J’illustre 01 : les illustrations dans les jeux de société
Pour le lancement de Ludovox, j’ai discuté avec les fondateurs du site afin de trouver une nouvelle idée de rubrique à vous proposer, chers lecteurs.
Une idée qui sorte un peu de l’ordinaire, qui ne fasse pas forcément doublon avec ce que l’on peut lire ailleurs, mais aussi quelque chose qui puisse me stimuler intellectuellement. C’est alors que Shanouillette m’a proposé d’écrire sur les illustrations dans les jeux de société.
Je fus emballé de suite. Oui mais voilà, une fois le moment d’excitation passé, que dire sur ce domaine, qui même si je le connais bien, reste quelque chose de très subjectif.
Venant tout juste de recevoir Madame Ching, un jeu de Bruno Cathala et Ludovic Maublanc, illustré par Vincent Dutrait, je me suis dit qu’il serait intéressant de parler du style graphique de l’artiste, ainsi que des petites astuces graphiques qui parsèment l’édition de ce jeu.
Cela me semblait une bonne idée, mais pas forcément un bon premier article.
C’est pourquoi, avant de vous parler de Vincent Dutrait, je voulais introduire cette rubrique en vous parlant d’illustration de manière générale, et de son évolution dans les jeux de société, en guise de petite introduction de la rubrique.
Cette rubrique, vient à peine de naître, elle est encore toute jeune donc n’hésitez pas à laisser vos impressions et idées dans les commentaires pour la faire évoluer.
L’illustration fait partie intégrante du jeu. Elle est si importante qu’elle conditionne souvent nos achats, et cela que l’on connaisse déjà les règles du jeu ou non. Un jeu qui dispose de graphismes qui nous repoussent aura bien du mal à nous convaincre, tout comme un jeu proposant de superbes illustrations aura toutes les chances d’attirer notre attention sur les étals de notre boutique locale.
Cependant, si les illustrations sont une condition sine qua non pour vendre, il n’a pas toujours été possible techniquement de proposer des jeux aux visuels irréprochables et empreints de couleurs chatoyantes.
L’art est avant tout un moyen d’expression. Avant même de le définir par ce terme nos ancêtres préhistoriques faisaient déjà de la musique, pouvaient exprimer des sons et donc chanter, et aussi dessiner. C’était sûrement avant toute chose un moyen d’expression. Ce moyen d’expression va devenir, avec le temps, une manière d’embellir les objets du quotidien, de leur donner un style, qui va ainsi se propager à travers des civilisations entières.
Les spirales celtes se retrouvent ainsi sur tous les objets de cette culture, les motifs géométriques grecs sont dessinés sur chaque poterie et cela à travers toute la Grèce.
Le dessin et les motifs prennent une importance capitale, que ce soit pour embellir un objet, mais aussi pour déterminer son statut (avec l’utilisation de matières plus ou moins précieuses), ou encore pour englober ces objets dans une culture aux frontières bien délimitées.
Le premier jeu historique est le Senet, jeu de l’Égypte antique. Le plus vieil exemplaire a été retrouvé dans la tombe d’Amenhotep III. Or celui-ci possède déjà un coloris bleu prédominant, ainsi que divers motifs. Il ne s’agit pas d’un banal coffret non travaillé, même les pièces sont de formes différentes. Il serait dommage de ne pas reconnaître qu’il s’agit des premières illustrations pour un jeu de société, et même d’une première boîte de jeu : ce Senet est en fait une boîte à tiroir où l’on peut ranger les pièces et sur laquelle est dessiné le plateau.
Comme si le jeu de société était déjà né avec des illustrations et une boîte, comme si ces éléments étaient quasi indissociables. D’ailleurs sans eux est-ce que vous jouiriez aux jeux ? Imaginez un jeu comme Descendance, mais sans aucun graphisme, juste des tableaux, des feuilles blanches et des crayons, ça serait totalement repoussant. Et que dire d’un jeu comme Dixit qui s’articule entièrement autour de ses illustrations ?
