Endeavor Eaux Profondes – Bonjour les abysses

Endeavor est un jeu qui a toujours généré beaucoup de dialogue, de discours ; c’est d’ailleurs l’un des plus vieux articles du site ! Tout d’abord, sa première édition, en 2009, choisissait de nous mettre dans la peau du vieux monde qui colonise, qui esclavagise. Certes, on pouvait abolir l’escalvage durant la partie et ceci pénalisait les vilains qui y avaient recours, mais tout de même, c’était osé. Plus encore, c’était un bon jeu – il est d’ailleurs encore considéré comme l’un des grands, encore dans le top 500 de Boardgamegeek au moment où j’écris ces lignes. Sa réédition en 2018 le hisse à des meilleurs scores encore, améliorant l’ergonomie, arrondissant certains angles et ajoutant quelques touches de rejouabilité avec des missions (que je n’ai jamais vraiment eu envie d’utiliser, le jeu me suffisant par ailleurs). Quelques années plus tard – c’est à dire aujourd’hui – c’est au tour d’Eaux Profondes de faire surface. Endeavor Eaux Profondes est une nouvelle mouture du titre, employant ses mécanismes les plus emblématiques, mais en en rejetant d’autres. Là où L’Âge de la Voile était clairement une version 2 du jeu, Eaux Profondes est un spin-off.

 

Coopéquoi ?!

L’une des grandes nouveautés de ce titre, c’est la possibilité de le jouer en coopératif ou en compétitif. Pour qui a joué au grand frère, cela semble inconcevable – et j’étais de ceux-ci à la lecture des règles. Bon, bien sûr, la plupart des vieux de la vieille voudront le jouer en compétitif, parce que c’est l’esprit du jeu, mais. La possibilité est là, le jeu est aussi travaillé en ce sens.

Dans ce jeu, foin de colonisation, les joueurs sont mis dans les palmes de scientifiques marins essayant de documenter les fonds marins, de conserver les espèces marines. Et il y a des possibilités de gagner des points de victoire un peu partout : en améliorant les statistiques de son équipe, en accomplissant des missions, en ayant de l’impact, en rédigeant des papiers scientifiques… Et foin de plateau de jeu que l’on déploie et l’on installe : non, les fonds marins, cela se découvre peu à peu. Chaque partie se type d’une mission ; loin de proposer de la narration, ces missions, ces scénarios, sont surtout un théâtre d’opération de départ précis, avec quelques règles additionnelles ou du scoring un peu différent. Et une fois les tuiles de bases mises en place, les joueurs auront l’opportunité de découvrir voire de choisir comment le plateau se compose. On y reviendra.

 

Si vous avez joué à l’âge de la voile, vous êtes dans vos petits chaussons.

 

ADN

Chaque tour se découpe en deux grandes phases. D’abord, on fait notre petite tambouille personnelle, et ensuite, on passera à une phase d’actions pure et dure pendant laquelle les joueurs activent des tuiles Personnage.

Commençons par la première phase ; chaque joueur, en partant du premier, recrute un personnage en fonction de son échelle de Réputation. Ces personnages proviennent d’un présentoir tout ce qu’il y a de plus ordinaire pour ceux qui auraient déjà tâté d’Endeavor. On retrouvera ses petits. Cependant, ces personnages sont double face, et on notera qu’on peut faire progresser ses personnages  : détail pas anodin du tout, car désormais, prendre des personnages de basse qualité n’est pas forcément synonyme d’échec. Faire gagner de l’expérience à notre équipage pourra s’avérer gagnant (pourra, notez l’incertitude). Le choix du personnage sera bien évidemment cornélien, car c’est bien votre équipe qui détermine votre façon de jouer. Si vous n’êtes bon qu’à publier des articles, vous avez intérêt à ce que les plateaux vous sourient.

Une fois votre personnage recruté, vous récupérez des disques de votre réserve pour les placer dans votre zone active, et vous récupérez des disques de vos personnages pour les placer dans votre zone active. Ces disques sont les actions du jeu : impossible de les négliger, sans quoi vous aurez peut-être la meilleure équipe du monde, mais elle sera au chômage technique.Enfin, la piste du bas ne donne pas lieu à une phase d’entretien : c’est votre ingéniosité, qui gouverne le déplacement de votre submersible (en profondeur comme en liberté de mouvement). Puis vient la phase d’actions.

