IMMORTALS : le seul argument contre l’immortalité, c’est l’ennui.
Immortals est la dernière grosse sortie en date (avec Merlin de Stefan Feld & Michael Rieneck) chez Queen Games, boîte d’édition allemande bien connue à qui l’on doit notamment Alhambra, Kingdom Builder ou Shogun pour ne citer qu’eux. Il emprunte d’ailleurs l’idée de la tour à dés de ce dernier.
Immortals est l’œuvre du trio Mike Elliott, Dirk Henn et Ethan Pasternack. Le premier n’en est pas à son premier coup d’essai en la matière, jugez plutôt : Quarriors, Thunderstone ou Shadowrun Crossfire. Des titres qui se sont forgés une belle réputation dans le monde ludique. Pas mal non plus pour le deuxième, papa d’Alhambra et Shogun par exemple, ainsi que d’autres jeux plus méconnus (Derby, Metro) sortis chez Queen Games ou via db-Spiel, sa propre boîte d’édition. Pasternack est sûrement l’auteur le moins connu du trio en France, il a déjà publié des jeux non importés en francophonie tels que Star Trek: Fleet Captains ou encore Arcane Legions. Bref, pour l’instant, on est donc en droit de penser qu’Immortals vient au monde avec quelques avantages. Vous voilà tout émoustillé. Peut-être un peu moins si je vous chuchote à l’oreille ceci : j’ai eu l’impression de rencontrer l’enfant illégitime de Risk et Smallworld, les pouvoirs des peuples en moins… On fait moins les malins !
La mort est le commencement de l’immortalité
Dans ce jeu pour 3 à 5 joueurs, il vous sera proposé d’incarner et de diriger l’association de deux seigneurs de guerre de peuple différent, pour prendre possession de deux mondes, celui de la Lumière et celui des Ténèbres. L’univers heroic-fantasy est typique, voire stéréotypé : des Orques associés aux Nécromanciens croiseront le fer avec des Démons épaulés par des Elfes noirs ou des Trolls. Rien de nouveau sous le soleil. La subtilité réside dans le fait que la Mort a enfin été vaincue : les troupes décimées sur un territoire du monde de la Lumière reviennent à la vie sur le même territoire mais du côté des Ténèbres. Ils sont immortels quoi. Ha ben ouais, d’où le titre. C’est fort.
Et à quoi cela va servir alors tous ces guerriers qui passeront de vie à « pas » trépas ? À marquer des points de victoire (PV). Non.. . ? Ben si pourtant, c’est le but du jeu. Vous aurez entre 7 (à trois joueurs) et 5 tours (toutes les autres configurations) pour marquer le plus de PV. Sachant qu’on en marque à chaque tour, puis lors du décompte final. Hop terminé, on remballe, merci au revoir.
Pour y parvenir il vous faudra maîtriser des mécaniques de conquête (déplacements), de majorité et de programmation. Le tout sans dé mais avec un système de tours à cubes relativement aléatoire.
Combien d’immortalités ont-été-bâties avec la vie des autres ?
La boîte d’Immortels est plutôt imposante, et pèse son poids. Remarquez c’est cohérent, l’immortalité semble être un sacré fardeau. On se dit chic, elle doit être bien remplie de tout un tas de jetons, cartes, cubes et autres joyeusetés faisant frétiller tout bon joueur que nous sommes. Et à l’ouverture, première déception. Entendons-nous bien, il y a bien tous ces éléments que je viens de citer. Mais rien de pléthorique non plus.
Et surtout, mon dieu mais que c’est basique. Des cubes en bois de couleur représentant vos troupes, des jetons en carton pour les ressources. C’est épais, plutôt solide. Mais pas sexy. Notre « troll » c’est un cube jaune. Ton « nain » c’est un cube bleu. Soit.
On a aussi 10 énormes plaquettes bien épaisses pouvant se lier ensemble pour représenter nos seigneurs de guerre. Là aussi, c’est du matériel de qualité mais niveau illustrations, on est sur du classique. Cela fait le taff, mais là encore, pas grand-chose qui se démarque du lot commun. Au final, la couverture de la boîte est la plus intéressante.
On continue par deux plateaux représentant les 5 mêmes provinces découpées en 5 régions, où les joueurs vont s’affronter. Chaque plateau possède les mêmes provinces, l’un représentant le monde la Lumière et l’autre celui des Ténèbres. Aucune fioriture dessus, mais cela permet une bonne lisibilité des territoires, ce qui s’avère crucial lors de la partie. Même remarque pour les cartes où sont représentés ces territoires, c’est sec mais efficace.
