La Saint-Jean, 1340

Mère, 

Puissent cette lettre et son émissaire vous trouver en bonne santé. 

Fraîchement arrivé à la Cité Royale, j’ai déjà ouï-dire que notre Cité avait essuyé quelques revers ces dernières saisons et que les récoltes des paysans seraient bien en deçà des espérances. Serait-ce ainsi donc la famine qui, cette année, vient moissonner sans relâche aux portes des plus pauvres, ou bien est-ce un autre mal qui se répand, comme celui qui a entraîné le trépas de notre précepteur bien-aimé ? 

Qu’en est-il des affaires de Père, parviennent-elles à rester malgré tout aussi florissantes ? Quant à Anÿa, a-t-elle commencé à apprendre la broderie et le tissage ?

Le ballot que vous aura remis l’émissaire contient un petit objet plat, arrondi et finement orné de dorures. La feuille de plomb surmontée d’un verre en fait ce qu’on appelle ici un Miroir. Anÿa pourra ainsi observer tous les jours la beauté dont l’a gratifiée le Tout-Puissant. Assurez-lui bien que mon départ m’a déchiré le cœur, mais que je serai bientôt de retour pour veiller à nouveau sur elle. Dès que ma mission sera accomplie.

Je me rapproche chaque jour de mon but, et même si vous n’approuvez guère mon choix de devenir chevalier et de prendre les armes, vous me savez assez raisonnable pour savoir que la Quête du Graal n’était qu’un prétexte. J’ai bien d’autres aspirations que la recherche fanatique d’un objet soi-disant sacré au pouvoir puissant. Je laisse cela aux manants et aliénés. 

Non, grâce à Père, mon ambition depuis l’enfance est bien plus vaste, et je l’assouvirai par victoires progressives.

Être anobli n’en était que la première étape. Votre présence lors de mon adoubement m’aurait comblé de bonheur. Cette majestueuse cérémonie récompense le courage et la loyauté des plus méritants. Et même si elle n’a d’autre finalité que le renforcement de la position dominante de notre Suzerain, elle vous aurait rendue fière de moi.

Une armure, un bouclier et une épée m’ont officiellement été décernés, c’en est fini de la rapière glissée dans la ceinture ! 

C’est ainsi équipé que je bats maintenant quotidiennement les pavés de la magnifique cité de notre suzerain. 

Il a fait appel aux meilleurs Bâtisseurs du Royaume pour construire maints lieux illustres. Les universités, places de savoir pour les jeunes nobles, remplacent désormais nos précepteurs. La chapelle, dont la finesse de l’ouvrage et la maîtrise parfaite de l’art du vitrail vous laisserait, je le sais, pantoise. 

Je caresse l’espoir de vous faire découvrir tout cela, le temps peut-être pour Père de conclure quelques affaires marchandes dans la cité royale, lorsque la santé d’Anÿa le permettra…

En attendant, vous ne serez guère surprise d’apprendre l’impatience qui s’empare de moi. Je ne peux m’empêcher de songer à toutes les découvertes permises par ma nouvelle condition : ferai-je partie de ceux qui assurent la sécurité de notre suzerain et sa cité ? Serai-je l’un de ceux qui protègent les marchands de la route de la soie face aux terribles mercenaires qui sévissent ces derniers temps ? Serai-je envoyé dans l’une de ces expéditions qui, par terre et mer, consiste à découvrir de nouveaux continents ? 

Il me tarde d’avoir de vos nouvelles, de la famille et de ma cité natale. Je brûle d’avance de vous raconter toutes mes épopées dans ma prochaine missive. 

En attendant ma future visite, portez-vous bien et prenez soin de ma tendre Anÿa. 

Votre fils bien aimé, 

Drüne. 

***********

L’Avent , 1341 

Ma Chère Mère, 

Comment vous portez-vous ?  

J’ai su que Père avait repris les affaires avec la Route de la Soie, j’imagine alors que la gestion de notre Domaine qui vous incombe n’est pas chose aisée, en sus de la santé fragile d’Anÿa. J’ai bien conscience que la morsure de l’hiver naissant a affecté sa frêle santé. 

Je vous ai d’ailleurs fait parvenir des vêtements chauds, qui lui iront à ravir, provenant de l’un des meilleurs tisserands de la cité. Vous verriez le travail somptueux qu’ils accomplissent, leurs vêtements et tapisseries participent sans aucun doute au prestige personnel de notre Roi ! 

Ce dernier est d’ailleurs un homme d’une ambition sans commune mesure. Au cours de ces derniers mois, les missions pour agrandir notre Empire se sont succédées, nous avons même ravi des Cités aux clans ennemis !

Malheureusement, certains lieux demeurent encore sous le contrôle adverse, leurs troupes surpassant largement en nombre les nôtres. Alors, dans l’attente de pouvoir un jour les réduire à néant, nous leur payons un droit de passage, tribut lourd mais nécessaire pour accéder aux points stratégiques du continent.

Comme tout impôt, à l’instar de la gabelle, impôt sur le sel et probablement le plus honni par les hommes, cette taxe fait rager plus d’un chevalier…

Mais nous gardons espoir, puisque notre expansion territoriale n’aura de cesse de se poursuivre. Et si nous avons déjà essuyé quelques invasions barbares, les pertes étant immenses des deux côtés, je puis vous assurer que ce sont eux, nos ennemis, qui finiront par lancer des vagues de migration pour fuir et ne pas périr sous notre ost. 

