Evenfall : l’arbre-monde étend ses branches
Evenfall est la première création de Stefano Di Silvio sorti chez DLP Games et Nanox et qui arrive chez nous en français traduit par Matagot (vous l’avez peut-être vu via cette news). De la gestion de ressources, de la création de moteur, des cartes multi-usages à combo, le tout assemblé avec des mécaniques connues et d’autres … un peu moins. Tout cela fleurait bon les sous-bois avec cette magnifique cover signée Martin Mottet ! Pour ne rien gâcher, il était tout de même auréolé d’un joli 7.8 sur BGG, rien que ça… Bref, il était temps de revenir plus en détail sur ce jeu et ce qu’il offrait en termes de gameplay.
La forêt aux sorcières
Nous incarnons des clans de sorcières qui vont découvrir de nouveaux lieux, lancer des rituels, engager des spécialistes ou des membres du conseil ; le but étant de marquer le plus de points de victoire durant les trois manches du jeu. À chaque fin de manche, un combat sera déclenché entre les joueurs. En réalité, de la majorité pour gagner, des bonus et des pierres de pouvoir. Voilà pour un déroulé global.
Chaque joueur débute avec son plateau Assemblée, ses Meeples sorcières et anciens. Après avoir récupéré nos ressources, en fonction de notre plateau (identique pour tout le monde ou différent si mode asymétrique), vous allez pouvoir réaliser des actions chacun votre tour.
Evenfall est un jeu de cartes essentiellement, mais nous avons aussi des Meeples afin de découvrir de nouveaux lieux. Les cartes lieux sont placées à droite de notre plateau. Sur ces lieux, on va pouvoir y adjoindre des Rituels. Ces derniers peuvent déclencher un effet immédiat, ou bien ouvrir une zone où l’on pourra un tour prochain poser un de nos Meeples sorcières, un peu comme dans Everdell. Nos Meeples pourront aussi servir sur des zones limitées pour gagner des cartes, des ressources ou déplacer une de nos cartes de notre cercle élargi à notre cercle restreint.
C’est le concept le plus fort et le plus original de Evenfall, nos cartes sont placées dans la zone haute d’abord et elles peuvent être déplacées ensuite dans la zone du bas, notre cercle restreint. Il existe deux avantages à cela, d’abord on ne scorera les points sur celles-ci que si elles sont dans notre cercle restreint.
Rappelez-vous, on avait ce principe dans Elysium où les cartes au-dessus de notre plateau nous permettaient de gagner des pouvoirs, mais pour marquer les points il fallait les faire passer en-dessous (le dilemme étant que l’on perdait leur capacité en le faisant).
En les plaçant dans notre cercle restreint, on va utiliser pouvoir nos anciens (nos autres Meeples) ce qui nous donne bien plus de possibilités – et oui, qui cracherait sur quatre ouvriers de plus par manche ? La contrepartie négative réside dans le fait que les cartes en haut peuvent générer des ressources en utilisant notre jeton, il faut donc bien choisir son moment pour faire l’ascenseur.
Evenfall est un jeu de construction de moteur : les cartes sont jouées pour créer des synergies soit pour gagner des ressources, Herbe, Connaissance, Potion ou Mana, ou des pouvoirs. Avec les spécialistes qui se placent côté gauche de notre plateau on pourra bénéficier d’effets permanents – une ressource en moins à payer pour ces Rituels, des points en plus quand vous jouez telle action… Rien de bien original quand on a l’habitude des jeux de combos, mais cela fonctionne tout de même très bien. Ces spécialistes peuvent aussi être joués sous notre plateau pour des points de victoire de fin de partie essentiellement.
Une sensation Eurogame très marquée
On est tout de même très proche d’un jeu Euro puisqu’on va construire son moteur et chaque ressource peut être importante, toutefois on peut toujours dépenser deux cartes pour gagner une ressource de notre choix, avoir des cartes permet donc d’avoir ce contrôle sur le jeu. Comme dans Narak, parfois on aura le choix parmi les ressources et il faudra bien réfléchir sans quoi l’on pourrait bêtement se trouver à caler. On retrouve de l’optimisation, par exemple, en plaçant ce Rituel sur ce lieu, non seulement je gagne l’effet de la carte, mais aussi un effet de liaison, ici, 2 points si le rituel à le mot-clé Artefact.
