Enigma – un jeu pour l’homme-mystère ?
Pour qui, c’est quoi ?
Enigma est un jeu plein de tuiles et de pions par le Finlandais Touko Tahkokallio. En l’ouvrant, on se dit « tiens, c’est atypique ». Pas de plateau, pas vraiment de cartes format poker ou mini, pas de dés. Mais des pions de plastique, des formes de tangram, des rondins de bois…
Le tout n’est peut-être pas super joli ni attractif, mais il en ressort un look steampunk un peu désuet. Comme un jeu des années 90. Les pions sont impersonnels, et annoncent la couleur : pas de personnage, pas de folies dans le matériel. Étrange pour un jeu à destination des 8+ !
Comme bonjour
Lecture des règles : j’ai rarement vu plus court. C’est efficace, expéditif, et bilingue français-anglais. Faut dire qu’il n’y a pas de texte sur les tuiles, seulement des symboles. On dirait un jeu apéro dans l’approche.
Faites vos jeux !
Comment ça marche ? Chaque joueur joue des ingénieurs à la recherche de sources d’énergie. Le but est de construire des circuits qui rapporteront un certain nombre de points. Pour cela, il va falloir construire des réseaux d’énergie, un peu comme les routes à Carcassonne. À chaque fois que vous positionnez une nouvelle tuile, vous placez un ingénieur sur un symbole d’énergie. (Attention, pas possible de placer un ingénieur sur une couleur déjà occupée ! Lors de la fermeture d’un circuit, on marque autant de points que de symboles d’énergie de sa couleur sur le circuit.
Pour obtenir une tuile, il faut gagner un mini-jeu (je vous en parle dans une minute).
On peut voir que Noir est dans une position délicate : n’ayant que les bleus, il obtient 3 points à la fermeture du circuit. Blanc a 2 points en rouge, et 6 en vert. Il marque 8 – la victoire est à 15. Notez les pictogrammes qui indique de quel mini-jeu est issue la tuile.
Trois p’tits tours
Un tour de jeu est simple : chaque joueur choisit un mini-jeu à tour de rôle et prend la tuile d’énigme correspondante, en choisissant, bien entendu, celle qu’il lui faut pour étendre son réseau de façon optimale. Ensuite, chaque joueur résout son énigme en même temps – ou du moins, essaie. Une fois la première énigme élucidée, on retourne un sablier de 30 secondes, qui est la deadline pour que les joueurs finissent leur propre énigme. Ceux qui n’y parviennent pas n’auront pas le droit à poser de tuile ni d’ingénieur. Autant dire que la sanction est sévère.
So much space
Sur les quatre mini-jeux, trois sont des jeux spatiaux et un dernier est consacré aux chiffres. Commençons par celui-ci.
Le but en est simple : il suffit d’équilibrer une balance en utilisant un nombre de poids donné. Bien entendu, il faut utiliser tous les poids, sinon, ce serait trop facile.
Exemples de défis : notez bien que le tout n’a pas l’air très régulier.
Une énigme résolue : 21 = 3*2+15. Bête comme chou, mais en temps limité, ça peut tromper. Si, si, je vous jure.
Il y aura un tangram tout ce qu’il y a de plus classique.
À noter : je n’ai pas mis de banane comme échelle, mais les pièces sont vraiment dures à arranger pour les mains de taille moyenne à grande. C’est vraiment ennuyeux de se sentir inapte à manipuler le jeu…
Résolu. C’est carrément millimétré sur certains, et la difficulté va du simple au quadruple.
Passons rapidement aux tuyaux. Le but est de remplir totalement la carte de tuiles composées de tuyaux, sans incohérence, sans laisser de trous, et parfois, avec des pièces interdites.
Un exemple ici :
Dernier jeu (le plus fun à mon avis, mais aussi dans une lignée de casse-tête très classique, un jeu de positionnement 3D. À l’aide de formes, il faut reproduire un dessin par la vue de haut, mais sans laisser d’interstice entre les blocs.
C’est pas régulier comme Tetris, ça non.
Résolu. À votre avis, ça m’a pris combien de temps ? (À vue de pif, on va dire vingt secondes, parce que je suis un singe intelligent).
Pourquoi on joue ?
Les puzzles d’Enigma s’enchaînent et forcent le joueur à toujours changer d’activité cérébrale. Ça a un côté plaisant ! Mais au-delà de la dimension casse-tête, quelle est la force d’Enigma en tant que jeu de société ?
Ses tours fluides, probablement. On a peu de choix signifiants à opérer. Hormis la prouesse technique, un joueur a trois choix, tous assez simples et limités :
- choisir son challenge : on choisit en fonction des activités restantes, en fonction de ses compétences (certains joueurs détestent les chiffres, d’autres le tangram), ou, enfin, en fonction de ce qu’une tuile peut rapporter en termes de circuit.
- choisir où l’on place sa tuile. La relier à quel circuit pour maximiser ses points. Encore une fois, c’est de la programmation un peu décidée à l’avance, sans beaucoup d’inconnues.
- placer son ingénieur. Sauf qu’un ingénieur, ça ne demande pas mille ans de réflexion : on le pose là où ça va faire des points !
