L’Actu du Participatif #6 – Novembre (1)
Comme promis, le sixième numéro de l’Actu du Participatif arrive deux semaines après le précédent. Parmi les jeux retenus pour cette première moitié de novembre, vous retrouverez quelques eurogames, de jolis jeux d’ambiance, ainsi qu’un jeu historique et un jeu de rôle.
J’ai consacré l’édito de ce mois-ci au fonctionnement économique du pledge, par différence avec la précommande, car je trouve qu’on peut facilement confrondre les deux. Surtout, n’hésitez pas à faire vivre l’Actu du Participatif en laissant un commentaire avec votre avis sur la question.
Bonne lecture et à dans deux semaines !
Si vous avez déjà parcouru une page de financement participatif jusqu’à la fin, vous savez qu’elle se termine généralement par une sous-section Risques et défis dans laquelle le créateur du projet explique ce qu’il va mettre en œuvre pour assurer la réalisation et la bonne livraison de son jeu. À la fin de la section, Kickstarter renvoie à sa FAQ sur la notion de responsabilité dans un projet, ce que ne fait pas Gamefound.
Pour faire simple, les conditions d’utilisation des deux plateformes affirment qu’il est de la seule responsabilité du créateur du projet de le mener à bien et que, si celui-ci manquait à ses engagements, ce serait aux backers de le traduire en justice. D’autre part, les deux plateformes de financement rappellent que soutenir un projet ne revient en aucun cas à acheter un jeu, comme cela pourrait être le cas sur un site de vente en ligne.
Heureusement, les cas qui nous rappellent cette notion de « responsabilité » pour les backers sont rares. La plupart du temps, en effet, même si un projet a du retard ou les frais de livraison augmentent considérablement, on finit toujours par recevoir la boîte étincelante pour laquelle nous avions bloqué la somme d’argent nécessaire à soutenir le projet, même si cela ne va pas sans faire quelques concessions.
Pour peu que le porteur du projet fasse l’effort de communiquer sur son avancement de façon transparente et régulière, les bailleurs de fonds ludiques se montrent compréhensifs et capables de prendre leur mal en patience quand des difficultés se présentent. Et il faut reconnaître que la plupart des créateurs et des maisons d’édition ont tiré des leçons des difficultés d’approvisionnement survenues durant et après la pandémie de Covid-19.
Que les augmentations des matières premières et des frais de livraison le justifient ou non, les événements survenus durant la pandémie auront poussé les maisons d’édition à estimer les frais de port de façon plus réaliste (ce qui les rend souvent plus onéreux) et à augmenter les montants des pledges. Ainsi, lorsqu’on connaît l’univers du participatif ou qu’on se renseigne auprès des communautés spécialisées sur le sujet (le forum Cwowd par exemple), on peut repérer assez facilement les porteurs de projets (le plus souvent, ce sont des maisons d’édition) dignes de confiance.
Qui dit digne de confiance, dit aussi qu’on peut soutenir un projet sans s’inquiéter outre mesure pour son argent : en fin de compte, même si la date de livraison risque d’être repoussée de quelques mois ou d’un an, on finira toujours par recevoir le jeu que nous convoitions tant. Ainsi, les frontières entre précommande et soutien d’un projet participatif finissent par s’émousser jusqu’à ce qu’on assimile le pledge à une précommande.
Dans les faits, des sites de vente de jeux bien connus contribuent à cette confusion : il devient de plus en plus fréquent de pouvoir précommander – généralement à un prix plus élevé – des jeux qui sont en late-pledge, c’est-à-dire dont la date de financement est dépassée, mais qu’on peut encore financer. La diffusion croissante de pledges spécifiques pour les boutiques (Retailer) y contribue probablement aussi.
Un autre phénomène intéressant est à constater : les pledges groupés, de pratique informelle pour des amis qui habitent à proximité, ont, pour ainsi dire, été institutionnalisés. Je ne parle pas ici de quelques échanges sur tel ou tel forum, mais de Crowdfinder.be, un site qui, après avoir été créé avec l’intention de grouper les contributions, a commencé à vendre en ligne des jeux… et des pledges à prix réduit, en faisant du pledge groupé combiné à la vente de jeux son modèle économique. S’il est vrai que sur ce site tout le monde peut prendre l’initiative d’un pledge groupé, il ne faut pas se leurrer : la prise de risque reste individuelle.