Mais reprenons notre fil historique si vous le voulez bien. Les jeux suivants à voir le jour sont les dés, où sont figurés des points, le go (qui lui ne possède aucun graphisme), ou encore les échecs qui possèdent des pions sculptés. (Bien entendu je ne les ai pas tous évoqués.)
La boîte, encombrante sur les champs de bataille, est délaissée au profit du cuir. Les dés et les osselets qui tiennent dans une besace sont très appréciés, la part de hasard qui en découle également, celui-ci étant vu comme un geste divin. Les jeux sortent alors de leurs carcans prophétiques ou nobles pour se propager à travers le peuple. Ce sont donc deux publics distincts qui vont se créer : les nobles qui jouent dans leurs beaux salons et le peuple qui joue où il peut.
Les jeux en bois vont alors avoir de fervents admirateurs. Il ne sera pas rare qu’un jeu manufacturé par un artisan soit offert lors d’un voyage diplomatique. Ce cadeau est gage de qualité manufactuelle et artistique. Il est très importante qu'il ne paraisse pas radin. On commence doucement à comprendre l’importance de la qualité d’un objet, et de ses ornements. C’est aussi le retour des boîtes, qui loin d’être de banales caisses, sont également très travaillées.
Les jeux de cartes vont alors faire leurs apparitions vers 1360, et avec eux de nombreux artistes. Les cartes ont besoin d’être illustrées, il faut donc des artistes pour cela.
Les cartes sont également des supports très simples à personnaliser, de nombreuses variantes régionales ou nationales vont alors voir le jour. Mais les cartes sont fragiles, il leur faut donc une boîte pour les ranger : c’est la naissance des jeux illustrés sur des supports papier ou carton.
L’invention de l’imprimerie va grandement aider l’évolution, même si les couleurs sont encore faites à la main et qu’elles le resteront encore pendant de nombreux siècles, jusqu’au XXe pour être précis.
Bien entendu l’histoire et ses nombreuses lois ou fluctuations gouvernementales va énormément influencer les jeux et leurs représentations, que ce soit dans les esprits ou sur le papier. On va ainsi voir naître de nombreux jeux nationalistes ou révolutionnaires, voire même à caractère moralisateur ou de propagande. Je pense bien sûr au très modulable jeu de l’oie, où les illustrations sont une chose primordiale pour ainsi parler aux illettrés, mais aussi aux cerveaux malléables des enfants.
Nous sommes à la fin du XIXe siècle, et les jeux deviennent des acteurs importants dans notre société.
Jusqu’alors les jeux pouvaient être créés par n’importe quel artisan. Il n’existait aucun moyen de déposer des règles. L’un des premiers jeux édités sous brevet sera Landlord Game (photo à gauche), qui deviendra ensuite le très connu Monopoly dans les années 1930.
Des éditeurs voient le jour, et des exemplaires identiques commencent à sortir des usines.
Pourtant, les illustrateurs ne sont pas pour autant crédités sur la boîte, tout comme les auteurs d’ailleurs. Ce ne sont que de simples maillons dans la chaîne de la création et surtout de la fabrication.
Des petites boîtes en bois illustrées par des graveurs, et rehaussées d’aquarelle de la fin du XIXe, on passe aux boîtes en carton aux graphismes plus stylisés ou évocateurs, voire parfois fantaisistes, tout dépend des modes.
Bien entendu les productions restent modestes et les moyens pour les mettre en œuvre sont encore limités.
Risk arrive sur les étals en 1957 sous le sobriquet de La Conquête du Monde, et avec lui les premiers jeux de plateau édités à grande échelle.
Quelques années auparavant c’est le 1000 bornes qui avait réussi à faire une très belle percée dans le monde du jeu de cartes, tout comme le Scrabble remplaçait petit à petit le Lexicon.
