Kitara, la guerre pour la paix
Des jeux de contrôle de territoires, on peut en citer des centaines. Du minimaliste 8 minutes pour un Empire à Twilight Imperium en passant par le récent Tortuga 2199, il y en a de toutes les couleurs et surtout pour tous les goûts.
C’est alors qu’Eric B. Vogel, auteur plutôt peu connu en France mais œuvrant dans le milieu du jeu de société depuis 2004 avec des titres comme The Dresden Files Cooperative Card Game ou Romans go home!, débarque avec Kitara chez l’éditeur Iello fin 2020. Comment positionner cette création au milieu de la marée de jeux du genre déjà existante ?
C’est Ki Tara ?
Pour 2 à 4 joueurs de 10 ans et plus, Kitara vous propose de prendre la tête d’un royaume afro-fantastique au cœur de l’Empire du même nom.
Un peu de contexte s’impose. Les terres de Kitara étaient autrefois un havre de paix et de prospérité où chacun pouvait profiter des richesses de ses terres. Votre but, rétablir cette paix d’antan en faisant… la guerre. Bon… passons là dessus, on en a déjà vu plus d’un revendiquer la paix et l’amour de l’autre à grand coup d’épées et de boucliers.
Malgré cet accroc Kitara offre un univers original illustré par le talentueux Miguel Coimbra qui n’est plus à présenter (7 Wonders, Cyclades, SmallWorld…). Nous avons été tout de même un peu déçus par le fait que la plupart de ses illustrations soient seulement présentes sur la boîte ou dans le livret de règles. Finalement, une fois le jeu installé sur la table, ce n’est qu’avec les quatre illustrations des plateaux joueurs qu’on nous offrent la possibilité d’être transporté dans cet univers original.
Certains pourraient tout de même crier au cliché en montrant du doigt ces guerrières et guerriers africains chevauchant des animaux de la savane. Alors oui, ce détail est que pure création de l’illustrateur, mais le reste de l’histoire de Kitara est inspiré de mythes et légendes de cet Empire perdu. L’auteur explique d’ailleurs son choix et ses recherches en fin de livret de règle.
Un Empire pour les gouverner tous
Nous sommes ici dans un jeu d’affrontement qui cherche à se démarquer de ses pairs. Sa rivière de cartes dans laquelle nous allons piocher lors de notre tour est au centre du gameplay. Mais il est aussi intéressant de noter que pour un jeu d’affrontement, on ne détruit pas les unités adverses, on ne fait seulement que les pousser. Adieux les batailles à grands coups de haches et de glaives, ici on se bat à coups de pieds aux fesses !
Passons rapidement sur le gameplay. Chacun son tour, les joueurs vont effectuer les phases suivantes : Piochez, Recrutez, Déplacez, Scorez, Gérez, avant de passer la main à son voisin.
Les cartes qui composeront votre Royaume sont divisées en cinq lignes afin de représenter les différentes phases. Les symboles sur chaque ligne vont alors influer sur la phase correspondante. Les symboles de cartes, sur la première ligne, représentent le nombre de cartes supplémentaires que vous pouvez atteindre sur la rivière. Les symboles de pions, sur la seconde ligne, représentent les unités que vous pourrez ajouter sur le plateau. Les flèches, sur la troisième ligne, représentent le nombre de déplacements que vous pourrez effectuer, etc.
Tout va donc se jouer autour des cartes que vous aurez sélectionnées. Bien entendu, les cartes n’arborent pas toutes les mêmes configurations de symboles pour rendre vos choix un peu plus complexes et ajouter de la diversité à vos parties. Alors, choisirez-vous plutôt une carte pour recruter plus d’unités ou une carte qui vous fait directement scorer des points de prospérité ? Ce système de rivière de cartes utilisé dans un jeu de conquête nous a beaucoup séduit, surtout quand on sait que les cartes que l’on ne prend pas vont surement finir dans les Royaumes de nos adversaires.
Pour ce qui est des affrontements sur le plateau de jeu, ils sont simples et efficaces. Pour chasser un adversaire d’une zone, vous devez déplacer un groupe d’unités strictement supérieur au nombre d’unités adverses sur cette zone. Il déplace alors toutes ses unités ainsi chassées sur la zone la plus proche déjà occupée par d’autres de ses unités.
Comme je le disais, il n’y a pas de destruction directe des pions adverses. On force nos adversaires à regrouper leurs unités plutôt que de les détruire. Voilà qui oblige donc à réfléchir à comment regrouper vos unités quand vous vous ferez chasser de vos terres par vos adversaires.
