Lisboa, l’étalon portugais ?
Hé oui mesdames et messieurs, dans le coin gauche, un vrai poids lourd ! Il accuse à la pesée 4 kilogrammes 45 minutes d’explication de règles bien tassées, pour une durée d’environ 45 minutes par joueur ! Dans le coin droit, un groupe de joueurs au moins aussi lourds et coutumiers de la catégories, avides d’en découdre ! 🙂
Notre ami Mickey nous a lentement fait saliver avant de nous le présenter en cette fin d’année ludique : Lisboa, sorti fin 2017, rentre officiellement dans notre palmarès de cette année ludique ! (Année qui se déroule entre deux Essen pour nous.)
Alors oui, on est sur du Lacerda, ce portugais retors qui vendrait presque ses jeux au poids nous avait déjà eu avec Vinhos, Kanban, ou encore The Gallerist ! Et il nous a une nouvelle fois cueilli avec ce petit moment de grâce qu’est Lisboa. Il nous aura soumis à rude épreuve, mais nous aurons survécu à cette pêche neuronale ! On se relève du combat épuisés mais heureux et avec l’envie pressante d’en refaire une.
Alors pour la petite histoire, Lisbonne a subi, le 1er Novembre 1755, un tremblement de terre de magnitude 8,5 sur l’échelle de Richter, suivi d’un tsunami et de plusieurs jours d’incendies… Autant vous dire qu’il ne restait plus grand chose après ça.
Et en tant qu’aspirant noble soutenant le bon peuple à des fins absolument mercantiles et politiques, votre rôle sera de reconstruire la ville en usant de votre influence et de votre porte-monnaie pour installer des magasins (les vôtres !) et des bâtiments publics. Tout cela dans le but d’entrer dans les bonnes grâces du bon roi en acquérant le plus de prestige possible. Bon, on ne puisse pas dire qu’on soit dans une originalité thématique folle, mais arguons que c’est tout de même très correct pour ce style de jeu. On sait pourquoi on joue ! Et dans un eurogame c’est déjà pas mal ^^
Ce Just Played intervient après une partie à 3 joueurs avec mes compères Mickey et Nico.
Chapitre 1 : Matériel et Ergonomie
En bref : le jeu est de toute beauté, la lecture de la règle se fait aisément et si on accepte de se poser quelques questions sur certaines icônes en début de partie, le reste de celle-ci se déroule de manière fluide, sans retour aux règles.
Alors rentrons tout de suite dans le vif du sujet avec le matériel et l’ergonomie du jeu. Il s’agit là d’un point potentiellement très clivant. Non pas sur la qualité du matériel qui est vraiment irréprochable, mais plutôt du parti-pris du design et de l’ergonomie.
Le moins que l’on puisse dire en regardant le plateau de jeu, c’est qu’on a une impression de « chargé« . Lacerda ne vend pas du rêve, il vend du lourd et Lisboa a la tête de l’emploi. Vous savez où vous mettez les pieds. Notez que pour certains (dont je fais partie), le lourd c’est le rêve. 🙂
Après c’est sûr : il faut aimer le bleu et toutes ses nuances ! Moi, ça me va bien, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.
Cela dit, même si j’aime, je dois bien avouer que le manque de contraste n’aide pas à la bonne lecture des différentes zones du plateau central. Lors de l’explication des règles, il ne faudra pas hésiter à bien définir quelles sont les différentes parties du plateau.
Vient ensuite le plateau personnel qui est là aussi imposant, mais bien pensé néanmoins, chaque élément a sa place et ça fonctionne bien. Nonobstant, ces plateaux vont voir fleurir une pléthore de cartes, tuiles, maisons, etc. Et ils deviendront également fort chargés. Si vous êtes adepte des jeux épurés, vous serez un peu déconcerté par ce matériel qui est omniprésent et qui ne fait rien pour se faire discret.
J’en viens maintenant à l’ergonomie. Côté manipulation, celle-ci est très efficace, le jeu se joue facilement avec un matériel agréable à l’œil et au toucher et qui trouve bien sa place dans un ensemble homogène. Mais il y a quand même un écueil dans ce beau tableau, c’est l’iconographie ratée.
Disons-le clairement, certaines icônes sont ratées. Le rôle d’un icône est de marquer les esprit durant l’explication des règles pour que durant la partie, la vue de l’icône permette de se rappeler la règle. Certains icônes de Lisboa ne remplissent pas cette tâche et c’est le rappel de la règle qui permet de se souvenir du rôle de l’icône. C’est gênant et peut nuire à la compréhension lors d’une première partie, surtout pour un jeu de ce calibre.
