Gutenberg : en cours d’impression

En 1453, Johannes Gutenberg n’a pas inventé l’imprimerie. N’en déplaise aux raccourcis faciles, l’imprimerie existait déjà, ou plutôt, toutes les bases étaient présentes à ce moment-là. Johannes Gutenberg (c’est un Allemand) a eu l’ingéniosité d’assembler toutes les techniques pour permettre une méthode efficace de duplication des textes.

En 2021, le jeu Gutenberg n’invente pas le « jeu à l’allemande ». N’en déplaise aux raccourcis faciles, le jeu à l’allemande existe déjà, ou plutôt, toutes les mécaniques ludiques sont déjà connues. Les auteurs Katarzyna Cioch et Wojciech Wiśniewski (ce sont des Polonais) ont eu l’ingéniosité d’assembler toutes ces mécaniques pour permettre l’existence d’un jeu faisant honneur au premier imprimeur attitré.

Gutenberg étant à l’honneur en ce moment, ne pas confondre ce jeu avec une autre boîte du même nom dans sa version française, sorti l’an dernier et qui était un jeu de lettres.

 

Gutenberg nous emmène revivre les débuts de l’imprimerie. Sans imprimerie, pas d’impression. Sans impression pas de règles de jeu. Sans règles de jeu, pas de jeu. On n’est pas passé loin de la catastrophe !

Dans ce jeu, au-delà d’écrire des p’tits mots en caractères d’imprimerie, nous allons réaliser des actions pour suivre un processus d’imprimerie : Obtenir les caractères d’imprimerie, les encrages, améliorer nos compétences de gravure, reliure, … et passer tout cela dans la presse à papier.

La finalité du jeu est beaucoup plus terre à terre : gagner des points de victoire en réalisant des commandes, pendant six tours de jeu.

Un tour de jeu se décompose en un ensemble de cinq actions, qui se feront successivement, et dont on déterminera l’initiative à chaque fois.

 

Toute la subtilité du jeu se situe dans l’ordre où seront exécutées chacune des actions. Au début d’un tour, les joueurs devront secrètement enchérir sur ces cinq actions à l’aide d’un plateau personnel, avant de le révéler à tous. Pour cela, chaque joueur disposera de cubes : 7 pour le premier joueur, 8 pour le second, …

Le joueur ayant mis le plus de cubes sur une action sera le premier à la réaliser, puis par mise décroissante. En cas d’égalité, cela est départagé dans l’ordre du tour de table à partir du premier joueur. Une action consistera toujours à revendiquer un élément du plateau.

On est donc dans une mécanique de pose d’ouvriers associée à une forme d’enchère.

Ainsi, être premier joueur, c’est avoir moins de cubes que les autres, mais gagner les fréquentes égalités. Etre le dernier joueur c’est avoir le plus de cubes de mise, mais perdre toutes les égalités.

 

 

Vous pouvez regarder une Ludochrono pour apprendre les règles, sinon voici comment jouer :

Les cinq actions sur le plateau, sur lesquelles vous allez miser, vont vous permettre de récupérer tout ce qu’il faut pour lancer votre processus d’imprimerie. Chaque action permet de récupérer un nombre limité d’éléments. Comme vu au-dessus, premier arrivé, premier servi.

