EXIT : déverrouille-moi ça, que je sorte !
Outre les panneaux de sortie dans la langue de Marlowe, EXIT est aussi une gamme de jeux de société allemande, par les auteurs de Descendance ou Murano (et Rajas of the Gange plus récemment), Inka et Markus Brand. De surcroît couronné par le KennerSpiel des Jahres 2017 (jeu expert de l’année), EXIT mérite qu’on lui porte un peu d’attention.
Jeu-expérience à la manière d’un Unlock! où l’on tente de s’enfuir d’une pièce, mais sans application smartphone, on retrouve des énigmes à élucider, des casse-têtes à décrypter et des mystères à résoudre. On reviendra plus tard sur la comparaison – évidente – avec son frangin-concurrent. J’ai pu jouer à quatre scénarios d’EXIT : celui d’introduction, et les trois d’origine pour l’instant localisés par Iello. On en attend d’autres pour l’an prochain.
Le système de jeu est très simple : vous devez résoudre des énigmes, parfois concomitamment, parfois successivement. Ces énigmes sont indiquées par un pictogramme, qui vous indiquera souvent qu’un élément du jeu est lié à ce que l’on cherche en particulier.
Mais comment démarrer une partie d’EXIT ? Eh bien il suffit de déballer le matériel, et de séparer le paquet de cartes fourni en trois piles face cachée : les Indices, les Réponses et les Énigmes. Avec tout cela on trouvera un livret de règles concis (no shit, Sherlock !), mais surtout un carnet d’aventures qui sera une sorte de guide dans les puzzles, et qui viendra nous donner des indices, des façons de répondre, voire même des panoramas dans lequel nous pourrons voir des pictogrammes correspondant aux énigmes. Il y a aussi un “objet étrange” sur du punchboard fin, et qu’on acquerra dans l’aventure, avec une utilisation toute particulière. Je ne fais pas cette liste du matériel pour vous ennuyer ; cette base est un ADN constitutif d’EXIT sur lequel le couple d’auteurs brode un tissu mystérieux.
Car, à EXIT, il y a une règle très importante. Le matériel est là pour servir. Pour être plié, déchiré, tordu, détruit, démantelé, troué, retourné en tous sens, juxtaposé… Oui, EXIT ne se joue qu’une fois et il est vain d’attendre une quelconque replay value, ou même de vous le faire prêter.
Il est vain aussi de vouloir épargner son matériel : c’est un peu comme si on souhaitait manger une pizza encore chaude dans son carton sans salir la boîte. C’est possible certes, mais pénible et pour tout dire, cela nuit au plaisir.
Revenons à nos énigmes ; lorsque vous avez la solution, vous la reportez sur une roue décodeuse. Cette roue est la “machine” qui fait tourner EXIT, et qui vous permet d’obtenir une réponse à trois entrées (pas forcément numérique !) qui, en retour, vous donne un chiffre grâce à un système d’ajourements plutôt malin. Vous révélez un chiffre, qui, lui, vous indiquera d’aller piocher une carte dans la pioche de cartes réponse. Rassurez-vous, c’est plus simple à faire qu’à expliquer !
Un système de score vient clore la partie, en fonction du temps passé, du nombre d’indices utilisés. Cela vous permet de savoir si votre groupe a été bon ou pas ! Ah, et parlons-en, des indices ! Ils se rapportent aux différents pictogrammes d’énigmes, et vont toujours par trio : deux indices, puis, pour que vous ne soyez jamais bloqués, la solution. Un petit bilan au dos des règles permet d’enregistrer le score, mais demande aussi au groupe d’indiquer l’énigme la plus difficile à résoudre, et la préférée de la session : de bonnes idées qui obligent à se remémorer la partie qui passe souvent très vite et en mode tunnel.
La question que vous me poserez immanquablement est “qu’en ai-je pensé ?”
EXIT est un repoussoir de limites. Vous ne verrez pas votre matériel de la même façon après l’une ou l’autre des énigmes tant les époux Brand vous obligent à reconsidérer la façon d’utiliser le matériel. Les verbes que j’employais plus haut ne sont pas vains, et il faudra souvent réfléchir hors du cadre donné. Et ça, c’est bon. Excellent, même. Un des points forts d’EXIT. La gratification offerte par une solution innovante est incroyable.
Par contre, l’habillage thématique souffre un peu : là où Unlock! tente de vous faire vivre une aventure par une sorte d’avancée thématique des énigmes (pas toujours, mais souvent), EXIT vous propose un défi plus cérébral, plus raccord avec ce qu’on pourrait trouver dans la plupart des escapes room. On aura affaire à des énigmes plus artificielles, mais ce sera la fête dans le cerveau des participants.
