Il faut légaliser la Granja !
La Granja de Michael Keller et Andreas « ode. » Odendahl est sorti en 2014 chez Spielworxxx, il fut localisé en français par Pearl Games qui a vu le génie du jeu. Malheureusement le titre n’a pas vraiment marché sur le sol français. Néanmoins, Board and Dice a lancé un Kickstarter et réédité le jeu dans une version totalement revampée, Deluxifiée, avec en plus douze modules réalisés par les auteurs et des grands noms du jeu de société comme Stefan Feld, Adam Kwapinski, Dávid Turczi, Tony Boydell, Filip Głowacz, Andrei Novac, et Błażej Kubacki.
J’ai personnellement découvert le jeu assez tardivement, et je dois avouer que je n’étais pas spécialement attiré par ce plateau, ces couleurs ou même ce thème. Pourtant en jeu, le charme a agi. La Granja a de belles qualités que je vais essayer de vous exposer le plus clairement possible.
Nous avons publié un Ludochrono cet été pour vous résumer les règles du jeu.
La ferme !
Nous sommes des fermiers sur l’île de Majorque dans l’archipel des Baléares. Nous devons faire prospérer notre ferme, en produisant, blé, olive et raisins que nous allons transformer et livrer sur le marché du village ou dans les ateliers alentours. Pour nous aider, nous allons pouvoir engager des assistants. Nous avons 6 manches pour marquer le plus de points de victoire, alors restons prosaïques.
Toutes nos ressources sont représentées avec ces jetons octogonal à notre couleur. Selon leur emplacement sur notre plateau, ils représentent de l’olive, du blé, des cochons, ou même des caisses de marchandises. Cela peut sembler perturbant, mais c’est facilitant pour la manipulation, et c’est finalement très intuitif.
Assistants bon à tout faire
À chaque début de manche, on va pouvoir jouer une carte (deux à la première), et c’est peut-être ici que réside le génie du jeu avec ces cartes multi-actions. En effet, on peut les jouer de quatre façons différentes : au-dessus de notre plateau, ce sont des commandes, sur la gauche, ce sont des champs qui vont produire à chaque tour, à droite, cela va augmenter notre capacité de livraison et/ou donner un revenu supplémentaire, ou augmenter la capacité de stockage de nos porcs noirs si emblématique de cette belle île en mer. Au centre de notre plateau, on pourra bénéficier d’assistants de manière permanente ou une fois par tour. Mais on a que trois emplacements, il faudra bien choisir.
Quand je dis que le génie du jeu est là, c’est parce que l’on a jamais de frustration : on a toujours un éventail de possibilités et tout semble intéressant. De plus, avec ces 60 cartes différentes, on a l’assurance d’avoir des parties très différentes.
L’œuf ou la poule
Je me suis interrogé sur cette mécanique de cartes qui depuis a inspiré de nombreux jeux, comme Lacrimosa, ou encore Cryo et tant d’autres. Mais à la réflexion, c’était le moteur de jeu de La Isla (et la seule chose de bien dans le jeu, d’ailleurs hélas) de S. Feld. Bref La Granja n’est probablement pas le précurseur, mais c’est tout de même celui qui réussit le mieux cette alchimie.
Fermiers
Nous construisons donc un moteur de jeu avec des céréales qui vont pousser à chaque début de phase. De même, nos cochons peuvent se reproduire s’ils ont un enclos le permettant, etc. Le cœur du jeu, celui où l’on réalise nos actions, se fait avec des dés que l’on lance et place sur le plateau. À son tour, et dans l’ordre du tour, on va choisir un dé et appliquer l’effet – classique mais efficace. Le dernier dé restant est appliqué par tous les joueurs.
On peut récupérer du porc noir, jouer des cartes en plus, gagner de l’argent, transformer des ressources et monter sur la piste de Siesta (j’y reviens) et effectuer une livraison. On n’aura que deux dés plus le troisième – il faudra donc choisir et renoncer, aussi scruter comment les autres joueurs développent leur ferme, afin de cerner leurs besoins et nos urgences.
Une interaction sauvage !
Celle-ci est présente partout, l’ordre du tour défini par la piste de sieste (ben oui la sieste, c’est réparateur) et plus vous vous reposez moins vous livrerez, mais en contrepartie vous serez frais et dispo pour la prochaine manche.
En fin de manche, nous allons tous en même temps choisir une de nos tuiles livraisons – attention la tuile ne sera plus disponible au tour prochain, il faut donc bien choisir.
Et là encore, il faudra avoir la bonne stratégie : livrer les ateliers donne des points et des ressources immédiates et un revenu pour la partie ; plus on livre l’atelier tôt et plus on va bénéficier du revenu, mais les terminer tard donne plus de points. Être le premier est valorisé d’un petit point en plus que les autres n’auront pas.
Livrer sur le marché donne là aussi des points, autant que la valeur de la cargaison, mais en fin de manche, pour chaque marqueur présent sur le marché on gagne 1 point de victoire ; installer des marqueurs c’est bien, sauf que si c’était si simple tout le monde le ferait. Un peu comme dans Luna de S. Feld on peut expulser les marchands adverses de moindre valeur adjacent, et on ne s’en prive pas étant donné que cela donne des points. Le timing est donc hyper important, et il arrive que livrer en dernier soit un avantage, par exemple parce que l’on a une cargaison qui serait rapidement expulsée.