  • Récupérer des commandes : celles-ci se scindent en deux parties :
    • Un mot à écrire, ensemble de deux à cinq caractères. Il faudra disposer de chaque caractère requis pour l’accomplir et cela est obligatoire. Il permet de rapporter des florins, la monnaie du jeu (et de l’époque).
    • Une finition avec de l’encrage et/ou des niveaux de compétences. Ces objectifs sont optionnels, mais rapportent des points ou des bonus, et sont bonifiés si les deux sont atteints.
  • Récupérer des encres de couleur : des lots de trois encres sont proposés. La première encre est toujours gratuite, et les deux suivantes payantes. Elles seront nécessaires pour vos objectifs.
  • Récupérer des compétences : il est possible de récupérer une carte pour avancer sur les compétences de votre plateau personnel. Ces dernières sont au nombre de quatre et leur avancement leur confère un niveau. Avancer sur ces compétences présente plein d’avantages : elles sont requises pour les objectifs selon leur niveau, elles débloquent des bonus quand un niveau est atteint, et elles apportent des points en fin de partie dans les derniers niveaux.
  • Récupérer des engrenages : Autre petite mécanique intéressante, il sera possible de récupérer jusqu’à trois engrenages dans la partie sur votre plateau personnel. Ceux-ci offrent trois actions bonus (gagner ou transformer une encre, réduire un coût d’achat de caractère, …), qui tourneront à chaque tour, s’entraînant les-uns-les-autres.
  • Obtenir un bonus (argent, point de compétence, encre, commande), ou, et surtout, accomplir et récupérer un des objectifs communs (avant les autres), généreux en points de victoire.

 

Pour peu que on ait misé des cubes dessus, les joueurs participeront aux cinq actions ci-dessus, dans cet ordre-là.

Une action est toujours possible pour tous les joueurs à n’importe quel moment : acheter des caractères d’imprimerie. Il vous en coûtera le nombre de caractères en votre possession. Acheter le septième caractère coûte sept florins.

Une fois toutes les actions déroulées, les joueurs peuvent réaliser leurs commandes et finitions. Chaque caractère ne peut être évidemment utilisé que pour une seule commande dans le tour, et l’argent acquis ne peut être utilisé pour acheter un caractère pour une commande du tour en cours, tout étant déjà sous presse.

A la fin de chaque tour, tous les éléments restants du plateau (à part les objectifs finaux) sont défaussés et remplacés pour la manche suivante.

 

Au terme de six tours de jeu, c’est l’heure du décompte final et celui ayant engrangé le plus de points gagne la partie.

 

Envoyez l’impression !

Je me suis décidé à jouer à Gutenberg en traînant des pieds. Tout d’abord, il faut reconnaître que la couverture de la boîte n’est pas particulièrement tape-à-l’œil. Ensuite, le thème ne m’enthousiasmait pas particulièrement, sans parler de la promesse du gameplay qui ne réinventait pas la poudre.

Mais j’ai bien fait de ne pas m’arrêter à cette première impression faussée.

Une fois le jeu installé, on constate que le matériel donne envie de jouer. Le plateau est clair. Les petites boîtes, les engrenages et surtout les caractères d’imprimerie de bois attirent l’œil.

Pour ces derniers, le détail a été jusqu’à, être inversés tels de vrais tampons d’imprimerie. On aimerait presque les utiliser avec des flacons d’encre. Cela aide à l’immersion dans le jeu, et contrebalance le fait que la typographie se limite à quatre caractères (A/O/U/I) et que, de facto, l’ensemble des mots à composer durant la partie ne veulent rien dire. 

 

Gutenberg n’apporte pas beaucoup de nouveauté. Toutes les mécaniques du jeu sont connues et reconnues : Pose d’ouvriers, arbre de progression, enchère, collection de ressources. Mais le jeu les assemble de manière harmonieuse.

Toute la saveur du jeu est autour de ce mécanisme d’enchères, où les choix seront souvent cornéliens et où on pourra changer d’avis jusqu’à la dernière seconde, pour s’assurer un élément vraiment utile à nos desseins. On soulèvera notre paravent avec un peu d’appréhension, pour découvrir sur quelles actions on sera leader, s’assurant l’élément désiré

Pour autant, si cette tension est très présente à 3 et 4 joueurs, elle l’est moins dans une configuration à 2. Dans ce dernier cas, le cube en plus ne fera pas la différence entre les 2 joueurs sur la répartition et les nombreuses égalités (souvent quatre actions sur cinq) se feront en faveur du premier joueur. C’est un peu dommage, un cube de plus au second joueur est peut-être à tenter.