Cependant, tout comme Unlock!, EXIT souffre du syndrome du leader. Un “chef” pourra guider beaucoup d’actions de la part des joueurs. Mais EXIT a un atout dans sa manche : comme les énigmes demandent plusieurs types d’intelligence (liée au langage, aux formes, aux chiffres, à la manipulation…), on aura des difficultés à toujours rester “devant” les autres en termes de pensée. Chacun aura son petit moment de gloire, sa pierre à apporter à l’édifice. Ainsi, l’effet “leader” sera amenuisé.
Le fait d’avoir une course et non un compte à rebours change aussi le rapport que l’on a au jeu : on cherche à aller vite, on veut peut-être jouer le chrono, certes, mais on n’a pas la pression du gong de fin. Cela reste gratifiant, notamment grâce au système de scoring, qui prend en compte temps passé et indices révélés.
Unlock! ou EXIT ?
Les deux expériences ont trouvé leur public. (L’un a reçu un As d’or, l’autre un Spiel, c’est un signe non ?) Chacun son caractère, son approche (chrono, appli, matériel one shot…), mais ils sont similaires en bon nombre de points. Si vous avez apprécié l’un, l’autre vous siéra aussi, du moins c’est probable.
Selon moi, Unlock! a en immersion ce qu’EXIT a en inventivité matérielle : un petit plus qui fait la différence. N’étant pas gadgetovore, j’ai une légère préférence pour EXIT, simplement parce qu’il me reste plus d’événements mémorables de cette gamme-là. Vous savez, le genre de moment “eurêka !”, où vous êtes à la fois satisfait d’avoir perçu et décrypté la logique de l’énigme tout en étant soufflé par l’inventivité du procédé.
Comme pour nos retours spoiler-free sur les scénarios de T.I.M.E. Stories, je vous propose un ressenti sur les trois scénarios d’EXIT parus.
La cabane abandonnée
Dans ce décor de film d’horreur bien glauque à souhait, vous trouverez les indices nécessaires à votre échappée.
Les énigmes m’ont semblé assez immersives et obligent à se pencher sur un environnement plutôt impressionnant si l’on s’y projette. Cependant, elles me paraissent assez peu inspirées en regard des autres volets de la gamme.
Mais, au final, ce décor flippant, on est forcé d’y revenir, souvent. On se sent inclus “dans” le lieu, prisonniers d’un mastermind au mental fêlé. C’est le scénario le plus engageant des trois, en termes d’intrigue.
Le laboratoire secret
Partant sur cette base de tests dermatologiques et de chimie plutôt rigolote, le Labo change un peu la donne et cesse de proposer des chiffres sur sa roue, et les remplace par des béchers, tubes à essai et autres contenants. Les énigmes sont un peu plus retorses, car elles obligent à réutiliser le même code de façons différentes ; bonne surprise, avec des twists bien plaisants au menu.
Pas forcément super joli ni hy-per original, le Laboratoire brille au final par ses ajustements mécaniques plutôt malins, et n’est absolument pas réservé aux scientifiques !
Le tombeau du Pharaon
Si la prémisse est la plus convenue des trois boîtes ici commentées, la Tombe du Pharaon est aussi celle qui regorge le plus d’innovations. Nous avons eu des moments vraiment fous pendant notre partie. Des instants “ouaouh” comme jamais.
Mais aussi quelques énigmes capillotractées ou qui brisent l’immersion.
Cependant, l’aventure reste d’une très bonne qualité globale, et demeure également dans les clous de ce qui se fait dans le reste de la série.
Malgré les inégalités de ce scénario, c’est, au final, celui qui me restera sans doute le mieux en tête… C’est également le plus richement illustré, on est à dix milles kilomètres du jeu à l’allemande, ça fait plutôt du bien.
La Station Polaire
J’ai senti ce scénario un peu plus faible que les précédents : l’ambiance « The Thing » est plutôt ratée et tente de proposer une histoire complètement superficielle qui ne se développe pas vraiment alors qu’il y avait des choses (haha) à exploiter avec.
Mécaniquement, on sent des redondances, des passages artificiels liés aux contraintes d’EXIT : difficile de dire que l’aventure est sans tache. On fait compliqué pour faire compliqué, sans vraie cohérence (non mais les flocons, quoi !). Pour se renouveler, le système a peut-être besoin d’une goulée d’air frais ou d’un petit lifting. Ou de nouveaux auteurs avec des idées innovantes ?