Mais pourquoi faire tout cela ? Pour scorer des points de prospérité pardi ! Mais aussi et surtout, pour positionner vos Guerriers sur des zones de Savanes. En effet, si à la phase 5 (Gérez) vous ne contrôlez pas au moins autant de Savanes que de cartes dans votre Royaume, alors vous en défaussez une. Ainsi qu’autant de pions nécessaires jusqu’à en avoir le nombre représenté sur vos cartes restantes. Voila comment faire passer une armée imposante sur le plateau à quelques pauvres pions faisant pâle figure face à vos adversaires.
Ça s’en va et ça revient…
Avec ces informations on se rend vite compte que Kitara n’est pas un jeu d’affrontement et de contrôle de territoire comme les autres. Le fait que l’on score à la fin de son tour de jeu fait que l’on va surtout chercher à se positionner pour gagner le plus de points de prospérité… Mais aussi afin de garder les cartes de notre royaume qui nous offre plus de choix sur les cartes que l’on va piocher dans les prochains tours, plus d’unités sur le plateau, plus de mouvements… Plus de cartes, pour les dominer tous !
En fait, dans Kitara un tour de jeu ressemble plus à un casse-tête personnel pour subvenir à ses besoins en engendrant le plus de points plutôt que de réellement nuire à ses adversaires. On ne fait que chasser ces derniers, ils ne seront alors pas en sous-effectif lors de leur prochain tour de jeu et pourront chercher de nouveau à s’étendre au mieux sur le plateau.
Un effet de yo-yo s’immisce petit à petit dans la partie, délaissant les phases de combats à rebondissements si chères aux jeux de contrôle de territoire, en gardant seulement le besoin de contrôle pour subvenir à ses besoins. Ce sentiment de ballet permanent sur le plateau est renforcé par le manque de Savanes présent sur ce dernier. Là où en début de partie chacun arrive à développer son Royaume dans son coin, on se retrouve inévitablement obligé d’aller à la confrontation pour récupérer les zones de Savanes qui nous manquent. Malheureusement cette confrontation arrive un peu trop tard dans la partie. Que ce soit à 2, 3 ou 4 joueurs, on se retrouve forcés de repousser ses adversaires qu’à partir du tour 3 ou 4. Mais le jeu ne dure que 7 tours, 9 tours à 3 joueurs, c’est donc à la moitié du jeu que commencent réellement les hostilités.
C’est aussi à ce moment de la partie que les joueurs ont la totalité de leurs unités sur le plateau. Tout le monde se retrouve donc avec ses 13 pions qui se déploient lors de leurs tours, pour finalement se replier quand ils sont chassés par les adversaires. Ce va-et-vient incessant devient de plus en plus fade au fur et à mesure d’une partie, durant laquelle on se retrouve tout au plus une ou deux fois en difficulté. Difficulté qui ne nous est pas vraiment apparue comme telle car même si vous perdez une partie de vos unités, aux prochains tours vous arriverez tout de même à reposer la quasi totalité de vos troupes sur le plateau.
Le sentiment n’est tout de même pas que négatif. Une réelle satisfaction s’empare tout de même de nous lorsque l’on réussit à prendre en compte le contrôle des Savanes, le repli de nos troupes et à engendrer des points de prospérité.
Jouer avec seulement trois types d’unités permet de ne pas alourdir le jeu en offrant quand même une dimension stratégique lors de ses déplacements. Surtout avec les héros qui nous apportent des points de prospérité lors de leurs participation aux combats.
Le jeu propose tout de même un second paquet de cartes et ainsi offre de la diversité pour vos parties futures. C’est bien généreux mais au final qu’on prenne un paquet ou l’autre cela ne va pas changer grand chose. Dommage.
Kitara’té le coche
Kitara se concentre au final sur l’essentiel d’un jeu de contrôle de territoire… le contrôle. Là où les amateurs du genre ne seront surement pas rassasiés, les nouveaux joueurs seront eux sûrement contents de pouvoir s’initier ainsi au genre. Par ailleurs, si vous n’êtes pas trop du style à vouloir écraser vos adversaires à chaque interaction, ou/et que le thème original de Kitara vous parle, c’est peut-être le jeu qu’il manque à votre ludothèque.
Aujourd’hui, pour Kitara, le principal problème à mon sens, c’est que la concurrence est rude. Des jeux modernes offrant une dimension stratégique tout en étant faciles à aborder, il en existe un grand nombre. Les parties ont tout de même tendance à se ressembler malgré la présence des deux paquets de cartes. Je recommanderais peut-être plutôt de jouer à SmallWorld, un peu plus classique mais avec un renouvellement bien plus conséquent.
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