Une idée intéressante se cache dans la construction des catalyseurs : à son tour on peut placer des jetons catalyseurs sur ses cartes (pour peu qu’elles aient des emplacements). Avec les Serpes, je prépare ma zone de production de ressources, afin de produire plus quand j’activerais mon jeton Clan. Avec les Orbes j’avance sur ma piste Assemblée. Malin parce que cela nous laisse un vrai choix sur le jeu, les ressources servant aussi à poser des cartes, choisir, renoncer, tout ça tout ça…
Gagner des points peut se faire de différentes manières : les cartes présentes dans notre cercle restreint, ou celles de fin de partie, etc. La piste d’Assemblée représente encore un autre moyen de marquer des points, c’est tout simple : chaque fois que l’on monte son marqueur Assemblée on gagne ce qui est indiqué et plus on fait évoluer ce marqueur et plus les récompenses sont intéressantes, mana, points ou cartes que l’on déplace en dessous de notre plateau.
Combat de sorcières ?
Comme vous le pressentez un peu, l’interaction n’est pas centrale, personne ne viendra vous briser votre moteur ni vous voler de points de victoire. La seule présence d’interaction dite négative ici consiste en la prise des cartes lieux sur le plateau et les quelques zones poses d’ouvriers que l’on va surement utiliser au début, mais moins ensuite si notre moteur de jeu est monté dans les tours. Le jeu évite donc sciemment les conflits, même la phase dite de « combat » qui se déroule à chaque fin de manche est une séquence relativement gentille. Jugez plutôt.
Sur chaque zone, on va compter le nombre de Meeples à notre couleur présents (si vous n’en avez pas, oubliez la suite :)). Cela représente votre force, à laquelle vous allez ajouter du mana sur votre roue – Mana que vous dépenserez sur la piste bien visible de tous. Le joueur majoritaire remporte une des pierres de pouvoirs présentes : ces pierres doublent les points d’une carte en fin de partie, ce qui est loin d’être négligeable. Cependant tout le monde va gagner un ou plusieurs bonus en fonction du Mana dépensé, on n’est donc jamais totalement perdant. À la rigueur, on va devoir choisir ses batailles vu qu’il y aura deux ou trois phases de combat (en fonction du nombre de joueurs).
Pas une interaction forte c’est vrai, pas non plus du multiplayer solitaire, mais presque. Evenfall propose une forme d’interaction positive, certains Rituels déclencheront des effets dans les zones des adversaires, si bien que l’on lève tout de même le nez pendant la partie. D’autres offrent aux autres une avancée sur la piste d’Assemblée (mais vous gagnez 2 points par joueur·euse qui le fait). Enfin, certains demandent à surveiller les zones des autres, pour des conditions de fin de partie, si l’on est majoritaire).
Tempus Fugit…
Pour ces raisons, je préfèrerais jouer à deux ou trois maximum, pour ne pas voir le temps s’échapper, d’autant qu’il y a vraiment moyen que le jeu traîne en longueur si vous avez un ou plusieurs camarades en état cataleptique, ce que l’on appelle dans le jargon du paralysis analysis. Trois étant surement l’idéal pour laisser une tension plus forte sur les phases de « combat », tout en dépendant tout de même des profils de joueurs.
Je pense que le jeu se révèle plus avec l’asymétrie des plateaux. Elle est très marquée sur la face lune avec une carte lieu de départ plus puissante. Celui ou celle qui joue le Pic (rouge) a intérêt à gagner des pierres de pouvoir, car en plus des points de victoire de fin de partie, iel va pouvoir déclencher des effets sur son plateau, ce qui lui offre des axes intéressants. Iel devra privilégier le Mana pour remporter les combats et les pierres.
Après le Pic, voici l’Etoile (bleu), qui commence chaque manche avec beaucoup plus de cartes, mais pas de ressources, mais son avantage, c’est qu’iel peut défausser une carte pour une ressource (deux pour les autres). Son premier membre de conseil est gratuit et le suivant bien moins cher que les autres. Iel lui faut trouver un moyen de produire beaucoup de ressources par exemple, ce qui est tout à fait possible étant donné qu’il brasse beaucoup de cartes.
