Fake Crystal : bijou caché ?
Annoncé depuis de nombreux mois, Fake Crystal chez Arkham Society devait initialement sortir il y a un an. L’éditeur, que nous avons contacté, a rencontré plusieurs déconvenues, notamment des problèmes de production et de colorimétrie – un point particulièrement problématique pour un jeu basé sur le bluff. Finalement, le jeu arrive seulement maintenant, dans une relative discrétion, ce qui est regrettable. Pourtant, ce titre signé Sergio Halaban (Sheriff of Nottingham, auquel il emprunte d’ailleurs quelques airs de parenté) ne manque pas de qualités. Il met en avant une compétence clé : le bluff… que, pour ma part je ne maîtrise pas du tout. Je suis incapable de mentir, efficacement j’entends. Et pourtant j’ai bien aimé ce titre. Voyons pourquoi.
Des cristaux d’énergie pure
Nous sommes en 2377, l’ère de la vapeur est terminée, l’énergie est produite grâce à des cristaux de couleurs et de valeurs différentes que l’on va s’échanger à vils prix. Voilà pour le thème un peu steam-punk, vaporeux, il se volatilise assez vite. En réalité on est surtout dans un jeu de collection où le bluff est central. Autre chose, il faudra savoir estimer au mieux la valeur des cristaux que l’on va mettre en vente, comme une sorte d’enchère. Un vrai jeu de marchand. Ah oui ! Comme prévient le nom du jeu, il y a quelques cristaux qui sont des faux, et les faux nous donnent des points, mais négatifs… dommage n’est-ce pas ?
Une mécanique élégante
À chaque manche, on va tous en même temps proposer à la vente des cristaux, ce sont des tuiles, on en propose deux sur notre étal parmi les quatre que nous avons en main. Sur ces tuiles, une couleur et une valeur allant de 6 à 18 points. La couleur de la tuile est connue des autres joueurs, mais pas la valeur. Et un fake peut toujours se glisser quelque part.
Quand on propose une tuile, celle-ci est placée sur notre plateau pour indiquer sa valeur, selon l’endroit où je la place, elle pourra soi-disant valoir 6, 12 ou 18. Enfin, ça c’est si je suis honnête, car je peux faire ce que je veux, mais il faudra que je sois convaincant dans l’attitude, que je reste « poker face »quand on me sondera.
Je dois aussi déterminer la valeur à laquelle je souhaite la vendre. Car oui, il y a sa valeur théorique, et il y a le prix que j’en demande. Pour figurer ce tarif, j’utilise des cubes colorés, valant 1 et 3. Je peux ainsi dire « cette tuile vaut 18, mais j’en demande 6 ». Pour celles et ceux qui fonctionnent par analogie, c’est un peu le même système que l’excellent Isle of Skye. Cette phase est jouée en simultané et en l’absence de paravent, il faut s’accorder à ne pas jeter d’œil baladeur sur les plateaux des autres pendant le temps de la réflexion.
Une fois ceci fait, vient la phase où, chacun·e notre tour, on va pouvoir éventuellement acheter une tuile chez un·e adversaire, ou bien prendre le pécule devant la tuile. Thématiquement c’est assez étrange mais on oublie bien vite cet élément. Ce que je ne vous ai pas dit c’est que nous sommes dans un jeu avec une économie fermée. On débute tous avec 35 crédits. Par conséquent, il faudra parfois acheter une tuile, d’autre fois récupérer l’argent si on ne veut pas se retrouver à sec.
C’est ici que le jeu demande une compétence (une autre) très particulière, il faut savoir estimer à sa juste valeur notre Crystal, ou savoir bien mentir. Quand un adversaire prend l’argent devant votre tuile, alors votre tuile est ajoutée dans votre collection. Si vous avez placé une tuile avec beaucoup de points, c’est une bonne affaire, mais si au contraire vous avez “essayé de la faire à l’envers” et que vous aviez placé une tuile de faible valeur avec un prix prohibitif (voire un fake) vous voila puni. L’arroseur arrosé !
Nous sommes dans un jeu à économie fermée, il faut prendre garde à ne pas trop dépenser sans quoi les tours prochains on devra proposer des tuiles à bas prix, voire gratuites. Mais ça peut être l’occasion de glisser des faux cristaux. Je rappelle aussi que l’argent rapporte des points, il faut donc en tenir compte dans le prix que l’on fixe pour nos tuiles.
Si le premier tour est souvent un peu monotone, à moins peut-être qu’il y ait une sorte de passif entre les joueurs, sur les suivants on se jauge un peu, on essaie de comprendre les intentions des autres, et c’est beaucoup plus vivant. Plus la partie progresse, plus on se méfie et on ne sait plus à quel saint se vouer !