Je pense en particulier aux officiels et aux perruques (symbole points de victoire) qui se confondent un peu. Il y a également les icônes des actions principales des 3 nobles qui ne sont pas suffisamment significatifs selon moi.
Cela étant dit, ce n’est tout de même pas insurmontable et tout cela ne nous a pas empêché de comprendre et assimiler les différents mécanismes du jeu rapidement. Et compte tenu de la complexité de la bête, c’est déjà un tour de force.
Enfin un dernier mot sur la règle qui est quand même exceptionnelle, tant dans sa présentation que dans sa profondeur. Elle est de plus enrichie de faits d’histoires réels sur les personnages et sur la ville de Lisbonne. Il y a même des petits livrets de règles personnels ! Alors ils ne sont pas forcément nécessaires et nous ne les avons pas sortis de la boite, mais les petits plats sont mis dans les grands. Le message est passé.
Chapitre 2 : les règles
En bref : vous jouez une carte Noble de votre main pour différents effets, et surtout pour construire une chaîne de production. Bref, c’est de la gestion de main !
Bon, je ne vais pas vous raconter la règle en détail. Celle-ci est disponible en français et en vidéo depuis la fiche du jeu ; je vous renvoie donc vers elle si vous voulez plus de détails.
Mais je vais quand même tenter de vous expliquer « grosse maille » comment ça fonctionne.
Le principe de base est très simple : à votre tour il vous suffit de jouer une carte Politique. Vous la jouez soit sur votre plateau personnel, soit sur le plateau central. Dans tous les cas, ça entraîne plusieurs actions/conséquences qui se croisent entre les différents mécanismes.
Et donc pour bien comprendre Lisboa, il faut bien comprendre les cartes Politique. Elles sont de 2 types différents : nobles (3 différents) et trésors.
Elles sont séparés en 4 paquets distincts sur le plateau de jeu principal et la première de chaque paquet est visible. Vous démarrez le jeu avec 5 cartes en main.
Quand vous la jouez sur votre plateau personnel, vous ignorez le type de noble, vous la mettez au-dessus de votre plateau et vous gagnez le bonus (indiqué sous le portrait, donc). Le chiffre d’influence, de son côté, aura de l’importance quand vous construirez un bateau. Une fois que vous avez gagné votre bonus, soit vous vendez une ou plusieurs marchandises sur les bateaux, soit vous faites du commerce avec les nobles. Échangez des ressources contre des actions secondaires (max 2).
Attention, dans tous les cas, il faudra utiliser une ou plusieurs ressources (biens) !
Quand vous la jouer sur le plateau principal, vous posez la carte sur la plateau et vous mettez le courtier à votre couleur dessus (ça rappelle que c’est votre tour). Vous ignorez l’influence et le bonus, et vous regardez uniquement la couleur du noble. Vous payez en influence (oui, c’est également une ressource dans le jeu) un montant équivalent au nombre d’officiels des autres joueurs sur ce noble en particulier. Les officiels que vous posez coûtent de l’influence aux autres joueurs, mais vous permettront également d’ouvrir des bâtiments publics. Puis vous réalisez 2 des 3 actions de ce noble.
En effet, chaque noble a 1 action principale et 2 actions secondaires qui sont :
1) Manuel de Maia (le vert – le bâtisseur) :
- action principale : construire un magasin. Ce sont les petites maisons en bas à droite de votre plateau personnel. Cela vous permet de gagner le bonus de là où vous le construisez, de libérer un bonus sur votre plateau personnel, de payer le coût (en réals) du terrain (dépend des débris et du cours de la banque), de récupérer un débris, et de gagner des points de victoires actuels et futurs en fonction des bâtiments public.
- action secondaire 1 : placez 2 de vos officiels sur les zones d’influence des nobles. Cela augmentera le coût en influence des nobles pour les autres joueurs et c’est également la ressource qui permet de construire des bâtiments administratifs.
- action secondaire 2 : prenez un plan de construction. Cela vous permettra de construire un bâtiment administratif.
2) Marquis de Pombal (le bleu – le ministre) :
- action principale : prenez une carte objectif. Chacune vous permet de gagner des perruques en fin de partie si vous remplissez les conditions.
- action secondaire 1 : Construisez un bateau. Cela vous coûte des marchandises et ça vous ramène de l’influence et des perruques en cours de partie et à la fin. Sans compter que ça vous permet aussi de toujours pouvoir vendre vos ressources.
- action secondaire 2 : Produire des ressources. Vous produisez une ressource par magasin que vous avez (en fonction du côté de la rue où vous l’avez construite).
