Le Seigneur des Anneaux : Duel pour la Terre du Milieu – Et mince, ils ont recommencé.

Je me souviens avec émoi de ma découverte de 7 Wonders ; du draft, du blocage, un jeu ouvert, quelque chose d’assez fondamental. Un classique, c’était sûr, et ce dès la première partie. Je me souviens aussi de jouer à 7 Wonders Duel pour la première fois ; un off à Cannes, la curiosité crevait le plafond. Mes attentes furent satisfaites : j’avais l’ADN, mais plus de nerf. Et pourtant, les discours autours du jeu mentionnaient un seul point, un seul : c’était un jeu à deux uniquement, et ça allait se planter, parce qu’un jeu à deux n’est pas viable éditorialement. Deux millions d’exemplaires plus tard, on en rigole bien. Les extensions – surtout Agora – apportaient de belles surprises. Mais maintenant, nouvelle question : et 7 Wonders Duel, avec une licence, ça va foirer ? Il se trouve que Duel en Terre du Milieu, c’est exactement ça. Merci à Embracer qui exploite le corpus tolkienien.

 

Trois conditions de victoire

Exit les points de victoire. C’est au final ce que l’on peut retenir de ce Duel en Terre du Milieu (que j’abrègerai DTM par souci d’économie de pixels) : exit les points de victoire, bonjour trois conditions de victoire : tout d’abord, l’accumulation de symboles Peuple. Soit vous les inféodez (parce que vous jouez Sauron) soit vous faites copain-copain avec eux (vous jouez la Communauté de l’anneau), mais quoi qu’il arrive, si vous en avez assez, paf, victoire immédiate. Et la première fois que vous avez trois symboles différents, vous récupérez un goodie, un petit badge qui vient vous récompenser vos efforts : un symbole Peuple de plus, des actions bonus ou ressources instantanées… que du plaisir. Et si vous avez deux symboles identiques, le peuple en question vous offre l’un de ses badges en plus. Gratos.

Une rengaine qu’on connaît par cœur.

 

 

Il y a la quête de l’Anneau. Sur une piste, une réglette est posée. Et au bout de cette réglette, Frodon et Sam qui courent vers le Mordor (chaque Anneau pris sur une carte fait progresser d’un cran). De l’autre côté de la réglette, un jeton coulissant en acrylique représentant un Nazgûl (progressant pour chaque Anneau sur une carte. C’est symétrique, quoi). Si ledit Nazgûl n’est pas un naze nul, il rejoindra Frodon et Sam (et donc l’anneau). Couic, les gentils ont perdu. Mais si nos braves héros font coulisser la réglette entière jusqu’au Mont du Destin, brouf, l’Anneau crame et Gollum avec, vous connaissez l’histoire par cœur.

 

Mais le Seigneur des Anneaux, c’est aussi la guerre entre des peuples. Les cartes Guerres font placer (puis, plus tard, déplacer !) des troupes sur le plateau. Si un joueur a de la présence sur les sept provinces de la Terre du Milieu, c’est victoire immédiate, emballez c’est pesé. En cas de fin de partie “naturelle”, c’est-à-dire si on atteint la fin de la troisième manche, la personne qui domine le champ de bataille gagne.

 

Quelque part, si vous adhérez à cette triple condition de victoire, DTM vous a déjà :

  1. Pris par la main et appris quelques règles
  2. Emmené dans sa narration
  3. Fait oublier les points de victoire alors que clairement, l’anneau est une piste graduée.

 

C’est horrible. Détestablement intelligent. On en perdrait raison.

La piste, le plateau : des points névralgiques.

 

Jouer le jeu

Le gameplay n’est pas sans rappeler celui de 7 Wonders Duel : on construit un Haut-lieu (une merveille, quoi), ou on prend une carte accessible pour la placer dans son tableau ou la vendre. Mais à ce titre, surprise : les ressources sont simplifiées, en acheter ne demande plus de compter : c’est un sou par ressource, et vendre une carte rapporte 1 sou à l’ère 1, 2 à la 2, 3 à la 3. Les cartes vertes, les cartes d’alliance avec les peuples, sont les plus susceptibles de réaliser des chaînages rendant d’autres bâtiments gratuits. Si vous savez jouer à 7 Wonders Duel, vous savez presque jouer à DTM. Vous savez conduire le bon break familial, mais vous allez avoir un peu de surprise quand vous monterez dans la voiture de sport.