L’Île Oubliée
Place à un thème Pirate pour cette boîte-ci. Égarés sur une île infernale, nos héros (ne continuez pas la chanson) doivent… s’échapper. En ouvrant des coffres, barils et autres accessoires ça et là. Le thème pirate est plutôt prenant, pour peu qu’on oublie le système de jeu toujours un peu artificiel. Certaines énigmes nous auront parues géniales quand d’autres nous ont bien sorties de la thématique car finalement assez artificielles. Néanmoins on retrouve toujours un souci de surprendre, avec certaines énigmes qui requièrent des compétences différentes de d’habitude.
Le Château Interdit
Le psychopathe de la toute première boîte d’Exit revient avec un plan encore plus vicieux qu’avant. Cette fois-ci, pour ce scénario extra-difficile, nous voyagerons dans un château attrape-touriste qui s’avère être beaucoup plus retors que prévu. Au menu ? Ah, eh bien toujours plus d’énigmes, avec un décodeur à base de clefs. Tout est fait pour vous perdre et vous avez parfois sous les yeux le début d’énigmes tardives. Très cérébral, le scénario se permet le luxe d’astuces matérielles très rigolotes, explorant des espaces de game design inexplorés et même d’un soupçon d’arborescence, avec un scénario scindé à un moment précis.
Côté narration, on est clairement dans un palais mental et non dans une aventure cent pour cent cohérente.
Plutôt très très bon, mais plutôt très très expert aussi. À réserver, donc, à ceux qui se sont déjà frottés au Tombeau du Pharaon.
Le Trésor Englouti
Le Trésor Englouti est un scénario de débutant, et effectivement, ma petite équipe d’EXITiens entraînés a traversé la boîte tel le Concorde et l’Atlantique (ou l’iceberg et la coque du Titanic, c’est vous qui voyez). Dans ce scénario, on partira en plongée avec notre pote Edgar dans une quête au trésor… Un peu de marine du XVII-XVIII°e, un peu de plongée moderne, et surtout, un panel de tout ce qu’EXIT sait faire, en douceur : les joueurs seront confrontés à une seule énigme à la fois plutôt que d’avoir plusieurs éléments à rassembler, plutôt que d’avoir tout le carnet d’aventure d’un coup. La surcharge mentale n’existant pas, vous pouvez vous concentrer pleinement sur les énigmes, qui vous proposeront un peu d’écriture, un peu de bricolage et un peu de casse-tête logiques, mais, encore une fois, en douceur. Une fois que vous aurez fait ce scénario, vous serez prêts à entamer du plus costaud !
Le cadavre de l’Orient-Express
Surfant plus sur les terres de l’enquête, cette boîte d’EXIT se veut bien plus thématique que les autres (et l’est). L’inspecteur Panait est dans le coin, et résoudrait bien le meurtre à votre place dans ce huis clos qu’est l’Orient-Express, mais, malheur, il a disparu. Vous parcourrez les compartiments à la recherche d’indices, débloquant de nouveaux lieux à explorer petit à petit. Force est de costater que la surcouche d’enchère marche très bien, et propose un gameplay à la fois plus narratif et moins mécanique que ce à quoi nous étions habités auparavant, et on ne s’en plaindra pas. Peut-être qu’au final, ce qui m’aura semblé le plus réussi dans cette boîte, c’est donc ce qu’elle fait de différent, les risques qu’elle prend pour s’écarter de son propre canon. C’est là la gageure de telles gammes : comment se renouveler sans trop en faire, comment changer la formule pour ne pas créer l’ennui, et pour continuer à susciter de belles choses.
Au final, cette boîte-ci relève le gant avec brio !
Le Musée mystérieux
Une visite de musée qui tourne mal (sauf si vous vous en sortez). Utilisant un gimmick que je ne divulgâcherai pas, le Musée Mystérieux joue sur des personnages bien connus (Leonardo Da Vinci, Marie Curie, Einstein) et les exploite le mieux possible. Comme il est de coutume pour les boîtes niveau débutant, la progression est linéaire et, si elle donne moins l’impression d’une « vraie » escape room, elle permet au groupe de ne pas se disperser. On salue l’attitude de Kosmos, qui continue à créer des points d’entrée pour sa gamme, de saison en saison, avec des petits trucs physiques toujours agréables et démontrant les possibilités du système. En revanche, la narration s’en trouve un peu artificielle.