Une tension se fera aussi autour des encres, disponibles en nombre limité sur le plateau et convoitées par tous. Il sera fréquent de se voir subtiliser une encre sous son nez. Heureusement, plusieurs voies sont possibles pour les acquérir (engrenage, bonus de compétences, …).

Les florins, pour acquérir de nouveaux caractères, seront souvent à flux tendu tout au long de la partie. Les joueurs seront constamment en mode « calcul d’apothicaire » pour avoir suffisamment afin d’acquérir caractères et encres pour finaliser les commandes du mieux possible. Ainsi, une stratégie possible est de réaliser des mots de quatre ou cinq lettres en début de partie, et s’assurer d’un revenu généreux, puis multiplier les mots courts en fin de partie pour réaliser le plus de commandes possibles, répondant notamment aux exigences de compétences.

Les compétences, justement, font parties du cœur du jeu. Les faire progresser permettra, outre gagner des bonus appréciables, de pouvoir réaliser des commandes plus exigeantes et donc plus rentables. Une course aux compétences se fera aussi sentir sur les objectifs finaux, demandant souvent un haut niveau pour les valider.

Comme on le voit, Gutenberg est un jeu où optimiser nos actions sera crucial pour avoir un bon tempo. Les six tours passent vite, pas de temps à perdre. Des choix seront à faire et l’interaction bien présente sur l’ordre d’exécution des actions.

Ce mécanisme d’enchère peut refroidir quelques joueurs réfractaires, mais on ne peut pas dire qu’il y a une perte de contrôle sur le jeu. Si on désire vraiment être premier sur une action, il suffit d’y mettre les moyens, quitte à en sacrifier d’autres pour le tour.

Le jeu n’est pas punitif dans son ensemble car il sera toujours possible de récupérer des éléments et avancer. On ne peut pas vraiment parler de moteur, mise à part un placement astucieux des engrenages.

 

Ne nous y trompons pas, si l’imprimerie est un art millimétré pour éditer un livre réussi, seule la bonne coordination de vos actions vous permettra de réussir les commandes et finitions les mieux valorisantes.

Pour différencier les parties et mettre un peu d’asymétrie, il est possible d’avoir un personnage (historique de l’époque), qui apportera au joueur un pouvoir (pouvoir utiliser 2 fois le même engrenage sur un tour, intervertir des niveaux de compétences,…).

Au premier abord, les personnages ne semblent pas équilibrés, car certains semblent avoir des pouvoirs bien plus forts que d’autres. Pourtant, on constate que cela ne se reflète pas forcement sur les scores finaux. Force est de constater que, s’ils permettent d’orienter notre manière de jouer, ils ne sont pas garants de victoire au bout de l’impression.

 

 

Comme une majorité des jeux de gestion maintenant, Gutenberg dispose d’un mode solo, assisté par un automa. Celui-ci, utilisable d’ailleurs au jeu à deux ou trois, permet de simuler un joueur fantôme, qui ne sera là que pour participer à la phase d’enchères et enlever des éléments du plateau. Cela se fera grâce à des cartes qui déplaceront les cubes de l’automa et définiront son ordre d’exécution des actions. En solo, il faudra battre son propre score, ce qui n’est pas le plus passionnant, mais l’automa est facile à gérer et ce mode solo satisfera les aficionados du genre, dont je fais partie.

Gutenberg est un jeu classique, qui apporte peu de nouveauté au genre. Néanmoins, a-t-on besoin de découvrir de nouvelles sensations pour toute nouveauté ludique. Il en fait la preuve que non. Facile à sortir, facile à expliquer, avec une complexité mesurée, il a tous les atouts pour se faire une petite place dans les jeux de gestion « initiés ». Il n’a pas le petit truc en plus, mais l’ensemble est harmonieux, et c’est suffisant pour passer un bon moment ludique. Johannes Gutenberg peut être satisfait de ce petit héritage à son nom.

 

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