Enfin, on trouve la fameuse tour à cubes en partie pré-montée, et son socle de collecte transparent. Arrêtons-nous quelques instants sur cette tour. Sans entrer dans son utilité lors du jeu, je ne suis absolument pas convaincu par sa manipulation. Le moindre choc inopportun fera tomber les cubes situés à l’intérieur. Et dans un tel cas on ne peut pas dire « pas grave, on les remet dedans ». Ce faisant vous feriez tomber ceux qui demeurent coincés à l’intérieur, tout en faussant le jeu pour la suite des combats. Facile, il suffit de la poser loin de tout, dans une zone « sécurisée » me rétorquerez-vous. Oui, mais non. Régulièrement on sera amenés à récupérer des cubes situés dans le plateau de collecte pour les rejeter dans la tour. Et même cela est parfois suffisant pour déclencher des chutes intempestives. Je trouve cela rédhibitoire. Enfin, vous aurez compris que si la taille de la boîte est surdimensionnée, c’est surtout pour accueillir cette tour (et les plateaux peuples). Très subjectivement, je trouve que cela donne l’impression d’augmenter artificiellement le contenu de la boîte. Imaginez ce que contient la boîte de Trickerion par exemple, pour une taille bien moindre, et vous comprendrez ce que j’essaie de dire.
Pour terminer avec les choses qui fâchent, il est temps d’aborder le thermoformage présent. Là encore, niveau qualité, absolument rien à redire. Mais niveau praticité c’est tout autre chose. Aucun sachet plastique n’est fournit avec le jeu. Alors, beau joueur, je me décide à utiliser les espaces appropriés pour ranger les différents éléments du jeu. Je vous le déconseille. Les cubes et les cartes ne tiennent pas en place et s’éparpillent dans la boîte au moindre transport. À l’ouverture, c’est le chaos et on perd plus de temps à récupérer le tout qu’à installer le jeu. Encore une mission pour la team zip-lock .
Au niveau des points positifs, il convient de mentionner les règles : 16 pages grand format en papier glacé, aérées, claires et bien agencées. Excepté peut-être pour le tour de départ, c’est-à-dire la mise en place des armées, pas franchement un exemple de clarté.
En conclusion, le matériel est solide, et lisible. Mais pas franchement pratique, ni particulièrement attrayant, et j’en retire un sentiment de poudre aux yeux.
L’immortalité est inutile : avoir vécu suffit
Je traîne je traîne. Désolé, j’ai tout mon temps, je suis immortel. Bon avançons malgré tout et voyons comment le jeu nous propose d’utiliser tout ce matériel. Tous les tours vont se dérouler de la même manière durant la partie. Au dernier, on comptera les points.
Chaque tour sera lui-même formé de 4 phases :
► La première phase de « RENFORTS » sera rapide. Chaque joueur peut piocher une carte Conflits. Ces cartes représentent les territoires. Deux cartes pour ceux des ténèbres et deux pour le côté de la lumière, plus des cartes joker, pour un total de 60 cartes. Puis le joueur peut déplacer 1 armée par tranche de 3 armées présentes dans chacune de ses limbes sur n’importe quel territoire où il possède déjà une troupe. Cela permet de produire un peu d’armées à chaque tour.
► La phase suivante de « PLANIFICATION » s’effectue simultanément. Tous les joueurs vont jouer sur leurs diverses cartes (face cachée) sur le plateau devant eux. Ils programment leurs actions parmi les 10 cases disponibles. Chaque case vous proposera une action unique définie par l’icône imprimée au-dessus de la case. Au menu : extractions de ressources, déplacement des armées en provenance des limbes, construction des bâtiments pourvoyeurs de points de victoire chaque tour, et évidemment déplacements de vos troupes pour attaquer.
Ces actions se dérouleront généralement sur le territoire où vous avez joué la carte Conflit. Il y a aussi quelques restrictions sur la pose de cartes, comme avoir une troupe sur le territoire que l’on veut activer. Mais rien de bien contraignant.
Les plateaux joueurs proposent aussi des actions spécifiques aux races que vous jouez. Mais honnêtement, c’est franchement anecdotique, tellement ils ne sont pas éloignés les uns des autres. Il manque un petit quelque chose qui aurait permis de vraiment exploiter cette dualité ténèbres/lumières.
Mentionnons aussi les quelques cartes magie, notamment celles permettant de passer premier joueur ou de s’emparer d’une région. Et enfin, les cartes vierges, permettant de bluffer les adversaires.
