Les Basses Terres – Les moutons ne savent pas nager
Imaginé par Claudia et Ralf Partenheimer, de parfaits inconnus dans le monde ludique, Les Basses Terres est sorti en avril 2018 côté Feuerland Spiele sous le nom Das tiefe Land et fût localisé en français en juin de la même année, chez Z-Man games.
Les illustrations d’Andrea Boekhoff, l’illustrateur attitré de Uwe Rosenberg (Bohnanza, Cottage Garden, Indian Summer…), donnent tout de suite une patine très « jeu à l’allemande ».
Les Basses Terres est en effet un jeu de pose d’ouvriers qui nous met dans la peau d’éleveurs de moutons dans une partie de l’Écosse qui se retrouve régulièrement immergée sous l’assaut des vagues. Il vous faudra récupérer des ressources pour aménager vos clôtures et construire des bâtiments dans vos pâturages, mais vous devrez également participer en commun à l’édification d’une digue pour protéger vos terres de la marrée. Il s’agit donc d’un jeu compétitif teinté d’enjeux collaboratifs.
Débat ludique
Ayant moi-même un avis assez mitigé sur le jeu, je suis allé chercher l’avis d’une joueuse avec un ressenti différent du mien, afin de couvrir au maximum l’éventail des sensibilités.
Julie est joueuse depuis 4 ans et aime les jeux stratégiques, beaux et avec peu de hasard (avec une prédilection pour les jeux à deux). Ses jeux préférés sont Five Tribes, 7 Wonders Duel, Abyss, Rising Sun, Targui et Azul.
David – Je n’avais pas beaucoup d’attente par rapport à Les Basses Terres. Ne connaissant pas les auteurs [Ndlr dont c’est le premier titre édité], mon premier contact avec le jeu fut son matériel. La boîte est lourde et déborde de plateaux, meeples moutons, éléments de digue, cartes ressources… Les nombreux éléments en bois semblent justifier à eux seuls le prix assez élevé du jeu [Ndlr environ 63€].
Côté illustrations et ergonomie on est clairement sur un jeu à l’allemande et j’avoue que ça ne m’envoie pas du rêve.
Et toi Julie ? Comment as-tu accueilli ce jeu et quelles ont été tes premières impressions ?
Julie – J’ai tout de suite été séduite par l’illustration de la boîte, assez originale et qui nous propulse directement en Écosse. Je te rejoins par contre sur l’ergonomie du jeu. L’iconographie (notamment sur les tuiles bâtiments) est totalement incompréhensible. Même après 2 ou 3 parties on est constamment obligés de consulter le livret de références. Ça casse un peu le rythme de jeu.
Malgré tout, personnellement, j’ai eu beaucoup de plaisir à manipuler le matériel. J’aime que la menace soit incarnée avec cette marée qui monte littéralement via les éléments en 3D, et cette digue qui doit tenir pour protéger nos moutons.
La recomposition permanente de nos pâturages avec les clôtures en bois est aussi très sympathique. C’est presque un jeu dans le jeu pour optimiser la place disponible avec le moins d’action possible.
David – Effectivement c’est agréable, mais c’est aussi beaucoup de manipulations et une mise en place consécutivement assez laborieuse.
Sinon, en dehors des soucis d’ergonomie, il faut reconnaître que le jeu est hyper fluide. C’est de la pose d’ouvriers façon Outlive. Nous avons 3 ouvriers qui ont chacun une « force » allant de 2 à 4. Ce chiffre nous donne le nombre de points d’action disponibles. Il y a 5 actions possibles représentées sur nos plateaux personnels. Si je pose mon ouvrier avec une force 3 sur l’action « clôtures » je peux construire/déplacer jusqu’à 3 clôtures. Dès que tout le monde a joué ses 3 ouvriers, le tour d’actions est terminé. Simple et efficace.
Julie – Effectivement c’est assez élémentaire sur le principe. Mais ça se corse un peu avec la gestion des assistants qui vont aller renforcer nos actions. Il faut anticiper leurs déplacements lors de la phase de revenue en fonction des actions dont on aura besoin plus tard. Et le pouvoir de ces assistants est différent en fonction des actions (ajoute de la force à l’ouvrier, réduit le coût en ressources d’un bâtiment ou rend le marché plus attractif).
David – Certaines actions sont également contre-intuitives à mon sens. La construction de la digue est un cauchemar à expliquer et à maîtriser pour les joueurs peu avertis. Le fait de devoir utiliser le même matériau tout au long de la construction d’un élément se comprend aisément. Mais le fait de devoir changer impérativement de ressource pour l’élément suivant ne fait pas vraiment sens. Si on ajoute le fait de devoir inviter un autre joueur à participer à la construction sans utiliser d’ouvrier… on perd en général la moitié des joueurs.
