Puerto Rico : Jason Perez de la version 1897 se désolidarise du projet
Puerto Rico est un jeu de société avec une sacrée réputation auprès de la communauté ludique internationale. Publié pour la première fois en 2002, ce jeu signé Andreas Seyfarth est resté numéro 1 sur BGG entre 2003 et 2008, quand Agricola a pris sa place. Actuellement, il est toujours dans le top 50 des meilleurs jeux de tous les temps sur le site de référence.
Pourtant, Puerto Rico, par son traitement thématique, a fait couler beaucoup d’encre en vingt ans, et cela continue encore en 2024. Le jeu initialement vous propose de jouer des gouverneurs coloniaux de l’île, sachant que les plantations et bâtiments ne tournent qu’avec la présence de “colons”, terme symbolisant ici des personnes qui arrivent sur l’île par bateau et représentées alors par des cubes bruns. Autrement dit, on parle d’esclavage, mais sans jamais le nommer, comme si c’était à la fois évident et indicible. Cette question fut rarement accueillie à bras ouverts sur les forums ludique, la communauté préférant souvent écarter cette problématique délicate pour se concentrer sur les sensations de jeu et le plaisir ludique. Néanmoins, Alea/Ravensburger qui récupère les droits en 2020 auprès de Rio Grande Games, décide de publier une version repensée, pour la première fois alors les cubes bruns deviennent violets, tandis que les « colons » n’entrent plus en jeu par bateau, mais sont recrutés dans une taverne.
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C’est alors que Jason Perez, de la chaîne YouTube Shelf Stories (et qui s’avère être portoricain), publie une vidéo sur BGG intitulée « Les changements pour aborder l’esclavage et le colonialisme dans cette édition ne vont pas assez loin” – vidéo qui attire immédiatement l’attention de André Maack de la maison Alea. Jason Perez est contacté, et pourra s’impliquer dans le projet en 2021. Il publie d’ailleurs une nouvelle vidéo « Puerto Rico 1897 : Une nouvelle vision pour le jeu de société » où il explique ce qu’il voudrait changer dans le jeu. Concrètement, on change d’époque, délaissant 1500 pour 1897, et les rôles évoluent : « Vous n’êtes pas un capitaliste ou un marchand, mais plutôt un fermier portoricain indépendant », explique Perez.
Ainsi, Puerto Rico 1897, puisque ce sera le nom de cette itération, propose que le tabac devienne la récolte la plus précieuse du jeu – symbole de son rôle clef dans l’économie de l’île à cette période. Pour son travail, Perez est grandement épaulé par la Dr. Teresita Levy professeur au Lehman College à New York, autrice du livre Puerto Ricans in the Empire : Tobacco Growers and U.S. Colonialism. Ensemble, ils traquent toutes les incohérences historiques du jeu d’origine pour les régler. En parallèle, les visuels et en particulier la couverture évoluent pour représenter plus fidèlement la nature multiculturelle des habitants de l’île.
Perez voulait aussi toucher au gameplay, mais cela n’aboutira pas : « Je voulais payer la main-d’œuvre », a-t-il expliqué. « Cela aurait fait plus que n’importe quoi d’autre pour annoncer que ce n’était plus un jeu sur l’esclavage. Actuellement, ils ne se fatiguent jamais. L’ancien jeu était une fantaisie de patron, mais même les esclaves coûtent de l’argent. »
Pour Cassidy Werner, responsable marketing international chez Ravensburger North America, toute cette histoire aura permis à l’entreprise de progresser dans le bon sens : “Nous avons modifié notre processus de développement pour inclure un comité de diversité et d’inclusivité”. Ainsi, un certain nombre de questions sont posées avec des personnes qualifiées avant de valider un projet : “Il s’agit de prendre soin de vos joueurs et de les faire se sentir tous les bienvenus. »
Malgré ce travail très positif pour le jeu, Perez a publié une vidéo dernièrement (qu’il a ensuite retirée pour cause de « mauvaises interprétations ») intitulée “J’ai créé le thème de Puerto Rico 1897 maintenant je le rejette”. Il a déclaré sur BGG : “J’étais animé par une vision plus large de l’inclusion qui s’adressait aux joueurs existants, aux nouveaux joueurs, et à mon propre héritage portoricain. Cependant, cela ne s’est pas avéré être l’approche à adopter.”
Il ajoute : “L’inclusion réelle signifie élever les créateurs, pas seulement leurs créations. Dans ce cas, créateur et création ont été séparés d’une manière que je n’aurais jamais voulue. Bien que les entreprises puissent faire ce qu’elles veulent avec leurs produits, je crois fermement que ce n’est pas le chemin à suivre pour créer des produits dignes de termes comme « inclusion », « authenticité » ou « représentation ». Cela me rend triste que mon nouveau thème d’histoire, à mon avis, ne corresponde pas à ces idéaux.
L’aspect culturel – un Portoricain qui tente d’apporter quelque chose de nouveau et d’authentique à un jeu appelé Puerto Rico – ne fait qu’ajouter plus d’ironie et de déception. Je sens que notre industrie a encore beaucoup de chemin à parcourir.”
Ce ne sont pas les changements thématiques qui sont questionnés : il semblerait qu’il y ait eu des tensions et des désaccords entre Perez et les éditeurs du jeu – mais Perez ne souhaite pas s’appesantir sur les raisons de cette rupture et conclut : “Il suffit de dire que je ne suis plus impliqué dans le projet.”
À l’heure où une nouvelle édition de Puerto Rico 1897 en partenariat avec Awaken Realms se prépare sur Gamefound et avait déjà fait polémique à cause de l’utilisation de l’IA (news) difficile de savoir comment le public va réagir au moment du lancement du projet.
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