Interview de Mr Faidutti
On ne le présente plus ! Monsieur Bruno Faidutti, professeur agrégé de Sciences Sociales, Docteur en histoire, auteur de jeux de société (Tempête sur l’échiquier, Mystère à l’abbaye, Citadelles, Ad Astra, Mascarade…), bloggeur à ses heures… Non, on ne le présente plus.
J’ai eu la chance de pouvoir lui poser quelques questions, alors voilà, on parle de son actu, de sa démarche de créateur, des femmes… C’est ici :
– Il me tarde de savoir sur quoi vous travaillez actuellement ! Je me souviens que vous aviez une dizaine de prototypes pour Cannes dernier… Où en sont ces projets?
– Eh bien, pour l’essentiel, les projets sont toujours les mêmes…. J’ai été pas mal pris par les derniers réglages, puis la sortie et la promotion de Mascarade, dans laquelle je me suis pas mal investi, et le développement est un peu passé au second plan. Il y a bien quelques nouvelles idées, notamment dans les jeux pour enfants auxquels j’essaie de me mettre en collaboration avec Anja Wrede, mais pas de truc vraiment ambitieux.
– Avez-vous rencontré des éditeurs ?
– De tous les projets que j’avais à Cannes, un seul à trouver un éditeur, Space Station Argo, qui devrait sortir l’an prochain et sur lequel on a fait pas mal de réglages. J’ai aussi très bon espoir pour un petit jeu de mémoire. J’ai aussi un gros jeu de cartes d’enchères et de bluff, conçu avec André Zatz et Sergio Halaban, avec lesquels j’ai déjà travaillé sur Formula E, que je trouve vraiment excellent et dont je serai surpris qu’il ne finisse pas par trouver un éditeur.
– Où en est Formula E ?
– Alors ça, c’est une excellente question…. J’espérais qu’il sorte cet été, cela n’a pas été le cas, et je ne sais pas très bien où nous en sommes. D’ailleurs, je pense que mon prochain email va être aux gens de Game Salute, pour avoir quelques nouvelles.
– La ré-édition de Castel est-t-elle toujours prévue ?
– Le jeu sort dans les prochaines semaines en Russie, mais il n’y a pas d’autre édition prévue pour l’instant. Ceci dit, cette nouvelle édition a amené l’éditeur à mettre un peu aux standards du jour les fichiers graphiques, donc il devient assez facile d’en faire une édition dans d’autres langues. Avis aux éditeurs éventuellement intéressés.
– Vous rapprochez souvent le travail d’auteur de jeu à celui de romancier. Quand vous créez un jeu, vous partez d’une histoire que vous voulez raconter aux joueurs ?
– Non, je n’essaie pas de raconter une histoire, j’essaie plutôt de créer une machine à générer des histoires. Je pense que tous les jeux, ou du moins tous les bons jeux, même les plus abstraits comme le go ou les échecs, créent une sorte de récit, quelque chose que l’on peut ensuite raconter, avec un début, des retournements de situations, des scènes cruciales, et une fin plus ou moins attendue.
Si je compare volontiers le travail du créateur de jeu à celui du romancier, il est peut-être plus proche de ceux – que je ne connais absolument pas – du scénariste de BD ou de cinéma. Il y a une structure assez rigide à respecter, même si elle n’est pas la même d’un jeu à l’autre, dans laquelle il faut introduire les éléments qui permettront de faire monter la tension, de créer des retournements inattendus, des attentes, des espoirs. Il y a un mot pour tout cela en anglais, qui n’a pas d’équivalent en français, le story-arc.
– J’avais lu votre article sur les femmes dans les jeux, ce qui m’a donné envie d’écrire un peu aussi sur le sujet (>>les femmes dans le jeu de société).
Suite aux réactions des lecteurs, je me posais cette question : globalement pensez-vous que les femmes sont plus attirées ou au contraire rebutées par certains types de jeux ?
– Là, on entre en plein dans le débat sur sexe et genre, nature et culture. Les deux existent de toute évidence, et le débat ne porte que sur ce qui relève plus de l’un ou de l’autre. J’ai tendance à placer les jeux, comme la littérature, parmi les domaines où la différence entre hommes et femmes existe, mais ne relève absolument pas de distinctions naturelles. Cela signifie aussi que ce sont des domaines où cette différence peut évoluer très vite, ce qui est d’ailleurs en train de se passer.
Il y a une vingtaine d’années, je pratiquais des types de jeux assez diversifiés, et j’ai pu observer que les femmes étaient très peu nombreuses à jouer aux jeux de société, très peu nombreuses à joueur aux jeux de rôles, assez peu nombreuses à jouer au poker, et majoritaires dans les jeux de rôles grandeur nature.