L’art des choix : il va bien falloir sélectionner son équipe, sinon, pénurie d’actions, d’emplacements ou de stats !

 

Waterworld

Les actions, donc. D’abord, on peut déplacer son submersible (à hauteur de notre ingéniosité, qui sert à la fois à dicter notre nombre de mouvements maximal en une action, et la profondeur maximale que nous pouvons atteindre). On pourrait s’en arrêter là mais que nenni : toutes les tuiles proposent un petit bonus d’arrivée et quand bien même il semblerait sous-optimal de se déplacer, on devra le faire, mais ce petit bonus rend la pilule moins amère. De toute façon, il faudra le faire : vous ne pouvez agir que là où se trouve votre submersible !

Certaines tuiles contiennent des jetons Plongée. Grâce à l’action adéquate, vous pouvez en récupérer. Ils proposent des bonus intéressants, mais vous pouvez aussi les dépenser immédiatement pour progresser sur une jauge de ressources très importante, la Recherche.

Ces deux actions ne requièrent qu’un disque. Mais les trois autres en demandent deux, un pour votre personnage, et un à placer sur le plateau : vous me voyez déjà venir, mais les disques, c’est pas gratuit. Alors il va bien falloir planifier, les cocos. C’est d’ailleurs là où se situe l’interaction du jeu : on va bloquer les emplacements pour les autres, mais parfois, pour le bien personnel, il faudra aussi œuvrer pour le bien commun et ouvrir des opportunités. Le système d’Endeavor Eaux Profondes se prête particulièrement bien à une interaction non pas frontale, mais plus de placement et de blocage (blocage tout relatif et pas trop frustrant, vu le grand nombre de possibilités vers lesquelles se retourner).

Le plateau peut s’étendre à l’aide d’emplacements Sonar et de l’action correspondante. Évidemment, chacun proposera de prendre deux tuiles d’un niveau particulier, que vous devrez placer. Mais attention, la tuile que vous choisissez vous donne aussi des bonus bien conséquents ! Vous descendrez vers des profondeurs de plus en plus intéressantes et mystérieuses, même si cette descente ne s’effectue pas au même rythme à deux joueurs ou à quatre, et je pense qu’il vaut mieux jouer en coopération à moins de joueurs et préférer la compétition à plus pour cette raison. La Recherche accumulée avec des bonus et les jetons plongée sert à Écrire des Publications, qui sont le moyen principal de retourner nos membres d’équipage sur leur face expérimentée quand les espèces de certaines tuiles peuvent être Conservées. Ces deux dernières actions peuvent donner des bonus aux autres joueurs, ce qui donne un entraînement positif pour le côté compétitif, ou tactique pour le coopératif.

Et c’est tout : cinq actions très simples, mais pleines de tensions sous-jacentes : les disques d’actions qui sont rares, l’optimisation de certains paliers de statistiques, limiter les choix adverses (ou proposer des choix optimaux en coop), des bonus opportunistes sur certaines tuiles, … Il y a beaucoup à calculer. Rien d’infaisable, car toutes les actions sont directes et concrètes, mais vous allez très certainement devoir réfléchir assez intensément.

 

Le paysage vient s’augmenter petit à petit.

 

Il y a également la piste d’impact. Présente sur le plateau Mission, elle accueille des jetons Impact placés par certains effets de jeu. Elle rapporte statistiques bonus et points, et varie beaucoup de scénario en scénario, tout comme les trois petites missions de majorité qui se trouvent sur le plateau Mission. 

Endeavor Eaux Profondes présente beaucoup de choix à ses joueurs, ou du moins des choix qui ont des rebonds, des effets en cascade. C’est aussi ce qui génère de la satisfaction : on se voit progresser doucement vers des objectifs à court ou moyen terme ; il est trop difficile de computer le long terme et l’on agit dans un espace d’immédiat plutôt qu’un espace qui tend à la finalité. Cependant, le plaisir de jeu, le plaisir d’arriver à faire quelque chose est immédiat, et ouvre vers un nouvel objectif, un nouvel horizon. Avec les parties on apprend à lire plus loin, à lever les yeux, à considérer le plateau global et les statistiques des autres, à comprendre ce que nous dicte le scénario : le poids de certaines actions contre d’autres nous apparaît plus clairement.