Quid de l’interaction ? Elle se limite aux tuiles et au jeux dont on prive les autres joueurs. Ce mécanisme de réseaux à connecter est un prétexte à jouer les casse-tête. Pour autant, Enigma est un jeu familial, qui peut avoir ses adeptes : c’est clairement un plateau pour 7 à 77 ans. J’ai tendance à voir les jeux familiaux comme des ouvertures aux jeux plus complexes, mais, en l’occurrence, Enigma a des aspérités : certains puzzles sont très difficiles alors que d’autres accusent une facilité déroutante. Injuste, et pas très fair-play pour un jeu familial, sachant que l’échec à un casse-tête est ultra punitif. L’initiation à 4 casse-tête différents justifie-t-il l’achat d’une grosse boîte ? Pour moi, pas vraiment.
Il reste l’intérêt d’un coffret qui présente 4 (ou 5, avec les réseaux) mécanismes et mini-jeux différents ; 4 qu’on peut jouer seul, sans contrainte, si l’on veut. Car le propre des casse-tête, c’est souvent qu’ils demandent patience et concentration. Le temps limité ne les rend pas plus agréables que ça. Enigma n’est pas un cadeau empoisonné, loin de là, mais ses rouages de jeu de société sont bien rudimentaires, et se plaquent sur les casse-tête sans véritable sens, sans narration à l’appui. On ne se construira pas de belle histoire ou de beau paysage comme à Carcassonne.
La première version d’Enigma avait un thème d’exploration de ruines, à la Indiana Jones, et des mécanismes un peu différents.
L’austérité
À l’instar de Cranium, Enigma part d’une bonne intention, mais là où Cranium propose des défis fun (chanter tous en même temps, dessiner les yeux fermés, mimer l’apesanteur à quatre), Enigma ne se foule pas. On reste dans le jeu familial plan-plan, avec une interaction artificielle et plaquée sur les casse-tête. L’intérêt suscité n’est que maigre : pas délirant, pas fou, pas profond, pas d’histoire de fond, ni par les mécanismes ni par l’ambiance proposée. Enigma, c’est une déception pour moi. Et ce n’est pas par désamour des casse-tête, ni des jeux pour public pas forcément hardcore gamer, mais plutôt par désintérêt d’un jeu qui n’est ni énigmatique, ni novateur. Les jeux d’adresse et/ou de casse-tête peuvent être très bien conçus, et les épreuves apporter quelque chose au jeu. Dommage pour ce titre, qui aurait pu être prometteur…
Récapitulatif
Enigma (26/05/2014, réédition multilingue d’Enigma (2012))
Auteur : Touko Tahkokallio
Illustrateurs : Victor Boden
Éditeur : Zoch Verlag, Filosofia, Z-man Games
2 à 4 joueurs, 8 ans et plus (la boîte annonce 13+, mais ne pas s’y fier)
Durée : 45 min
Thème : steampunk, exploration
Mécanismes : casse-têtes, plateau en tuiles
Prix de vente constaté : ~35€
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Antony 05/09/2014
Merci pour cet article qui retranscrit parfaitement les impressions que j’ai eu après avoir testé ce jeu. En effet, il y a un manque d’équilibrage entres les différents casse-tête et le mécanisme de réseaux à connecter est seulement un pauvre prétexte pour participer aux mini-jeux. J’ajouterai que, pour ma part, je trouve que les règles sont injouables tel que présentées. En effet, elle comporte deux erreurs qui nous ont bloqué un bon moment avant que l’on décide de les ignorer pour enfin jouer. Ces deux erreurs se situent dans les photos d’exemples pour le placement des ingénieurs et pour le comptage des points de victoire. Bref, le premier casse-tête fût de comprendre les règles de ce jeu ! Au final, même si certains mini-jeux sont intrigants, Enigma m’a semblé un peu fade…
Antony 05/09/2014
Heu, j’ai une question, tu dis que que celui qui joue les noirs, n’ayant que les bleus, obtient 4 points à la fermeture du circuit. Mais sur ta photo en guise d’exemple, je compte 3 points pour le joueur noir au lieu de 4. Je me trompe ?
Umberling 05/09/2014
Corrigé la petite erreur sur le bleu, qui a effectivement 3 pts.
La règle n’est pas fausse dans son texte, mais les photos sont erronées, en effet !
zedzed 05/09/2014
En fait, j’ai l’impression qu’on est surtout déçu car Enigma suppose bien des choses qu’il n’a pas forcément à vocation d’être ! Et j’avoue qu’en voyant le titre, le matériel, le thème, le prix, je me suis fait un peu les même refléxions qu’Umberling !
Mais du coup, est-ce la faute du jeu ou la nôtre ?
Je pense qu’Enigma n’a pas à vocation d’etre fun, immersif ou encore innovant. Il cherche juste à réunir autour d’un même jeu des personnes qui aprécient les casse-têtes tout en ajoutant une surcouche pour rajouter un peu de refléxion, de compétition, ptet même juste d’intérêt pour ceux pas forcément fans de cette mécanique.
Mon regret, et je rejoints à nouveau Umberling, c’est que cette surcouche ne me parait pas complètement adaptée. Il est notamment trop pénalisant de rater une énigme et ça peut vite s’enchainer sur de mauvais tirages, les difficultés n’étant pas égales ! Du coup, le plaisir qu’on peut prendre à résoudre des casses-têtes peut vite faire place à la frustration. Il suffit de voir la vidéo sur TT où Mops se fait rouler dessus et peine à poser des pions ! Quand les parties s’enchainent, ce n’est pas grave, mais pour un jeu qui dure 45min, ça l’est davantage.
Bref, je pense que l’idée est bonne mais il manque quelque chose.