Au centre de la table : des tuiles objectifs publics. Le premier qui a 2, 3 ou 4 tuiles vertes pourra prendre le jeton rapportant 6,12 ou 18 points. Celui ou celle qui a le plus de cristaux bleus en fin de partie, etc. C’est ce qui va créer une forme d’asymétrie dans les demandes et qui peut vous pousser à réclamer un peu plus pour une tuile, d’autant qu’ils sont faciles à lire dans le jeu des adversaires. Cela ajoute aussi un peu de risque, par exemple j’ai 4 cristaux roses, je peux prendre le jeton qui vaut six points, ou attendre d’en avoir un cinquième ou un sixième pour prendre la suivante au risque que je n’y arrive pas ou qu’un adversaire aille plus vite que moi. C’est ce genre de décisions qui sont intéressantes et qui peuvent nous pousser à tromper un adversaire en lui promettant une tuile alléchante.
Ces objectifs changent bien la donne. Admettons, j’ai une tuile orange plutôt faible et je vois que Thibault n’a besoin que d’une tuile de cette couleur pour réaliser un objectif, je vais donc l’appâter en plaçant cette tuile. Maintenant je dois bien estimer la valeur pour qu’il vienne chez moi. Trop peu et il va sentir l’entourloupe, mais pas assez et finalement je fais un cadeau.
Un jeu de faussaire ?
On a aussi comme son nom l’indique, des faux cristaux, ceux-ci rapportent trois points de pénalité. Quelle valeur dois-je leur donner ? Comment piéger mes adversaires pour qu’ils mordent à l’hameçon ? Je rappelle que si jamais le joueur prend plutôt l’argent, c’est moi qui ramasse le faux cristal et du coup j’ai un peu tout perdu 🙂 Adieux veaux, vaches, cochons, enfin surtout adieu ma thune ! Et la thune c’est des points !
On a tout de même une petite compensation quand on récupère un faux. Cela donne un pouvoir sympa. Par exemple, l’Espion. Je vais pouvoir une fois dans la partie regarder une tuile sur un plateau avant de faire mon choix. Plutôt cool. Ensuite, je peux décider de prendre la tuile ou bien faire un tout autre choix, ce qui donnera une info aux autres aussi…
Ce pouvoir peut changer au moment de la mise en place : il en existe plusieurs, mais l’Espion est simple à comprendre et plus adapté pour débuter. On a essayé le Recycleur et on n’a pas été convaincu à la table, cela ajoute beaucoup d’opportunisme et la chance vient s’y mêler maladroitement je trouve. On a préféré le Négociateur qui inverse le rapport commercial puisque c’est à l’acheteur de faire une offre ! Malin !
Shériff fais moi peur
Je le disais, Sergio Halaban a réalisé aussi Sheriff de Nottingham et on retrouve ici quelques similitudes, même si dans le Sheriff on négocie plus, et ça nécessite surtout des grandes qualités de tchatche.
D’une certaine façon Fake Crystal m’a fait penser à une sorte de mix entre Art Moderne ce chef d’œuvre de Her Doctor Reiner Knizia et Râ un excellent jeu du même docteur. Dans le premier on a différents types d’enchères. Quand on achète une œuvre on paye le joueur qui la propose, il faut donc savoir quand monter sur une enchère, quand au contraire se retirer. On ne sait pas quel va être l’artiste le plus plébiscité, et attention à ceux qui ne nous rapportent rien car on aura dépensé de l’argent pour … rien.
Dans Râ on remportait des tuiles en payant avec nos jetons d’enchère, et cela fonctionne comme ici, en vase clos : le jeton enchère que j’ai utilisé va au centre de la table et moi je récupère celui qu’il y avait précédemment. Les tuiles que l’on remporte s’ajoutent à notre collection et certaines rapportent des points, d’autres en font perdre. Râ est très froid dans sa mécanique, mais très astucieux aussi.
Tu prends ou tu laisses ?
Dans Fake Crystal, je retrouve un peu toutes ces sensations dans un jeu plus simple à appréhender, plus vite intégré (même si au début le concept peut un peu décontenancer). Ra ou Art Moderne s’adressent à des joueurs habitués, la comparaison a ses limites bien sûr.
Fake Crystal est un jeu finalement très élégant et plus moderne, mais pas facile à saisir au premier abord. Il demande du bluff, du guessing et double guessing. Même quand on n’est pas à l’aise avec l’exercice on peut s’en sortir car d’une certaine façon, le jeu bluffe à notre place et pas besoin de tchatcher, même si j’imagine qu’il peut y avoir des tables où ça blablate pour retourner les cerveaux :).
Les objectifs ou trophées créent une asymétrie des demandes qui pousse à surestimer un cristal et même peut-être à piéger un joueur avec un faux. Ces faux cristaux ajoutent un sentiment de défiance ou de “paranoïa” assez subtil. Mais avec une compensation qui peut amener des renversements de situation.
Il réclame surtout une table prête à tous les coups bas, et instille une ambiance particulière de suspicion et de roublardise ! Un bon jeu qui méritait son petit coup de projecteur.
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