Cédric et Anne-Cécile s’orientent vers de nouvelles aventures, cette décision impacte aussi Manon et Bruno, piliers de l’équipe. Bruno quittera l’entreprise fin septembre, avec la volonté de rester dans le milieu du jeu. Manon, très attachée à « sa team » après six années d’aventure, restera jusqu’à fin décembre pour accompagner la communication des deux derniers titres avant de se tourner vers d’autres projets.

Dans leur message d’adieu, les Ludonaute insistent sur les rencontres et les liens uniques créés durant ces années : « Travailler dans le domaine du jeu a été une source de joies et de bonheurs multiples. Le jeu est un objet culturel unique qui rapproche les gens et provoque des émotions partagées inoubliables. Nous chérissons ces expériences. »

2025 apparaît décidément comme une année charnière pour le monde du jeu de société. Les difficultés touchent aussi bien des indépendants comme Opla que des géants tels que CMON. Après la disparition de Final Frontier Games ou encore de Funforge, c’est désormais Ludonaute qui choisit de refermer son chapitre éditorial. Une série d’événements qui interroge sur la soutenabilité du rythme actuel et sur l’avenir de la création dans ce secteur en pleine mutation (cf notre Edito Une croissance à double tranchant).

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