Les boîtes étaient alors très sobres, laissant la part belle au titre du jeu, souvent sans fioritures. Un peu comme le mouvement minimaliste qui sévit à notre époque sur les affiches de cinéma ou encore certains jeux de société.
Le plastique était souvent de mise, de même que le carton et les grandes boîtes, où un calage en carton tapissait le fond un peu inutilement. Les règles étaient aussi souvent écrites à la machine à écrire sur du simple papier blanc.
Les illustrations, quant à elles, étaient souvent réalisées à la peinture à l’huile ou à l’aquarelle (l’acrylique apparaissant au Mexique dans les années 60).
Les éditeurs se cherchent et dans les années 70, on verra apparaître de nombreux jeux copiés les uns sur les autres (à la manière de Space Invaders et de ses nombreux clones dans le monde des jeux vidéo). Les années 70, c’est aussi l’arrivée des jeux de rôle et de leurs manuels souvent illustrés en noir et blanc, et donc dessinés à la plume et au crayon. Les livres dont vous êtes le héros reprendront d’ailleurs ce style graphique, très inspiré par le Seigneur des Anneaux et le travail d’Alan Lee.
Puis l’informatique entre dans les méthodes de production, que ce soit pour diriger les machines d’impression ou bien pour réaliser les visuels des jeux. Les illustrations réalisées à la main vont peu à peu laisser leur place, ou du moins cohabiter avec le numérique.
Bien entendu cela ne sera pas forcément le cas dans tous les pays, certains préférant garder le traditionnel pour ses jeux, notamment les jeux pour enfants, sur lesquels il n’est pas rare, encore de nos jours, de voir des illustrations réalisées à la main.
C’est aussi l’arrivée du célèbre Meeple de Carcassonne qui va devenir le principal symbole du jeu de société : on le retrouvera partout et dans des formes très variées.
Les jeux abstraits continuent d’être édités, et trouvent parfois une seconde jeunesse avec des éditions en bois, qui remplacent de façon plus noble le plastique. Les années 90 voient apparaître de grands classiques du jeu de société moderne : les colons de Catane, Carcassonne et le Verger. Trois jeux allemands qui annoncent une vague de nouveaux auteurs connus et reconnus, et qui apportent avec eux de nouveaux illustrateurs talentueux.
La technologie se modernisant, la qualité des éditions va aller en grandissant. De nombreuses gammes vont voir le jour, proposant parfois des graphismes atypiques qui attirent l’œil. Je pense notamment aux jeux Djeco qui possèdent des graphismes bien particuliers.
Ça sera aussi l’époque d’une émergence du jeu français, qui une nouvelle fois apporte de nouveaux canons de beauté, ainsi que sa patte graphique, parfois bien éloignée des jeux allemands ou américains. Les illustrations vont devenir de vrais arguments de vente à part entière, faisant partie intégrante du produit, lui donnant un cachet et une âme, et plusieurs noms vont commencer à tourner dans le monde du jeu. Avoir certains illustrateurs dans son écurie est signe d’un jeu de qualité, d’un jeu qui plaira graphiquement et qui attirera l’œil.
Et c’est justement tout ce travail graphique que je vais essayer de brosser tout au long de mes futurs articles sur l’illustration dans les jeux de société !
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Meeple_Cam 08/07/2014
Je ne comprends pas du tout de quoi tu veux parler
Ceci dit, cet article est très intéressant et la suite a du potentiel. J'ai hâte de lire ça.
Meeple_Cam 08/07/2014
Il manque un smiley au bout de ma 1er phrase. Evidemment que je comprend de quoi tu parles. 🙂
Antony 08/07/2014
J'ai dévoré cet article avec beaucoup d'intérêt.
Je le trouve fort intéressant et donne envie d'en savoir plus, notamment sur les noms des illustrateurs reconnus que tu évoques en fin d'article.
Donc, vivement la suite !
P.S : Comme dans l'introduction, tu demandes nos impressions, la mienne est juste que je trouve qu'il manque quelques dates à certains moments de l'article afin de mieux me repérer. C'est tout !