Auparavant, les cartes bleues ne faisaient que rapporter des points. Cool beans, mais à la vérité, les points de fin de partie décalent l’enjeu. Dans DTM, l’enjeu c’est tout le temps maintenant. Maintenant mon adversaire place des troupes et il est à cinq provinces sur sept, mince. Maintenant, mon adversaire a quatre peuples de la terre du milieu, c’est mal fichu. Maintenant, mon adversaire avance sur la quête de l’anneau et il touche même des bonus en avançant histoire de mettre de l’enjeu sur celle-ci durant la partie. Comme Faraway qui l’an dernier proposait une tension entre carte descendantes (placer des objectifs puis obtenir de quoi les marquer) et montantes (avoir des sanctuaires pour se laisser l’opportunité de marquer plus ou de respirer), DTM donne trois axes courts, immédiats, sur lesquels il n’est pas tout à fait possible de tirer : on est là pour faire du contre-draft.

Orthanc casse une ressource de l’adversaire, fait progresser l’anneau, place une forteresse en Isengard. Pas dégueu.

 

C’est là que les Hauts-lieux rentrent en jeu. Ces merv… lieux emblématiques de la Terre du milieu coûtent un bras mais en plus, ils offrent un bonus unique et une forteresse. Les forteresses, kézako ? Ces petits pions pierreux offrent de la présence éternelle sur un lieu, quel que soit le nombre de troupes adverses dessus. Yup. Vous l’avez deviné : ça met toujours plus la pression avec un impact majeur sur le territoire. On remarque d’ailleurs que DTM emprunte un mécanisme à l’excellent Paper Tales : le prix du terrain. Plus vous avez de Haut-lieux, plus en construire est cher. 

 

En somme, si vous avez détesté 7 Wonders Duel parce que vous le trouviez trop tendu, passez votre tour. C’est bien pire. (Ou bien meilleur.) Quoi qu’il en soit, on ressent la pression, le tiraillement : on voit beaucoup comment perdre, et pas beaucoup comment gagner. Et pourtant, notre adversaire se trouve exactement dans la même posture intellectuelle : c’est-à-dire qu’on ne peut pas se dire qu’on est en sécurité tant qu’on n’a pas gagné. Et peuples de la terre du milieu exceptés, il est toujours possible de revenir en arrière. Il est donc difficile de ne pas se sentir acculé : si l’on se spécialise trop, on laisse le champ libre à notre adversaire sur les deux autres domaines. Si l’on se disperse trop, un petit peu d’énergie du côté adverse pourrait sceller notre destin.

 

C’est probablement pour cela qu’il est (presque) vain de se poser la question de l’équilibre des trois stratégies. Puisque l’une est une piste linéaire avec des bonus (l’anneau), l’autre une collection avec des bonus mais interruptible puisque le contre draft est possible, et la dernière une guerre de placement avec une course aux armes et une tension qui monte façon guerre froide qui se nucléarise soudain. Il n’est pas possible de négliger quoi que ce soit, et c’est la juste répartition de vos efforts de construction et de déni de l’adversaire qui parviendra à faire de vous le vainqueur. Mais bien jouer, c’est toujours rester sur la brèche, c’est aussi toujours laisser à l’adversaire la possibilité de se développer. À noter que les victoires en deuxième âge sont relativement rares, puisque les cartes montent en puissance et que les déplacements de troupes arrivent en troisième âge.

 

Meilleur ?

Soyons bien clairs : j’allais vers le jeu avec vigilance à cause de l’aspect licence, un peu rassuré tout de même par un duo d’auteurs solide, Cathala-Bauza. Je m’attendais à voir un 7 Wonders Duel plaqué sur un univers lambda. Mais non, les ajouts font sens, ils fonctionnent, ils sont à l’os et sans gras, le traitement graphique respecte le matériau. DTM a marché incroyablement bien pour moi. Un peu comme Dune Imperium avec Insurrection qui se sert de l’expérience de milliers de parties pour tout affiner, DTM distille ce qui rend l’expérience diabolique : le draft qui vous tiraille dans tous les sens tant on ne veut pas laisser les opportunités à son adversaire, les trois axes de victoire qui sont tous interconnectés par le jeu de petits bonus, l’histoire épique qui se déploie petit à petit sous nos yeux. Il n’est pas dur de raconter ce qui s’est passé dans DTM, à tel point que La Guerre de l’Anneau va être dur à sortir, maintenant (bon, ok, j’exagère, ce n’est pas le même poids de jeu !).