 

Thalassographie

Les lieux que l’on découvre ont tous leur caractère. Oh oui, certains emplacements sont un peu vides, surtout en surface. Mais on sent que l’équipe créative veut pousser certaines dynamiques : tiens, une plateforme pétrolière qui nous propose de sauver des animaux. Tiens, une station d’observation sous-marine qui nous permet de sonder loin. Tiens, des grottes infranchissables mais accessibles par le côté. Juste ce qu’il faut de bruit dans la machine et de thème pour venir briser l’abstraction mathématique des tableaux de stats et de ressources. 

Les fonds marins ne sont pas moroses ni ne se ressemblent : ils sont divers, riches, mystérieux, demandent à être apprivoisés. Cependant, beaucoup d’iconographie apparaît sur les tuiles à découvrir – un poids dont on s’accommode vite, tant cela apporte du relief à un plateau mécanique.

En revanche, les publications me semblent être l’élément thématiquement le plus faible, et le moins amusant : ce n’est au final qu’une conversion de ressources pas assez déguisée ni difficile ni valorisée pour qu’on l’apprécie à sa juste valeur. En tout cas, dans mes parties, la publication s’est toujours avérée être le pan anecdotique du jeu : c’est là, on le fait par opportunisme et non par envie.

 

Plateau impact (image éditeur, je ne joue pas sur un sol métallique !)

 

Oui, coopératif

La coopération vous propose d’accomplir un certain nombre d’objectifs parmi sept : quatre sur la plaquette de mission, trois tirés au hasard. Le solo est à l’avenant. Et on vous servira de vilaines avaries (bon, d’ac, pas si vilaines, mais gênantes quand il s’agit d’optimiser). Maintenant, toutes ces petites décisions nous demandent de prioriser, de coordonner. Le souci, c’est qu’il faut tout lire en permanence, et que le jeu est très vite ouvert sur un GRAND nombre de paramètres à considérer : présence ici ou là, points sur l’impact, statistiques sur le tableau, submersibles sur des colonnes ou des profondeurs particulières… Il faut tout computer, tout regarder en permanence. L’enfer des constipés de l’analyse, en somme 🙂

C’est aussi là que le petit redesign du jeu, toute sa finesse, se voit briller : l’interaction positive entraine les joueurs vers le haut, le jeu est difficile et requiert de la coordination. C’est d’ailleurs le sentiment qu’on aura : il faudra prioriser : toi tu fais ça donc moi je vais là pour ça. Attends, faut qu’on profite de ci ou de ça. Mais diable que le jeu devient cérébral ! 

On notera également que les objectifs ne se valent pas du tout, certains étant bien plus difficiles que d’autres, et l’on préférera la coopération à un ou deux plutôt qu’à trois ou quatre, où la coordination est si importante qu’on en perd de vue le simple plaisir de jeu.

 

Upcycling

Endeavor L’Âge de la voile vient d’une autre époque, pourtant pas si lointaine : plastique à gogo, boîte énormissime… Eaux profondes fait de son matériel ce qu’il fait de son gameplay : il l’upcycle en rétrécissant la boîte et en remplaçant le plastique par de l’amidon de maïs et de la fibre de canne à sucre pour exactement le même confort de jeu. Eaux profondes ne prend pas la même place que L’Âge de la voile dans une ludothèque : au lieu d’un jeu agressif, coupe-gorge avec des éléments de gestion et de progression, on se retrouve dans un jeu plus ouvert, plus exploratoire, plus doux aussi. Le traitement est définitivement plus moderne dans son format, réduisant l’inconfort de jeu à son maximum, proposant une pseudo-composante de constitution de moteur, mais conservant l’esprit du jeu.

À titre personnel, j’aime beaucoup l’aspect coupe-gorge et interactif de L’Âge de la voile, mais je sais reconnaître à Eaux profondes ses qualités et ses charmes propres. Les ressources me semblent plus tendues, plus au cordeau, la durée de partie plus maîtrisée, la mise en place et les actions plus claires, les règles plus propres… Eaux profondes a plus de qualités que son aîné, est plus satisfaisant aussi, mais il ne propose pas d’expérience qui me bouleverse complètement comme le premier l’a pu faire. Je suppose que ceci est dû au fait que je n’ai pas découvert ce système d’action et de personnages qui, pour le coup, brille vraiment ici. Néanmoins, entre la coopération et les scénarios, il y a de quoi faire, et pour le coup, cette gestion/exploration coopérative est l’une des choses que je trouve les plus intrigantes et amusantes de ce nouveau titre. Bref, je vous laisse, j’ai une combi de plongée à enfiler !

 

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