Pourtant, la précommande diffère du pledge pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le délai d’attente d’un pledge est généralement supérieur à celui de la précommande : la somme d’argent du pledge est ainsi retenue pendant plus longtemps (en général, les délais estimés sont d’un an environ), là où la précommande est livrée en quelques mois. Cette somme, si elle est prélevée à la fin du financement, elle ne comporte souvent pas les frais de livraison et la TVA.
Ainsi, d’un côté, les éditeurs de jeux à financement participatif se réservent le droit d’augmenter les frais de port à la livraison du jeu, ce qui implique que les soutiens du projet se retrouvent parfois à devoir débourser des sommes importantes, en complément du pledge, pour la livraison et la TVA de leur boîte, ou à perdre tout ou une partie de leur argent. De l’autre côté, la précommande est généralement débitée immédiatement et comprend la TVA et les frais de port.
Les modèles économiques du financement participatif et de la précommande semblent donc différer à la fois par la disponibilité du produit, le calcul des frais et des taxes, et la période pendant laquelle l’argent de la contribution est à disposition du créateur du projet. Cela se justifie notamment par la nécessité, pour le porteur du projet, de devoir recourir à des aides extérieures – les contributeurs en premier – pour réaliser son jeu, alors qu’une maison d’édition traditionnelle ou une boutique (physique ou en ligne) sont supposées réaliser leurs transactions de façon autonome, à partir du capital investi.
Si l’on suit la logique du financement participatif, c’est bien parce que le porteur d’un financement ne détient pas suffisamment de capitaux pour pouvoir le réaliser sans les contributions des backers, que ceux-ci sont susceptibles d’avoir à compléter leur pledge pour que le porteur puisse faire face à des augmentations ou des événements imprévus. En revanche, on oublie souvent que le porteur d’un financement est lié à ses contributeurs par un contrat qui l’oblige à mettre en œuvre les moyens nécessaires à réaliser le projet et à publier des mises à jour régulières et étayées sur l’avancement de celui-ci.
Alors, vers qui faut-il se tourner si le porteur d’un projet, par malhonnêteté ou impossibilité constatée, ne peut pas le mener à bon port ? Kickstarter et Gamefound répondent : vers la justice. Autrement dit, tout en étant financées par l’existence même des financements participatifs, ces plateformes ne gèrent en rien les contentieux ou les remboursements résultant d’un financement. De mon point de vue – qui est celui d’un joueur et d’un chroniqueur qui essaye de se tenir à la page -, la position de Kickstarter et Gamefound est particulièrement confortable.
Avant de vous inviter à partager en commentaire votre point de vue sur le financement participatif, je tenais à vous faire part d’une découverte que j’ai faite en m’intéressant aux jeux de guerre édités par GMT Games. En préfigurant le fonctionnement du financement participatif, GMT Games a mis en place depuis les années ’90 un système de précommande nommé P500 dans laquelle le prix du jeu et les frais de port sont réduits, tout en étant prélevés lors de la phase finale de production du jeu.
Le but affiché est d’éviter que leur trésorerie – qui n’est pas celle d’une grande maison d’édition – doive faire face à l’absence de demande de jeux qui auraient déjà été produits, ce qui mettrait cet éditeur en grande difficulté. Ainsi, cet éditeur peut s’assurer que les jeux produits rencontrent bien la demande du public – car la production d’un jeu n’est lancée qu’à partir de cinq cents précommandes -, tout en évitant de débiter les acheteurs trop longtemps avant la réception du jeu.
En effet, les précommandes sont ouvertes jusqu’à la phase de production finale, et c’est uniquement à ce moment-là que les acheteurs sont débités. D’un côté, l’argent ne reste donc pas bloqué et, de l’autre côté le temps est laissé aux joueurs de réfléchir à la pertinence de leur précommande, sans qu’ils soient pressés par le minuteur sanctionnant la fin du financement. Il paraît que c’est grâce à ce système de précommandes qui permet de limiter grandement la prise de risque que GMT Games a eu du succès durant les années ’90 alors que, au même moment, d’autres maisons d’édition faisaient faillite.
Alors, quand vous regardez l’état actuel de vos pledges et votre expérience dans le financement participatif, diriez-vous qu’un pledge s’apparente à une précommande déguisée, ou pledgez-vous en étant conscient que vous risquez de perdre cet argent ?