Julie – Oui mais cette mécanique de construction de la digue est le cœur d’une grande partie des stratégies justement. Dois-je inviter un joueur qui pourra construire (au risque de le favoriser) pour faire avancer la digue et nous protéger de la marrée menaçante ? Ou dois-je au contraire inviter un joueur, sachant pertinemment qu’il n’a pas les ressources ?
Si la digue lâche, le prix du mouton va baisser et les points de victoire pour la contribution à la digue aussi. Si au contraire elle tient, c’est l’inverse.
David – On touche là justement le point le plus problématique du jeu à mon sens. Dans les bons eurogames il y a plusieurs stratégies possibles, plusieurs chemins qui peuvent nous emmener à la victoire. Dans Les Basses Terres il n’y a réellement que trois manières de scorer : les moutons (qui peuvent facilement représenter les 2/3 du score), la contribution à la digue et les bâtiments (dont le scoring est très marginal). Les deux seules façons de marquer sont donc intimement liées. Si vous faites du mouton en masse vous aurez tout intérêt à ce que la digue tienne. Et si vous vous lancez à corps perdu dans la construction de la digue vous favorisez automatiquement ceux qui font du mouton. La seule stratégie gagnante consiste donc à élever pléthore de moutons et à trouver une bonne pâte qui s’occupera de la digue pour vous…
Julie – De mon point de vue c’est tout de même un peu plus subtil. Les Basses Terres est un jeu de mesure. On va devoir faire un peu de tout, mais c’est une question de timing. Je te l’accorde, on ne peut pas gagner sans moutons. Mais le thème du jeu est assez clair là-dessus : nous sommes des éleveurs de mouton. 😉 Les seules questions qui demeurent sont : Combien en accumuler ? Où les faire paître ? Quand les vendre ou les acheter ? Comment gérer les naissances ?
Pour optimiser son élevage il faudra également investir dans des bâtiments et surtout bien les choisir. Nous ne pouvons en construire que 4 et toute erreur de casting peut être assez punitive. Sans oublier que l’on est soumis au hasard des bâtiments disponibles lors de la partie.
Même en faisant de l’élevage intensif il ne faut pas non plus perdre de vue la digue. Si l’on ne contribue pas suffisamment individuellement et que la digue lâche en fin de partie, ce sont potentiellement jusqu’à 10 ou 15 moutons que l’on peut perdre avant le comptage final.
David – C’est effectivement un équilibre difficile à trouver. Pour ma part je me suis senti à l’étroit dans ce jeu où toutes les actions se répondent les unes aux autres autour d’une thématique un peu étriquée. J’aime pouvoir orienter ma stratégie sur différents axes et avoir la sensation de faire de vrais choix. Dans Les Basses Terres nous faisons finalement tous la même chose, mais pas au même moment.
Et toi Julie ? Quel est ton ressenti global sur ce jeu ?
Julie – Malgré ses défauts, j’y rejouerai avec plaisir (et pas seulement parce que j’ai gagné toutes mes parties jusque là ;)). Je trouve cela plutôt rassurant d’être limité à des choix pragmatiques dans un thème concret. On ne risque pas de s’éparpiller et la voie à suivre semble assez évidente en fonction de la situation.
L’interaction représentée par la construction de la digue, les places limitées sur le marché aux moutons et la course aux bâtiments est également assez intéressante pour un jeu à l’allemande.
J’avais initialement un peu peur de la durée de partie annoncée. On va pas se mentir, on n’est pas sur un party game. La partie à 3 ou 4 joueurs dure facilement 1 h 30 (sans compter les explications qui prennent bien 20 mn). Fort heureusement il y a très peu de temps mort et on peut utiliser ceux-ci pour préparer son coup suivant.
David – Notons pour finir que le jury du Spiel des Jares a désigné les nominés de cette année 2019 accompagnée d’une liste de jeux recommandés [Ndlr voir news]. Dans la section Kennerspiel (Jeux experts) on retrouve Les Basses Terres au milieu d’une sélection assez prestigieuse : Architectes du Royaume de l’ouest (S. J. Macdonald & Shem Phillips), Newton (Nestore Mangone & Simone Luciani) et Paper Tales de Masato Uesugi.
Honnêtement, à mes yeux Les Basses Terres fait pale figure dans cette liste. Certes il y a de bonnes idées et les mécaniques sont plutôt bien abouties pour un premier jeu (je suppose que l’aide de Uwe Rosenberg a été précieuse pour éviter quelques boulettes). Mais nous ne sommes clairement pas au niveau de ces trois petites merveilles.
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morlockbob 21/06/2019
J’ai beaucoup aimé le principe de la digue, mais dès la deuxième partie, j’ai eu l’impression de me répéter. Et puis ce design, perso, je n’en peux plus