Hunch! – Un jeu à base de mots et de hunchères
J’aime bien les curiosités. Ça tombe bien, il y en a une sur ma table dont je souhaitais vous parler et dont l’auteur (Nomas Kurnia) est encore peu connu de la scène publique. Edité par Don’t Panic Games, Hunch! a eu l’audace de marier deux genres qui d’ordinaire ne se rencontrent jamais : les jeux de mots et les jeux d’enchères. Même si quelques « fossiles » inexistants en Français peuvent être trouvés sur BGG (Buywords, Haste Worte?, …), on ne peut pas vraiment parler d’un filon à ce jour.
Dans ce jeu compétitif pour 3 à 6 joueurs, votre objectif sera de deviner les mots secrets de vos adversaires mais aussi de leur faire deviner les vôtres. Si un petit résumé des règles en vidéo vous tente, n’hésitez pas à aller voir notre Ludochrono.
Le jeu de mots en deux mots
Au début de la partie, chaque joueur(se) se verra attribuer 3 cartes Secret sur lesquelles il ou elle écrira sur chacune un mot choisi secrètement parmi une large proposition de 36 au total. Ces 36 mots sont ensuite mélangés puis étalés au centre de la table. Chacun retournera ensuite face cachée ses 3 cartes Secret devant soi.
En tant que joueur, votre objectif sera de faire deviner ces trois mots secrets à vos adversaires. La mécanique pour y parvenir est originale : vous devrez acheter des indices à vos adversaires, si certains parmi ces derniers vous semblent correspondre à un de vos mots. Pour cela, il faudra proposer un prix supérieur à celui que les autres voudraient y mettre. Inversement, vous devrez vendre vos propres indices au plus offrant de vos adversaires pour qu’il puisse également faire deviner ses propres mots secrets. En d’autres termes, on achète et on vend les indices aux autres joueurs aux enchères.
À chaque manche, on commencera par écrire ses indices. On piochera donc deux cartes Indice vides vous donnant une indication : une couleur, une question se répondant par oui ou par non, etc. On inscrira alors un indice sur chacune d’entre elles, en tâchant de les rendre les plus attractifs possible. Pour cela, il faudra bien scruter tous les mots présents au centre de la table, susceptibles d’être en possession des joueurs.
Par exemple, si je dois écrire une Science et qu’au milieu de la table je repère des mots tels que Baleine, Colombe, Forêt ou Loup, je pourrais écrire « Ecologie » sur ma carte.
Une fois ceci fait, on passe aux enchères. En deux mots, chaque joueur vendra à tour de rôle ses indices. Celui ayant misé le plus choisira un indice à récupérer. On pourra ainsi placer nos indices durement obtenus devant nos cartes Secret.
Par exemple, si je dois faire deviner le mot Clé et que je vois l’indice Fer devant un(e) de mes adversaires, je tenterai de mettre la plus grosse mise afin de pouvoir l’obtenir !
Dans une dernière phase, chacun aura une occasion de deviner quels mots secrets se cachent derrière les indices placés par les joueurs. On marquera donc 1 point pour chaque secret que l’on aura deviné, ainsi que 1 point si on réussit à faire deviner son mot par un autre (2 points si plusieurs joueurs l’ont trouvé). On enchaînera ainsi trois manches, et le ou la gagnante sera le joueur marquant le plus de points.
C’est un aperçu simplifié du jeu qui vous donne les grandes lignes. Au passage, si le jeu n’est pas simple à expliquer, j’ai apprécié la clarté des règles et les nombreux exemples illustrés, qui pour moi sont une condition sine qua non d’une bonne compréhension et d’un moment agréable passé lors de leur lecture. Je ne le revendiquerai jamais assez. Je vis presque toujours les cas contraires (règles sans exemples) comme un moment pénible, plein de questionnements et d’aller-retours. Quelques doutes subsisteront malgré tout au début des parties, notamment car le nombre de cartes à considérer change en fonction du nombre de joueurs, et l’information n’est pas toujours mise en évidence. Rien de grave.
Du fun mais aussi des grimaces
Si vous avez déjà joué à Codenames, les sensations de Hunch! en sont proches. La phase d’écriture d’indices de Hunch! est centrale au même titre que la phase d’annonce d’indice dans Codenames, sauf qu’au lieu d’énoncer un mot, on l’écrit sur une carte que l’on dévoilera puis vendra aux enchères. Le jeu est à l’interface entre jeu d’ambiance et jeu qui nécessite de se creuser la tête. On alterne des moments fun, avec des moments plus studieux.
L’écriture des indices souffre de quelques maladresses de conception et représente pour moi un moment problématique durant la partie. C’est le principal point sensible et négatif du jeu. À titre de comparaison, j’ai trouvé l’exercice de réflexion plus difficile, plus hasardeux et plus frustrant dans Hunch! que dans Codenames, peut-être pour ces deux raisons :
- Là où Codenames nous faisait fumer le cerveau avec 25 mots possibles à deviner, ici nous passons à 36 ! Ce n’est pas un détail.
- Codenames précise quels mots parmi cette liste il faut faire deviner aux autres. Ici, aucune indication : à vous d’imaginer des indices qui pourraient en concerner le maximum… Par conséquent, on hésite beaucoup !
Dans les faits, chaque indice que l’on va devoir imaginer ne concernera qu’environ 2 à 5 mots suivant les cas, parmi les 36. C’est frustrant, car dans les faits encore il sera peu probable que les cartes Secret de vos adversaires se marient bien à vos indices. Pour cela, il faudra avoir un peu de chance.