3) Don José 1 (le rose – le roi) :
- action principale : construire un bâtiment administratif. Vous avez besoin d’un plan, puis de dépenser les officiels sur ce plan (que vous prenez du plateau principal, et que vous remettez sur votre plateau personnel). Vous placez le bâtiments public et vous faites marquer toutes les maisons correspondantes (y compris celles des autres joueurs !). À noter qu’en plaçant le bâtiment, vous récupérez aussi un bonus et des débris !
- action secondaire 1 : la visite au cardinal. Vous faites avancer le cardinal d’une case et vous prenez l’un des deux bonus encore disponible que vous mettez sur votre plateau personnel. Il peut s’agir d’un bonus unique ou permanent. Ces tuiles peuvent aussi vous faire gagner des perruques.
- action secondaire 2 : prenez un jeton politique d’une des 3 couleurs de nobles. Vous ne pouvez en avoir qu’un par couleur et ils vous permettent de faire des actions en dehors de votre tour.
L’action bonus :
Une fois que le joueur principal a fini son tour (d’où l’intérêt du courtier !). Dans l’ordre du tour, vous pouvez dépenser un jeton politique de la bonne couleur (celle correspondant au noble que le joueur principal a choisi) pour exécuter soit l’action principal, soit une action secondaire.
Sur une carte contrat il y a :
- au centre, une action principale ou un bonus immédiat
- au dessus, un rappel de l’action « bourse » quand vous la jouez sur votre plateau personnel
- au dessous, un bonus actif en permanence quand vous la jouez sous votre plateau personnel.
Lorsque vous jouez la carte sur le plateau principal, vous faites l’action ou vous prenez le bonus indiqué. Attention, les autres joueurs ne peuvent pas faire d’action bonus sur une carte contrat. Par contre, il vous en coûtera de l’or correspondant au niveau de la bourse.
Lorsque vous la jouez sur votre plateau personnel, vous la glissez en-dessous. Vous réalisez l’action bourse qui vous ramène de l’argent, et à partir de maintenant vous avez la ligne bonus de la carte de manière permanente.
Attention toutefois, vous ne pouvez posséder plus de ressources ou de cartes que votre niveau de « débris ». Il va donc falloir récupérer des petits cubes pour augmenter vos capacités. C’est également avec eux qu’on déclenche un décompte intermédiaire.
Une fois que vous résolu fait toutes les actions de votre carte politique, vous en prenez une autre face visible.
Bon, c’est une explication « très succincte » et je n’ai fait qu’effleurer toutes les règles et les subtilités du jeu !
Chapitre 3 : La mécanique
En bref : Lisboa propose, malgré sa complexité (et son ergonomie), un design clair, aux différents mécanismes imbriqués, obligeant à penser les différents axes de développement en même temps. Le scoring des points est intéressant, malgré les objectifs peu inspirés.
Fluidité
Après l’explication des règles bien velue, on se dit qu’il va falloir 3 parties avant de comprendre comment tout cela fonctionne. Mais soudain, après 2 tours de jeu, la magie se met en place et on comprend « presque » intuitivement comment tout s’imbrique.
Ça coule, c’est fluide, un vrai régal. C’est comme si on vous montrez des schémas de moteur de voiture pendant 45 mn, vous comprenez pas grand-chose, puis vous vous mettez au volant, et soudain tout roule.
C’est vraiment un point fort assez propre à Lacerda : si ses jeux sont complexes, la mécanique, elle, est vraiment fluide. Et même dans le cas où un joueur joue une action pendant un tour qui n’est pas le sien, il suffit de bien placer le petit meeple courtier prévu à cet effet et on sait facilement où on en est.
Cette compréhension « magique », c’est quand même un tour de force au vu de la complexité du jeu.
L’action en dehors de son tour
La possibilité de faire des actions en dehors de son tour est vraiment intéressante (notamment en « suivant » les actions du joueur principal). Mais c’est également très casse-gueule en termes de design, la gestion du tour peut vite devenir délicate. Il avait déjà proposé cette possibilité dans The Gallerist, mais ce mécanisme est mieux intégré ici. Le courtier est pratique.
De plus, sachant que le « coût » en action pour récupérer un pion d’action bonus est inférieur à 1, c’est intéressant d’aller les chercher. Seulement vous avez souvent pleins de choses à faire ! Il va donc falloir choisir entre des actions immédiates et des actions « gratuites » plus tard.
Cela va vous permettre de jouer sur le timing en jouant entre 2 de vos tours, de faire certaines actions plus souvent, de varier les plaisirs. Voire d’effectuer une action pour laquelle vous n’aurez pas la bonne carte.