Unconscious Mind
Essen. En me renseignant sur ce jeu, j’ai eu l’impression que le travail sur les mécaniques est solide et que celles-ci sont cohérentes avec le thème. Le prix, au vu du matériel pléthorique (à mon avis, ça va prendre de la place !) et des augmentations que je constate depuis les derniers mois, me semble raisonnable bien qu’élevé. Enfin, Unconscious Mind sera disponible en français, car il sera localisé par Lucky Duck Games.
Unconscious Mind m’a d’abord surpris par son thème et j’aurais bien aimé le tester à
Vijayanagara de Cory Graham, Mathieu Johnson, Aman Matthews et Saverio Spagnolie, est un jeu historique de guerre dans lequel s’affrontent trois factions asymétriques. Réalisé lors de la 1ère édition de la Consim Game Jam dans laquelle les participants réalisent un prototype de jeu en trois jours, en recyclant un jeu de la série COIN (COunter-INsurgency), Vijayanagara s’inspire de Gandhi de Bruce Mansfield.
La série COIN essaye de modéliser par des mécaniques asymétriques, des conflits armées et/ou politiques dans lesquels s’affrontent des factions au modus operandi différent. En résultent des jeux stratégiques intéressants, mais souvent complexes. Vijayanagara tente de simplifier la structure des jeux COIN, tout en gardant le caractère asymétrique des trois différentes factions. Il inaugure ainsi l’Irregular Conflict Series de l’éditeur GMT Games, dont le but est de proposer des jeux plus simples mais tout aussi intéressants d’un point de vue stratégique.
Vijayanagara se déroule dans l’Inde du XIII et XIV siècle où le Sultanat de Delhi peine à garder le pouvoir. Le Royaume de Bahmani et l’Empire de Vijayanagara sont les deux autres factions du jeu. Les Bahmani sont un groupe indépendentiste composé de nobles, les Amirs, qui construisent des Forts défensifs. Vijayanagara comporte des dirigeants surmenés, les Rajas, qui tentent eux aussi de s’affranchir de la coupe du capricieux Sultanat de Delhi, et érigent des Temples.
Outre à tenter de maîtriser les aspirations indépendantistes des Bahmani et de Vijayanagara, le Sultanat devra également faire face aux invasions des Mongols qui sont déclenchées par certaines cartes. Contrôlés par le Royaume de Bahmani ou l’Empire de Vijayanagara, les Mongols essayent d’atteindre Delhi, depuis les montagnes, pour affaiblir le Sultanat.
Une partie de Vijayanagara prend fin lorsque la deuxième carte de l’Invasion des Timur est révélée. La faction gagnante est celle avec le plus de points. Pour parvenir à remporter la partie, chaque faction tentera d’utiliser au mieux ses points forts. Ainsi, le Sultanat peut compter sur les Gouverneurs et les Qasbah pour renforcer son pouvoir militaire et restaurer le contrôle de ses Provinces.
De son côté, l’Empire de Vijayanagara monte peu à peu en puissance, en construisant des Temples et en augmentant son influence dans le Deccan, ce qui lui permet de recruter des Rajas en plus grand nombre. Enfin, grâce à ses liens avec l’Asie centrale, le Royaume de Bahmani dispose plus facilement de Chevaux de Guerre et, lorsqu’il attaque, il peut demander le support de deux Amirs d’une province adjacente avec un Fort.
- Module TTS disponible sur le serveur Discord des jeux COIN
Fit to Print
Marchands de Karanor de Rémi Delaunoy est un jeu de course aux points : le premier joueur à atteindre les dix points de victoire met en effet fin à la partie. Pour y parvenir, on pourra construire des commerces, réaliser des quêtes et livrer des ressources aux différents endroits de la carte. Durant chaque tour de jeu, on réalise quatre actions à tour de rôle et, à la fin, on gagne les revenus qui peuvent être augmentés par des améliorations de votre plateau ou en embauchant des associés. Mais, pour venir à bout de vos adversaires, il ne faudra pas oublier le principe général du jeu : tout peut se négocier. Si vous êtes prêt à faire quelques concessions, vous pourrez même mettre les bâtons dans les roues de vos adversaires en effectuant une transaction au marché noir.
Il arrive…
Devenu introuvable à moins de soixante euros d’occasion,
Pour rappel, Gueules Noires est un jeu de placement d’ouvriers et de gestion de ressources dans lequel vous essayez de creuser et d’etendre votre mine afin de récupérer différents types de charbon et d’effectuer des livraisons. D’un côté, il s’agit d’un jeu dans lequel les cases d’action ne sont jamais bloquées, mais nécessitent de poser autant d’ouvriers supplémentaires que d’ouvriers déjà présents. Mais, de l’autre côté, Gueules Noires nécessitera de l’anticipation pour remporter des majorités à la fin de chaque manche et optimiser sa production et ses livraisons.