La Croix (en noir) joue surtout sur la piste d’Assemblée avec à chaque montée un choix parmi deux, iel a même une zone d’action qui lui permet de gagner les deux bonus, ce qui s’avère très fort si l’on réussit à évoluer fortement sur la piste en question, mais ça demandera d’avoir les cartes qui jouent sur cet axe là.
Le Cercle (jaune) peut jouer ses Anciens dans son cercle élargi, ce qui est un gros avantage étant donné qu’iel a du coup beaucoup plus de Meeples disponibles. Iel a intérêt à différer le plus possible le moment où iel fait passer les cartes dans son cercle restreint. Sa piste Assemblée permet de faire ses déplacements.
Bilan : tombé de l’arbre !
Une chouette édition, le matériel est de très bonne qualité et le travail d’illustration de Martin Mottet sied parfaitement à cet univers magique et éthéré. L’ergonomie est bien pensée, elle demande un peu d’apprentissage, mais est vite intégrée, pas non plus de problèmes de règles. Concernant le thème, il est clairement plaqué, il n’y a pas d’efforts effectués de ce côté-là. C’est tout le travail d’illustration qui donne corps au jeu, et finalement je trouve que c’est plus une force qu’autre chose, car le tout demeure très fluide.
Je conseillerais d’y jouer très vite en mode asymétrique, le challenge y sera beaucoup plus remonté (peut-être pas si vous découvrez le jeu, comme vous le sentez). Pour ma part, j’ai fait la première session en classique et les suivantes mêmes avec de nouveaux partenaires en asymétrie. Rien d’insurmontable. Je conseille aussi la variante proposée qui consiste à avoir deux cartes de plus à chaque phase une, sachant que l’on doit en défausser deux. Dans un jeu de cartes à combo, avoir cette liberté est primordial.
On a beaucoup aimé Evenfall, malgré ses quelques travers (le côté un peu solitaire à plusieurs, et la potentielle constipation neuronale). Il est possible de voir l’entièreté des cartes assez rapidement, ce qui peut apparaître comme un défaut, mais qui pour moi ne l’est pas, je trouve au contraire que la dilution est bien gérée. J’ai pressenti en jeu des stratégies en fonction des cartes qui sont passées dans mes mains, stratégies que je n’ai finalement pas tentées partant sur d’autres synergies. Attention, s’il n’y a rien de compliqué mécaniquement pour des joueurs habitués, il reste exigeant, et une erreur peut vous faire caler, pendant que votre adversaire continue à dérouler son jeu quelques tours de plus…
On ne peut pas dire qu’Evenfall soit bien original, après tout, il utilise les recettes classiques des jeux à moteur et jeux à combo déjà existants, mais avec cette mécanique de cercle élargi et cercle restreint, ses deux types de Meeples et son asymétrie, il offre des dilemmes et un tempo sinon unique, plutôt rafraîchissant, avec un espace de décision important qui s’avère très agréable.
Une extension est déjà annoncée : The Crystal Path, elle comprendra 78 nouvelles cartes, deux nouveaux clans et quelques nouveautés mécaniques.
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BreizhViking 11/06/2024
Bonjour,
Vu d’ici, çà ressemble à du Res Arcana, non ?
atom 11/06/2024
c’est marrant parce que je vois souvent des comparaisons comme celle-là ou celle de Settlers. Si j’excepte le thème, ou plutôt l’univers moi je ne trouve pas que ça ressemble justement à Res Arcana, je trouve les dynamiques très différentes. Et Settlers encore moins, là aussi si j’excepte le placement, on ne fait pas du tout les mêmes choses. Mais c’est possible que l’auteur se soit inspiré de l’un et de l’autre. De toute façon on ne crée rien sans s’inspirer consciemment ou inconsciemment. La comparaison qui ne m’est pas venue de suite, c’est celle de Elysium avec ce twist je construis mon, moteur mais le détruis pour marquer des points. Dans Evenfall, on ne le détruit pas totalement en plus, selon ce que l’on fait on a plus intérêt à faire descendre les cartes.