Attention néanmoins, cette mécanique est séduisante, mais voyante. Et vos partenaires de jeu peuvent tenter de la contrer en ne prenant pas l’action qui vous intéresse. Et de fait quand vient votre tour, il peut être intéressant d’effectuer une action dans un axe où aucun autre joueur n’a de pions pour être le seul à en profiter !
L’intégration des mécanismes
L’intégration des mécanismes, c’est le croisement et l’interaction intrinsèque entre les différents mécanismes d’un jeu formant un ensemble homogène où on a l’impression que chaque choix va venir modifier plusieurs paramètres et avoir des incidences sur l’ensemble.
Elle est ici un modèle du genre et autant vous le dire, c’est une chose que j’aime énormément dans un jeu. À chaque fois que vient votre tour de jeu, votre choix va vous permettre d’agir sur plusieurs tableaux et mécanismes. Vous devez réfléchir simultanément sur différents axes, c’est prenant et passionnant.
Scoring
Le scoring se fera sur plusieurs éléments, avec néanmoins deux gros pôles que sont les magasins que vous aurez construits et les objectifs récupérés.
La partie magasin est complètement en accord avec le jeu et son histoire. Elle est de plus assez originale et demande de bien anticipé vos constructions. C’est une réussite.
Par contre, je trouve que la partie objectif n’est pas à la hauteur du jeu. J’ai trouvé qu’ils étaient un peu trop congrus. Vous pouvez prendre pas mal d’objectifs, mais ils ne débordent pas d’originalité et surtout sont assez limités. Je pense qu’ils sont intéressants, mais pas assez clivants pour orienter une stratégie particulière. Ou alors il faut parvenir à en prendre plusieurs.
Au final, on va donc mettre en place sa stratégie et continuer en espérant récupérer les objectifs qui vont dans le sens de celle-ci. On a la sensation qu’ils ont été ajoutés aux mécanismes pour augmenter la complexité du titre. Si ça n’enlève rien à la fluidité, c’est néanmoins pas assez original pour être un point fort du jeu.
Conclusion
Lisboa est le meilleur jeu auquel j’ai joué cette année.
Il est prenant, bien équilibré, très agréable à jouer, diversifié, complexe. Il nous a un peu fait penser à Bruxelles 1893. En tout cas, on avait largement envie d’en refaire une !
Il est prenant, bien équilibré, très agréable à jouer, diversifié, complexe. Il nous a un peu fait penser à Bruxelles 1893. En tout cas, on avait largement envie d’en refaire une !
On y a joué à trois joueurs et je pense que c’est la meilleure configuration. Mais il devrait cependant tourner correctement à 2 et 4 joueurs.
Bien sûr, il n’est pas exempt de défauts, d’ergonomie notamment, mais entre une intégration aux petits oignons, une mécanique fluide et pourtant complexe, et une prise en main exemplaire, il a tous les atouts pour devenir un must have dans le milieu de l’eurogame lourd.
Vital Lacerda, voilà un auteur passionné et passionnant, toujours disponible et qui n’hésite pas à pousser les murs de sa créativité pour amener toujours un plaisir ludique fort aux amateurs de jeux de gestion trapus. Il livre selon moi avec Lisboa sa création la plus aboutie. Un vrai diamant, ou plutôt un saphir !
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TheGoodTheBadAndTheMeeple 14/11/2018
De mon cote, le jeu m’a aussi fait penser a Bruxelles 1893. Cependant, j’aime moins ce dernier…
J’ai trouve le design graphique beaucoup trop lourd et peu lisible. Ca m’a semble tres surcharge pour un jeu finalement assez simple dans son tour de jeu.
J’ai trouve l’iconographie mauvaise, desole, mais sur les 2 premieres parties, on galere inutilement.
Clairement pas un coup de coeur pour moi.
La mecanique est interessante, la pose d’ouvrier subtile, c’est vrai. Mais pas ma preferee. Avoir un tableau a double entrees pour y poser des choses, ca me passionne pas.
Chacun ses gouts.
eolean 14/11/2018
Bien sûr chacun ses goûts et comme je disais, je comprends pour l’iconographie et la surcharge du jeu. Personnellement ça ne m’a pas empêché d’en profiter, mais je peux comprendre que ce soit gênant.
Pouillotin 16/11/2018
J adore ce jeu. Amha, les critiques faites à ce jeu sont a rapprocher de son thème : louvoyer au coeur d un appareil monarchique baroque, maitriser les codes d une administration opaque… 🙂
Pouillotin 16/11/2018
D’ailleurs, j’apprécie beaucoup The Gallerist (même si je lui préfère Lisboa) aussi pour sa vision du monde de l’art contemporain: on parle d’argent sans trop regarder des oeuvres qui piquent les yeux.