Amateurs de ce jeu, vous pouvez être rassurés : le lancement de Gueules Noires est pour bientôt !
Nous nous retrouvons à la fin du mois pour la prochaine Actu. À dans deux semaines !
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Umberling 15/11/2022
Le financement participatif (notamment via KS, Gamefound et consorts) ne signifie pas que l’éditeur n’engage pas de frais. Ce sont surtout les frais liés à la production qu’il décale grâce au FP, mais le travail de design, d’illustration, de sculpture, de communication, de marketing, et le montage de la page KS, qui sont tous coûteux, sont soit bien enclenchés soit totalement engagés avant la campagne : il y a un vrai coût dans la construction d’une campagne KS et, quoi qu’on en dise, une campagne ratée avec un bon jeu, ça ne réussit pas autant que ça devrait. Le P500 ne diffère pour moi du FP classique que par le décalage de trésorerie et l’absence de SG. Après, là où le financement participatif se dévore la queue et s’autodigère, c’est avec la surenchère : il faut certes faire toujours plus beau, toujours plus généreux, mais cela engendre souvent des marges non viables ou des projets boursouflés de trucs inutiles.
Sinon, on en parle de la DA de Chicken ? Perso, je la trouve trop cool ! 😀
El Duderiño 17/11/2022
Merci pour ces précisions !
Je l’ai bien aimée moi aussi la DA de Chicken. C’est joli, rapide et je pense qu’il doit être marrant comme jeu d’ambiance ! 🙂
Ihmotep 17/11/2022
Je pledge peu et avec des éditeurs que je connais (donc risque quasi nul). Globalement dans le monde du jeux le risque est assez minime, si un jeu étaité payé et non livré la réputation de l’éditeur serait trop entaché. Par contre les quelques exemples de jeux non conformes aux promesses et les hausses de coûts peuvent surprendre. Je vois une différence entre mes pledge Lacerda qui sont des pécommandes (le jeu est déjà finalisé et ne bouge pas, les strech goals sont en fait des éléments matériel « deluxe » dévoilé durant la campagne et les délais de livraison sont assez courts) et les projets participatifs comme ceux d’awaken realms où le jeu va encore beaucoup évolué durant et après la campagne, ce qui induit des délais très très (trop) long ^^. Personnellement ce que je n’aime pas dans les campagnes de projet participatifs ce sont ceux qui scient la branche sur laquelle ils sont assis. Pour moi l’intérêt du KS doit être esthétique et pécunier (ce dernier point est de moins en moins vrai mais peu être compensé par une belle édition KS). Je déteste quand le KS inclus des éléments de gameplay important (une extension entière) non fournit en retail. Les boutiques sont une chaine majeures du monde du jeu, tout le monde ne peut pas pledger, un joueur ne devrait pas être pénalisé s’il n’a pas pu pledger un jeu. Certains editeurs affirment que sans la carotte du contenu exclusif pas de backers. Carnegie a fait une campagne qui me semble honorable, avec une édition KS upper en terme de matériel, et du contenu additionnel disponible en boutique contre la modique somme de 7€50. Du coup prise de risque minime pour le backers, son financement lui amène un jeu plus jolie pour un prix identique à la version boutique, l’éditeur peut éditer son jeu sans gros risque financier et le joueur lambda peut acheter son jeu en boutique sans devoir passer par de l’occaz spéculative pour avoir la version complète du jeu (en terme de contenu ingame)
El Duderiño 17/11/2022
Je n’ai pas abordé cette question des produits réservés aux seuls backers (je me la réserve pour un prochain édito 😉 ), mais je suis d’accord avec toi pour dire qu’il ne faut pas que ces produits exclusifs aient un impact sur les possibilités de jeu. Sinon, on risque effectivement d’avoir des joueurs de 1ère et de 2e série…
Il y a après une autre question qui est celle des petits éditeurs ou des jeux produits en nombre réduit d’exemplaires qui ne peuvent pas être distribués dans les boutiques, mais pour le coup c’est en particulier pour ces projets là que le financement participatif a tout son sens, selon moi.
Ihmotep 18/11/2022
Oui, hélas c est dur pour ses éditeurs d’émergés au milieu des mastodontes qui ont détourné l’essence première des financements participatifs 🙁