Nous prendrons alors le contrôle de leurs propres cités, faisant un pas significatif vers la conquête ultime. Mon but ultime. 

Sachez Mère, que j’entends également vos craintes, votre désespoir, vos angoisses relatés dans votre précédente missive. J’ai bien conscience de toutes ces inquiétudes que mon statut de chevalier ravivent pour Anÿa et vous. Je devine la peur qui guide vos paroles : au vu de notre sang, auriez-vous vraiment souhaité qu’un de vos enfants s’abaisse dans les rangs des troubadours ? A parcourir les terres, à passer de cité en cité, glanant quelques piécettes selon le bon vouloir des passants ? 

S’il est vrai que le chevalier mène une vie parfois dangereuse, remplie de combats et de guerres, elle garantit honneur, respect et revenus à sa famille. 

Reprendre l’héritage de Père en développant le commerce, comme vous le suggérez, est une tâche ardue que je laisse à mon jeune frère. Graëc y a fait maintes fois ses preuves. J’ai eu en charge la sécurité du déchargement du comptoir commercial pour lequel il oeuvre en ce moment. Il n’a de cesse de manier, avec une habileté toute à lui, l’astrolabe et la boussole, ce qui lui vaut les éloges de nombreux marins. Son ambition et ses projets le placent en tête de ligne pour la conquête de la route des épices, ce qui devrait lui apporter fortune et prestige. 

Quant aux sciences, vous visez juste en affirmant que je leur porte une affection toute particulière, grâce à l’enseignement de Père. Mais, de tous vos enfants, c’est encore Lÿon qui manie le mieux les télescopes, les plantes et les alliages. Peut-être un jour sera-t-il celui qui permettra la transmutation des métaux vils en or ? A moins qu’il ne perce enfin le secret de l’élixir de longue vie ? 

Je vous le répète Mère, ne vous donnez pas tant de soucis pour moi. Je n’ai qu’une seule Mission à accomplir. J’œuvre chaque jour dans cette optique, et je sens que nous nous rapprochons du but. 

Je pourrai alors rentrer à la maison, auprès d’Anÿa, auprès de vous. 

Il me tarde de vous revoir. 

Bien à vous. 

Drüne. 

***************

Les Rameaux, 1343

Ma pauvre Mère,

Je viens d’apprendre la terrible nouvelle, et prends aussitôt la plume pour vous répondre. 

Savoir Anÿa gravement malade m’emplit de désespoir. Je souhaiterais plus que tout être à ses côtés pour prendre soin d’elle dans cette terrible épreuve. 

Malheureusement, il me faut remplir ma mission avant de retourner au chevet de ma petite sœur. 

Sachez que je viens tout juste d’intégrer l’ordre des templiers, et que notre appel à la croisade a été entendu par les populations. Vous auriez vu les mains se dresser et les cris s’élever, ponctuant le discours de notre vénéré prêtre. Il est maintenant temps pour nous de pénétrer enfin dans les Terres Sacrées, nous devons y purifier le monde du mal. 

Nous avons pris aujourd’hui le contrôle de la dernière cité qui nous séparait des Terres Bénies. 

Demain, à l’aube, nous partirons à la conquête de Génésia. 

Génésia, la Terre qui a bercé notre enfance. Génésia, tant de fois survolée par les récits de Père. Génésia, cette terre promise à notre peuple depuis des milliers de saisons. 

J’en ai gardé pour preuve l’argile ancestrale, à l’écriture désuète, qui se transmet dans notre famille à chaque génération. Elle ne m’a jamais quitté, et ce sera la seule chose qui m’accompagnera au combat demain, mon habit et mes armes mis à part. 

Vous trouverez avec cette missive, une réplique à l’identique de la gravure immémoriale qui orne ce précieux héritage. L’imprimerie est un outil précieux qui permet de pérenniser les œuvres, et je veux que Anÿa s’accroche à cette copie en attendant mon retour. 

Mère, je ne tarderai plus. La prochaine vendange verra mon retour à la cité, notre héritage d’argile dans la main, chargé d’histoires, de combats, de paysages et de rencontres. 

Dans l’attente, veillez bien sur Anÿa, avec l’espoir qu’elle se remette.

Drüne. 

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Dame Eläre, 

Ce billet se voit porteur d’une bien triste nouvelle. Le bataillon envoyé à la découverte des Terres Saintes a été pris en embuscade, alors qu’il venait à peine de fouler le sol de Génésia. 

Votre fils, Drüne, un honorable membre de l’Ordre des Templiers, a malheureusement péri sous l’attaque ennemie. Il n’était porteur d’aucun effet personnel. 

Comme le veut la tradition de l’Ordre, son corps a été brûlé à la suite du Rituel Sacré.

Croyez bien, Dame Eläre que nous partageons votre peine.

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La fin dans le prochain épisode, la semaine prochaine ! 

Stay tuned vous pourrez gagner des jeux et des goodies 🙂

 Partie 2/3

Lire la première partie

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