► Une fois que tout le monde est prêt, on passe à la phase « RÉSOLUTION ». Chaque joueur va effectuer une action de son choix en activant une carte, ou révéler une carte bluff, ou passer. Si on passe, notre tour se termine mais on a une compensation à chaque tour en attendant que cela se termine.
Chaque tour se clôture avec la phase « SCORE ». Là encore, du classique : On va additionner les PV donnés par nos bâtiments, par paire de régions possédées. Si avez beaucoup 3, 4 ou 5 régions dans une province, vous collectez encore quelques points.
On répète pendant le nombre de tours requis, puis rideau. Ça rigole moyen chez les immortels.
Au fond, personne ne croit à sa propre mort, et dans son inconscient, chacun est persuadé de son immortalité.
Nous étions donc 4 joueurs réguliers pour s’essayer à l’immortalité l’espace d’une soirée.
Première étape : le tour de départ, comprendre d’installation. On doit répartir ses troupes suivant deux territoires fixés par sa tribu, puis un draft de 5 cartes Conflits, où l’on placera de nouvelles troupes.
C’est un peu poussif pour un tour de mise en place, ne sachant pas vraiment à quoi s’attendre, et cela traîne un peu en longueur pour pas grand chose. Si ce n’est assurer une mise en place aléatoire de manière un peu artificielle.
Le jeu démarre à proprement parlé et les deux premiers tours s’enchaînent plutôt vite. La découverte de la phase de programmation est de prime abord plutôt agréable et attractive. Les actions s’enchaînent facilement, mais sans grand enthousiasme. De plus, on finit par se demander quel est l’intérêt de mettre des cartes « bluff ». Il semble plus avantageux de passer plutôt que de bluffer, faisant gagner des ressources. À part pour tenter de jouer en dernier. Nous sommes peut-être passés à côté de quelque chose.
Ces deux tours ayant principalement eu pour résultat de placer nos troupes sur les territoires, produire des ressources ou des bâtiments suivant les stratégies envisagées. Avec la découverte de l »hypersensibilité » de la tour à cubes. Premier frôlement, première chute de cubes. On écarte l’engin.
Le tour d’après s’ouvre sur les premières hostilités. Il faut de nouveau affronter la tour. Chacun place ses cubes, plus des cubes neutres (verts) pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre suivant la carte Conflit utilisée.
Tous les cubes engagés dans la bataille sont récupérés pour être cette fois jetés dans la tour, en une fois. Un des protagonistes est clairement en surnombre. Il savoure déjà sa victoire, le sourire en coin et la répartie prête à fuser. Stupeur ! Seuls des cubes neutres et de la couleur de son adversaire tombent. C’est la défaite cinglante de l’aléatoire.
La plupart des combats suivants nous ont donné le même ressenti. À sa mort, une troupe revient dans les limbes opposées du territoire où elle a péri. Si elle trépasse sur une région des ténèbres, elle va dans les limbes lumineuses et vice-versa. C’est ce que propose le jeu pour exploiter la notion d’immortalité des troupes. Elles ne meurent pas vraiment, mais alimentent une sorte de flux continu, passant d’un côté à l’autre de son plateau. Le joueur doit gérer ce mouvement, placer de nouveau ses troupes sur le plateau, puis marquer le plus de points possible sur le tour. Combattre, mourir, ressusciter, se placer, scorer. Le tout avec des combats que nous avons trouvé non contrôlables. Pourquoi pas, après tout, nous apprécions de bons ameritrash régulièrement. Mais là, les combats manquent quand même d’un souffle épique, une touche de fun, d’immersion, pour compenser le chaos. Sans même mentionner la pauvre tour où les cubes tombent pour un rien.
Nous avons terminé la partie. Non sans avoir hésité à l’abandonner au quatrième tour, personne n’étant réellement charmé par l’expérience. Mais un joueur ne recule pas devant l’adversité. Le décompte a été rapidement effectué sans vraiment s’y attarder.
L’une des preuves de l’immortalité de l’âme est que des myriades de gens le croient.
Ils ont aussi cru que la terre était plate.
Il n’est pas évident pour moi de conclure sur Immortels. Après tout, il s’agit d’une seule partie. Mais il s’agit aussi de la rubrique Just Played, où l’exercice consiste à écrire notre ressenti à chaud. Même s’il arrive souvent qu’on écrive après deux, trois parties, voire plus, au départ, c’était le principe éditorial, partager notre impression à chaud. Alors je vais m’en servir comme garde-fou. Bien entendu, les mots suivants n’engagent que moi. D’autant que je ne suis pas sûr qu’il y ait de deuxième partie.