L’intelligence de DTM n’est pas tant d’utiliser 7 Wonders Duel comme base, même si c’est une bonne décision. Non, son intelligence, c’est de considérer tous les aspects du jeu comme des axes de storytelling. 

J’ai envie de dire que Duel en Terre du Milieu prouve, s’il fallait encore le faire, que les jeux à licence peuvent être bons et avoir une âme.

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4 Commentaires

  1. Jahz 14/10/2024
    Répondre

    Article très agréable et intéressant à lire, merci.

    Mais pas merci maintenant pour l’inévitable question de l’achat, possédant déjà 7WD et extensions 🙂

  2. Myriam.O 15/10/2024
    Répondre

    Merci pour cet article qui décrit bien l’ambiance du jeu !

    Je me permets cependant d’apporter de la nuance… Fans de 7WD et de LOTR, nous avons acheté le jeu le jour de sa sortie. Et pourtant, quelle déception pour moi !

    La simplification des cartes, des règles, de la gestion monétaire (sûrement faites pour parler à un public fan de la licence mais ne connaissant pas spécialement les jeux 7W, au même titre que le Unlock Star Wars beaucoup trop facile), enlève beaucoup de complexité et de ce qui rendait le jeu si tendu, et la réflexion si importante. Maintenant, place à la chance, surtout…

    Exemple : les ‘merveilles’ sont maintenant communes, et ne demandent pas de cartes pour les construire. Ainsi, un joueur pourra peut-être en construire une seule tandis que l’autre en fera 6. Et quand on les joue, on ‘passe son tour’ puisqu’on ne prend pas de carte. Plus possible de s’en servir donc pour enterrer une carte qui aurait été intéressante pour l’autre.

    Aussi, le pouvoir si fort et si stratégique du ‘rejouer’ n’est plus présent sur les merveilles. Par contre il suffit à un joueur d’avoir la chance de piocher face cachée un jeton peuple (science) qui lui permet de rejouer à chaque fois qu’il construit une merveille/haut lieu (!!), ou encore à chaque fois qu’il joue une carte jaune par exp, et là la partie est définitivement pliée. Car un joueur peut donc alors jouer une merveille, appliquer tous ses pouvoirs, puis faire un autre tour, et ce autant qu’il le veut, quand l’autre se retrouve à devoir choisir entre passer son tour pour gagner un petit pouvoir ou jouer une seule carte. Impossible, dans de telles configurations, de reprendre la main. Les jetons peuple(science) deviennent ainsi le seul tournant du jeu, ayant un pouvoir immense, encore faut-il avoir la chance de piocher les quelques bons parmi ceux face cachée.

    Une telle déception pour nous que nous l’avons déjà revendu. J’aime beaucoup les jeux sous licence, si seulement ils n’avaient pas cette manie de vouloir toujours les simplifier…

    Nous retournons jouer au merveilleux 7WD !

    • Umberling 15/10/2024
      Répondre

      Au contraire je trouve les Hauts-Lieux très intelligents : quand tu ne veux pas ouvrir un bon coup à ton adversaire, tu prends un haut lieu à la place. Sachant que tu peux construire pour les avoir moins cher. Au contraire, ils permettent de mitiger la chance derrière une révélation de carte. Et perso je trouve que les simplifications vont dans le bon sens. Elles sont faites pour extraire ce qui est cool dans l’expérience, et la nuance n’apporte que peu de sensations supplémentaires. Si tu veux plus compliqué il te reste la Guerre de l’Anneau 🙂

    • Natosaurus 16/10/2024
      Répondre

      Mon attente du jeu était, à l’inverse, la crainte de la réutilisation avec l’exploitation de licence, et j’y suis allée à reculons. Depuis j’y retourne avec gourmandise et crainte, car lors d’une partie j’ai ressenti cette émotion d’angoisse saisissante, et un jeu qui offre cette poussée là ne peut pas être qualifié de hasardeux. Cette émotion est le fruit d’une recette élaborée, et tant mieux qu’elle soit simplifiée. La tension est dans chaque carte, permanente. Ça m’a réconciliée avec les licences.

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