L’analyse sociologique était assez évidente, puisque l’on trouvait un peu plus de femmes dans le monde du poker – malgré une image restée masculine – et dans le grandeur nature, qui se rapproche du théâtre avec sa dimension à la fois littéraire et corporelle. On était donc en plein dans les stéréotypes culturels traditionnels. Si tout cela reste vrai, c’est quand même beaucoup moins net aujourd’hui, et dans le jeu de société, les femmes sont de plus en plus nombreuses.
Je pense vraiment que, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, les différences sont en train de disparaître.
Il est vrai que les auteurs de jeux, eux, restent majoritairement des hommes, mais il y a une certaine logique à ce que l’évolution commence par les joueurs – les auteurs de jeux étant toujours d’anciens joueurs qui ont mal vieilli. Dans quelques années, on y trouvera beaucoup de femmes.
– Qu’est-ce qu’il en est avec vos jeux ? Avez-vous senti que certains jeux passaient mieux avec les hommes / avec les femmes ?
– J’ai parfois l’impression que Citadelles et Mascarade passent bien auprès des femmes, mais ce n’est qu’une très vague impression, et je peux me tromper.
– J’ai également lu plusieurs fois que vous étiez joueur de jeux de rôle, en grandeur nature je crois : à quoi jouiez-vous ?
– J’ai commencé le jeu de rôles sur table quand les premiers livrets de Donjons et Dragons sont arrivés en France, au tout début des années 80, et j’ai arrêté à la fin des années 80. J’en garde un bon souvenir, mais pour moi, le véritable jeu de rôles reste le grandeur nature, que je n’ai arrêté que parce que je n’avais plus le temps.
– Que gardez-vous de ces années de jeux de rôle ?
– Surtout des univers. Je pense que le jeu de rôles a véritablement créé l’heroic fantasy qui ne se prend pas au sérieux, qui ne cherche pas la cohérence d’un univers parallèle comme dans les grandes sagas des romanciers. Juste un univers imaginaire à la limite du conte de fées, avec quelques stéréotypes amusants représentés par exemple par les classes de personnages de D&D. Le jeu de rôles, et plus encore le GN, se prend très au sérieux, mais avec beaucoup d’humour. Je crois que cet esprit, que l’on pourrait qualifier de « british », a un peu gagné l’univers du jeu, et c’est très bien.
– L’an dernier vous avez fermé votre site -avec la fameuse Ludothèque Idéale- pour ouvrir un blog qui traite de vos jeux et de votre vision du monde ludique…Il y a-t-il trop de jeux qui sortent ?
– Oui pour les professionnels – même si chaque auteur et éditeur préfèrerait que ce soit ceux des autres qui ne sortent pas. D’abord d’un point de vue économique, le marché grossit, mais il grossit moins vite que le nombre d’auteurs, d’éditeurs et de jeux publiés. Je sens un léger ralentissement ces derniers mois, mais c’est peut-être parce que je suis moins attentif aux nouveautés. Sans compter l’effet Kickstarter, qui produit le meilleur et le pire.
Oui et non pour les joueurs. Non, parce que plus de jeux signifie bien sûr plus de choix pour les joueurs, et que les seuls vraiment embêtés sont les collectionneurs, dont je n’ai jamais compris la démarche. Oui, parce qu’il devient difficile de jouer beaucoup à un jeu, avec des joueurs différents, de l’approfondir, d’y revenir. Un jeu sort, on l’achète, on y joue quelque temps et on l’oublie. C’est un peu la même chose pour les romans – il y en a tant qu’on ne relit plus rien, alors qu’il y a un plaisir particulier à relire.
– Que pensez-vous du paysage web ludique ?
Pas grand chose, car j’ai renoncé à m’y intéresser et ne suis plus trop ce qu’il s’y passe. J’ai du mal à me faire au nouveau Tric Trac, et je crois ne pas être le seul, ce qui aidera peut-être d’autres sites à percer ou à survivre, mais je me demande parfois dans quel but. Comme, je crois, de plus en plus de joueurs français, le seul site ludique que je fréquente régulièrement est le Boardgamegeek, en anglais donc, et je me demande si des sites en français sur un domaine aussi spécialisé ont encore beaucoup de sens.
– Un dernier mot à ajouter avant de se quitter ?
– Je n’ai presque pas parlé de Mascarade… Jouez à Mascarade, c’est bien. Et Speed Dating aussi.
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