Adaptation à toute épreuve
La Granja est un Eurogame où il faut optimiser, et calculer (beaucoup), mais il est soutenu par une mécanique de dés, il faut donc s’adapter à ce hasard, ce qui pourrait être rapidement dommageable. Sauf que le jeu offre toutes les possibilités du monde, par exemple, vous n’avez pas pu récupérer de porc ? Pas de problème, vous pourrez toujours en acheter un, ça va être coûteux mais c’est possible ; de même, vous pouvez transformer une ressource en marchandise grâce à une action, ou moyennant paiement. Vous pouvez même vendre vos ressources. Il n’est donc pas rare que dans la partie on se trouve devant un dilemme où l’on vend à bas prix nos ressources pour acheter (ou transformer celle qui nous manque). Quand on livre une charrette, on gagne immédiatement une caisse que l’on peut utiliser de multiples façons, cela accentue le sentiment de contrôle et d’adaptabilité.
Tout cela donne un sentiment de toujours pouvoir tout faire. Souvent on trouve la solution à notre problème, néanmoins il arrive aussi qu’il nous manque une action pour accomplir le coup parfait ultime, il en résulte une bonne frustration et une envie de remettre ça.
Bilan
Un petit mot sur l’édition
On parle ici de l’édition Deluxe avec ses tuiles en bois du plus bel effet, ses plateaux personnels plus grands, le plateau central lui aussi plus volumineux, sans être immense non plus. Niveau illustration on passe d’un style aquarelle très jaune et vert qui a son charme à un style plus coloré et plus figuratif. Tout le matériel et ses modules tiennent dans une grosse boite, avec des rangements plus ou moins bien pensés – je dis plus ou moins parce que certains éléments vont finir par se balader (j’ai fait le choix de rajouter quelques sachets zip).
On a pas moins de quatre livrets de règles : celui pour les règles de base, un pour les modules uniquement, un autre pour les cartes du jeu, et un dernier pour les deux modes solo.
Je n’ai pas encore pu essayer tous les modules et on y reviendra plus tard dans un Test en bonne et due forme, mais je note que chacun d’entre eux est explicité dans un livret de règles spécifique aux modules. Au-delà de l’explication, le livret nous dit aussi à qui cela s’adresse, et ce que cela va apporter : par exemple Concurrence comme son nom l’indique va ajouter une couche d’interaction, Village animé modifie fortement le jeu et est recommandé aux joueurs expérimentés. On a plus qu’à faire notre marché en fonction de ce que l’on souhaite, de là où on en est par rapport au jeu. À terme on peut même les mélanger. L’un d’eux consiste juste à ajouter 60 cartes supplémentaires, autant dire que celui là est venu directement s’ajouter au jeu.
La Granja est un petit bijou, un jeu d’optimisation où l’on construit sa ferme dans des directions très différentes à chaque partie et qui offre une belle rejouabilité.
L’extrême adaptabilité avec ses actions gratuites donne la sensation de pouvoir tout faire et c’est grisant, mais cela risque aussi d’amener de la congestion cérébrale, attention à l’AP.
Le thème est très bien imbriqué à cause de toutes ces cartes et leurs effets ; je me sens dans la peau de fermiers de Majorque aidé pour cela par les illustrations lumineuses et évocatrices de Agnieszka Dabrowiecka & Zbigniew Umgelter. Bien sûr il est possible que vous n’y voyez qu’un jeu d’épiciers avec un Excel déguisé et je ne saurais vous donner vraiment tort.
Les règles sont assez simples à intégrer, même si elles nécessitent plus de 20 pages. Tout est très ergonomique avec plusieurs rappels sur le plateau perso et une aide de jeu très bien faite. À 2 joueurs l’interaction est faible mais les sessions très rapides (comptez 60 min), à 3 ou 4 joueurs la tension est plus forte et le jeu peut être agressif, mais les parties seront plus longues.
Un beau game design avec ces cartes multi usages, cette liberté, cette richesse, cette profondeur et toutes ces possibilités, un coup de cœur pour moi depuis des années et cette version l’enrichit de fort belle manière. Il ne reste plus qu’a essayer les différents modules et trier le bon grain de l’ivraie dans un Test dédié.
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Ihmotep 20/11/2023
Un jeu que j’ai bien apprécié, lui manque un peu plus d’originalité pour rejoindre ma ludothèque ^^. Ca tourne très bien, notamment grâce à un plateau très lisible qui m’a fait penser à Clans Of Caledonia : tous les coûts, transfert possible,… sont rappelé sur les plateaux. Sans cela le jeu aurait vite été une usine à gaz, avec tout est d’une grande limpidité.
atom 20/11/2023
C’est vrai que l’ergonomie est parfaite, et heureusement. Pour ma part c’est un coup de cœur depuis que je l’ai découvert dans son ancienne version. La nouvelle offre des ajouts que je n’ai pas encore exploité, mais de base rien que les cartes en plus offre une rejouabilité très importante.