Ce jeu n’aura pas réussi à nous donner envie de replonger dans son univers. Les mécaniques fonctionnent, certes, mais ne transcendent pas. L’univers est assez bien illustré mais sans réelle âme, battant des sentiers déjà mille fois arpentés. Immortels n’aura pas su reprendre ce qui a fait la force de Shogun, un classique dans son genre : un thème bien présent dans les actions et mécaniques proposées (les révoltes des paysans par exemple), et un jeu vous impliquant dans la partie en cours. Pourtant, dans l’ensemble, les deux jeux sont très proches. Vous trouverez aussi de la programmation d’action définie par des cartes provinces, de la conquête de territoire et toujours l’utilisation d’une tour à dés. Si vous possédez déjà Shogun, passez votre chemin au risque d’avoir des jeux quasi similaires. Immortels aura pour lui d’être plus court en temps de jeu.
Immortels est bien fait dans l’ensemble, mais lisse, presque insipide à mon sens. Et aux vues des standards actuels, probablement aussi de nos envies ludiques, cela signifie qu’il est peu probable qu’Immortels ait une seconde chance dans notre groupe.
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morlockbob 30/03/2018
A l ‘avoir souvent vu en solde, je me suis toujours demandé ce que valait ce jeu. Voilà, ceci explique cela.
M3th 30/03/2018
Sans doute ne suis-je pas le seul à avoir ressenti cela du coup^^
davy 30/03/2018
merci Damien pour le retour, toi tu deviens exigeant avec tout tes KS 🙂 , oui le jeu ne va pas révolutionner le j2s surtout que l’on part d’un jeu qui a maintenant quelques années, shogun et walleinstein a toujours plutôt bien marché chez nous , le seul truc lourd a toujours été la mise en place de la partie et sa longueur, la tour a toujours fait son petit effet, on ne maitrise pas tout mais on fait avec . J’ai cette nouvelle version mais je n’ai pas encore pu y jouer ,si tu me dis que le temps a été réduit c’est déjà bien pour nous ,ce jeu ne sera joué qu’a l’asso. Reste effectivement les plastiques Queen games n’en met pas dans ces jeux et c’est effectivement un gros défaut ,et avec un thermo plus adapté la boite aurait pu être réduite un peu. Le gros soucis maintenant effectivement c’est le prix vs le gameplay est ce qui se fait maintenant qui peut créer cette grosse déception ,mais il peut rester une bonne alternative pour faire jouer des joueurs occasionnels a du jeu plus gros .
Shanouillette 30/03/2018
En effet, il devient exigeant, et c’est une bonne chose amha 🙂
M3th 30/03/2018
Humm, je sens qu’il y a quelque chose comprendre entre les lignes…
M3th 30/03/2018
Merci pour ton message Davy.
En général quand on dit « on fait avec », c’est vraiment pas bon signe dans la vie. Ben c’est pareil dans le monde ludique:) Cela signifie quelque part que ce n’est pas optimal ou adéquat. Pour le thermo, perso je le vis bien en général. Mais c’est dommage d’en mettre un si c’est pour ne pas pouvoir l’utiliser. Franchement proposer ce jeu a des joueurs occasionnels, je ne sais pas si c’est vraiment les aider pour découvrir le monde du jeu. Et même s’il est plus long, Shogun reste plus sympa.
atom 30/03/2018
Complétement d’accord. On joue en ce moment sur un Legacy et la phrase qui ressort a la fin d’une partie c’est :
– On ne passe pas un mauvais moment.
– Donc tu concèdes que tu n’en passe pas un bon ^^
Appeler un chat un chat.
Young Francis 31/03/2018
Aloes, ça n’a surement pas sa place ici, mais je rebondit sur ce que tu dit pour partager mon expérience sur 7th continent. On a joué 3heures sans réel déplaisir. Voilà. En fait j’ai surtout envie de dire que ça m’a laissé froid. Et pas trop envie d’y retourner…
Shanouillette 01/04/2018
@M3th rien entre les lignes, c’est juste que je pense que c’est normal en tant que joueur d´avoir ses exigeances, et que c’est sain en tant que chroniqueur 🙂
FX 01/04/2018
ca peut se décliner avec tous les jeux qu’on achète pour le concept « innovant » non ? (la discussion me rappelle celle de Time Stories…)
6gale 04/04/2018
Un J.P. sans concession. Good (j’aimerai en lire plus souvent) !