Le Manoir sinistre
Ce scénario confirmé m’a semblé cocher toutes les cases, avec des énigmes plus cool les unes que les autres, utilisant aussi des « repères visuels » (je n’en dirai pas plus pour vous réserver la surprise) qui viennent s’ajouter au système déjà existant. Un clin d’oeil est fait aux saisons précédentes (la Cabane abandonnée / Le Château interdit), créant un arc narratif certes ultra-mince, mais du meilleur goût ; peut-être Exit aurait-il dû aller dans cette direction narrative dès le début, avec des réussites comme l’Orient-Express ou ce Manoir… en tout cas, je ne puis que recommander cet opus plein de petites surprises ayant fait son effet wahou chez moi.
L’Affaire du Mississippi
On retrouve ici le principe de l’Orient-Express : chaque énigme servira à raccrocher les bouts d’une intrigue plus large. Et il faut bien avouer que cette tentative de dramatiser la formule Exit fonctionne plutôt bien : on se plaît à imaginer la soirée pendant laquelle le crime a été commis, on s’en amuse, on est heureux de connecter les points, au delà de la simple résolution d’énigmes. Le jeu ne se contente pas d’utiliser les artifices à base de roue décodeuse, et va plus loin, marchant sur les plate-bandes de jeux d’enquête légers (disons Adlerstein). Un plus très appréciable qui sort des clous habituels des Exit ! Ce point fort est à vrai dire ce qui me chiffonne un peu : on sent un peu de lassitude du côté du système d’Exit, qui a fait son temps et qui peine à se renouveler (tout en y parvenant avec une qualité assez uniforme), mais, à la fois, on a envie de saluer chaque innovation, chaque petite nouveauté… comme si le système de base ne se suffisait plus.
Mise à jour du 25/7/2018 : Rajout de la Station Polaire
Mise à jour du 13/3/19 : Rajout de l’Île Oubliée et du Château Interdit
MAJ 12/6/19 : Rajout du Trésor Englouti
MAJ du 27/6/19 : Rajout du Cadavre de l’Orient-Express
MAJ du 10/10/19 : rajout du Manoir sinistre et du Musée mystérieux
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morlockbob 28/11/2017
merci pour le retour, j’avais mis de côté cette gamme, n ‘ayant pas vraiment eu de retour. Je vais m en essayer un.
Julie Bigot 29/11/2017
J’ai uniquement fait la cabane abandonnée mais j’ai trouvé ça moins bon qu’Unlock. Ce que je reprocherais à Unlock ce sont les numéros cachés sur les cartes ! Même si on finit par savoir qu’il faut toujours tout inspecter minutieusement (au risque d’iaginer des numéros qui n’existent pas parfois :P) et j’ai l’impression que c’est moins vrai dans la seconde boite que la première.
morlockbob 04/12/2017
Est ce que ca peut se jouer en voiture ou dans le train ou faut-il poser les cartes , les étaler ? Mrci
FX 04/12/2017
ca me parait difficile il y a beaucoup de tas à étaler (tu as un tas de carte par indice, avec trois niveaux), des découpages ou des pliages parfois. A savoir que si tu veux pouvoir réutiliser ton exemplaire, il vaut mieux avoir une photocopieuse pas loin. Unlock et Exit ne sont pas identiques, Unlock est meilleur sur l’ambiance, et Exit plus intéressant sur la manipulation et la fluidité, tu n’es jamais vraiment bloqué dans Exit, par contre si tu veux être dans les temps il faut réfléchir c’est certain. J’aime les deux personnellement. (j’ai fait deux exit sur les trois).
Fredovox 04/12/2017
Dans la voiture non, il faut de la concentration sur le jeu et son matériel (et je préférerai que le conducteur se concentre sur la route…) Et vous aurez peut être en effet besoin de matériel supplémentaire, comme des ciseaux, des stylos.. Donc pas l’idéal en train non plus.
Le fait que le jeu t’obliges à sortir du cadre, et de ne pas avoir de limites sur la matériel, de permet de te lâcher. Je n’ai eu aucun scrupules à un moment à découper une carte en petits morceaux alors que j’espérai trouver la solution, alors que c’était inutile. Mais me jeu le permet, donc tu prends plaisir à l’essayer
aymerick_417@hotmail-fr 01/02/2020
Alors oui Exit n’est physiquement pas rejouable pour cause de destruction de matériel (problème qui peut en fait être très facilement contourné, surtout que peu de matériel est à détruire généralement) mais c’est aussi sa force car il propose de fait, un type d’énigmes inédit, et plusieurs d’entre elles sont particulièrement ingénieuses et Le Manoir Sinistre en est la preuve. Absolument incontournable dans la série, si vous avez aimé La cabane Abandonnée, vous adorerez celui-ci. Difficile d’en dire plus pour ne pas gâcher la (les) surprise(s) mais si vous y accordez du temps votre patience sera récompensée 😉