On ressent une grande part d’aléatoire dans tout ce bouillon. On ne trouve pas souvent d’indice satisfaisant. Il y a trop d’information à assimiler, trop de mots différents à considérer et pas le temps d’y passer la nuit non plus. On va ainsi bien souvent se résigner à écrire des mots par défaut au hasard, faute d’idée. D’ailleurs, pour la petite histoire, il est carrément conseillé dans les règles : « Si vous n’arrivez pas à trouver un bon indice […] il suffit d’écrire un terme quelconque qui correspond à votre catégorie »
Oui, si vous pensez comme moi, c’est quand même signe qu’il y a un problème…
En conséquence, cette phase est sujette à « l’Analysis Paralysis » et freine la dynamique du jeu. Tout le monde ou presque peine sur cette étape et j’ai trouvé qu’elle tombait un peu à plat. Dans So Clover par exemple, ce même moment d’écriture est parfois difficile mais moins frustrant et moins bloquant.
J’ai vécu la suite du déroulement des manches comme un soulagement. Vendre ses indices aux enchères est un concept original et plutôt fun. Par contre, la phase précédente étant improbable, il arrive régulièrement que personne ne veuille de vos indices qui sont à côté de la plaque. Il y a peu de chances que vos deux ou trois indices soient utiles à vos adversaires tant leurs mots secrets peuvent être variés et éloignés d’eux, sauf si l’on joue nombreux. On passe souvent son tour, ou bien personne n’enchérit à part vous.
Ces « coups manqués » seront fréquents, surtout à 3 joueurs, où ils seront quasi-permanents. S’il est possible d’y jouer dans cette configuration, nous avons eu bien du mal à faire quoi que ce soit, si bien qu’en fin de partie, deux mots sur les neuf ont été devinés. Ce n’est pas un hasard à mon avis. Les limites du jeu se font sentir à 3 ou 4 joueurs.
À l’inverse, les parties que j’ai pu vivre à 5 joueurs m’ont moins fait ressentir cet effet, même s’il est toujours présent. Au contraire de moi, mes compagnons de jeu ont plutôt bien apprécié les sensations associées à la phase casse-pipe d’écriture d’indices, malgré les pannes seiches. Ils ont apprécié de voir si quelqu’un allait mordre à l’hameçon lors de la vente, ou bien si cela allait déboucher sur un bide. En définitive, ils ont plutôt abordé Hunch! comme un party game qu’autre chose. Si vous l’abordez comme tel et n’êtes pas trop sensibles aux moments d’hésitation, il est possible que vous appréciez Hunch! En définitive, je conseillerai vivement d’y jouer à 5 ou 6 joueurs, où la sauce prendra mieux, avec des surprises et des rebondissements plus nombreux.
Ça tachouille !
En parlant de sauce, un autre petit point délicat : le jeu nécessite d’écrire au marqueur sur de nombreuses cartes en papier glacé puis de les retourner face cachée sur la table. J’ai trouvé le travail d’effaçage assez fastidieux en fin de partie (une dizaine de cartes par joueur tout de même), mais surtout, il manque d’un support ou d’une astuce pour éviter de tacher la table. Ne faites pas l’erreur de jouer sur une nappe ou sur un playmat de couleur claire ! Chez nous cela a été un peu le carnage sur une table nue. Quelques coups de chiffon imbibé d’alcool ont suffi à rattraper la situation cela dit.
Le mérite d’exister
Malgré les accrocs que j’ai cité plus haut, Hunch! a le mérite de proposer quelque chose de nouveau. Si l’on prend un peu de recul, l’offre des jeux de mots concerne essentiellement :
- Des jeux coopératifs (Just One, So Clover, Mot Malin, Letter Jam, Master Word, …)
- Des jeux compétitifs par équipe (Code Names, Decrypto, Taboo, …)
- Des jeux compétitifs chacun pour soi, mais à base de lettres (Guttenberg, Bananagrams, Scrabble, Boggle, …)
Hunch! vient en quelque sorte combler une niche encore peu occupée, en proposant un jeu de mots compétitif où chacun joue pour soi. De plus, il arrive à imbriquer habilement un système d’enchères dans tout cela. Je ne sais pas vous, mais j’aime ce genre de pari audacieux. Il intéressera donc les joueurs en quête de nouveauté, d’originalité, mais pas trop regardants si quelques manches ou parties ne se déroulent pas de manière très fluide. Pour ma part, il sera intéressant de voir si par la suite une version peaufinée, mûrie, verra le jour.
Le bilan
Hunch! Est un titre qui est à saluer pour son originalité. L’idée de vendre ses indices est surprenante et plaisante. Cependant, il est difficilement accessible et souffre de quelques accrocs dans son game design. Principalement, l’exercice d’imaginer des indices pour un large choix de 36 mots en vrac est difficile à mettre en œuvre et ne marche pas toujours bien. On trouve peu de solutions, on tape souvent à côté des deux ou trois mots secrets de nos adversaires, et cela peut s’avérer frustrant. Par contre, plus on est nombreux, plus la recette aura de chances de fonctionner. Visez 5 ou 6 joueurs sinon rien.
Le reste du jeu se déroule bien et le mariage entre enchères et jeu de mots est amusant, si le point cité plus haut ne vient pas gâcher la fête.
Je le conseillerai donc à un public initié connaissant déjà quelques jeux de mots et en recherche de nouveauté, un public à qui la gymnastique d’esprit de Codenames ne fait pas peur et qui est prêt à plus de difficulté encore. Pour les autres, je conseillerai plutôt de commencer par des jeux plus accessibles et qui ont fait leurs preuves, tels que Codenames, So clover ou Decrypto.
Si Hunch! ne m’a pas convaincu sur tous les points, je n’ai pas regretté l’expérience de jeu. Il a titillé ma curiosité et m’a donné envie de découvrir ce que son auteur sortira du chapeau dans les temps à venir !
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