Dolores – Il faut souffrir pour être naufrageur
Laisse-moi deviner, petit gars… Te casser les reins toute ta vie pour gagner des clopinettes, c’est pas ton truc. T’as envie de frisson, de coups bas et d’argent rapide. T’as cru qu’être naufrageur, c’était s’en mettre plein les fouilles et tu voulais commencer avec Dolores.
C’est pas un mauvais choix, je dois dire. Dolores plonge droit dans le vif du sujet : 2 à 4 naufrageurs se disputent des prises sur une plage, et celui qui s’en sort avec le plus beau butin l’emporte. Un peu de négociation, un peu de comptabilité et pas mal d’entourloupes sont à prévoir. La partie est pliée en 20 minutes. Le jeu tient en 80 cartes dans une petite boîte qui se cache très bien sous un manteau. Si tu veux apprendre les vicissitudes du métier de coureur de grèves, c’est la manière la plus directe de t’y coller.
Touche pas à ma caisse !
Bon, tu sais comment ça se passe, un naufrage : t’allumes un feu sur une falaise, ça attire un bateau, il se fracasse sur les récifs et t’as qu’à attendre sur la plage que la marée t’apporte sa cargaison. Facile.
Il y a plusieurs types de marchandises à bord du navire, représentés par des familles de cartes : or, vinasse, verrerie, armes, et le diable sait quoi encore ! Chaque carte porte une valeur allant de 1 à 3, et ton but est de ramasser le plus beau butin avant que l’aube ne se lève. Le problème, c’est que tes potes veulent faire pareil. Il va falloir négocier chaque caisse, chaque bouteille, chaque parcelle de butin que la mer t’envoie.
Et du butin, y en a, ça c’est sûr ! A chaque tour, quatre caisses tirées au hasard s’échouent sur la plage : deux pour toi, deux pour le collègue à ta gauche. Vous comparez vos prises, papotez un peu, et décidez comment vous voulez les répartir. Mais ici, il ne s’agit pas de se mettre d’accord comme des gentilshommes et de se serrer la main. Non, vous allez plutôt jouer ça à pierre-papier-ciseaux :
- Tu peux faire la bonne poire et accepter le partage tel quel. Si l’autre fait pareil, chacun repart avec ses deux caisses. S’il est moins niais que toi, il te plume et il te reste que tes yeux pour pleurer.
- Tu peux jouer la brute, tabasser ton pote et prendre tout ce qui traîne. Ça marche plutôt bien. Mais s’il fait pareil que toi vous vous battez comme des chiffonniers pendant que la cargaison repart à la dérive.
- Tu peux essayer de faire le roublard, te réserver une caisse au choix et laisser le reste à l’autre. Là encore, s’il fait pareil ça se passe mal : non seulement vous ne gagnez rien mais vous devez tous deux perdre une des cargaisons que vous aviez acquises les tours d’avant.
Pour résoudre tout ça, il faut au début consulter une petite grille qui prévoit tous les cas de figure. Ouais, je sais, c’est pas super affriolant. Mais on s’y fait assez vite et après quelques tours on peut s’en passer. Les tours s’enchainent vite, on passe d’un deal à un autre en moins de 30 secondes. Bah oui, ça chôme pas un naufrageur en pleine récolte !
Mon butin c’est le plus beau butin du monde !
Là où ça devient retors, c’est comment tu fais pour évaluer ton butin. Tu te rappelles des différentes familles de cartes ? Quand tu récupères une carte, tu l’ajoutes au tas d’autres cartes de sa famille que t’as devant toi, et tu comptes la valeur de chaque tas. En fin de partie, seuls le tas avec la valeur la plus élevée et celui avec la valeur la plus basse comptent dans ton score. Tous les tas entre les deux sont oubliés. Bizarre, hein ?
Plus bizarre encore : les calculs que ça implique pendant le partage. Un amateur dans ton genre pourrait naïvement croire qu’il suffit de ramasser le plus de caisses pour l’emporter. Mais non ! Il faut en ramasser le plus possible dans 2 familles et ne pas prendre les autres. Parce qu’une malheureuse caisse de vaisselle toute seule qui vient se rajouter à ton butin, ça fait retomber ta valeur du plus petit tas à 1.
Mais, ahah ! Il y a une astuce ! Si plusieurs de tes tas ont la même valeur, tu peux avoir plusieurs tas maximums et plusieurs tas minimums, et ils comptent tous ! Eh ouais ! Du coup avoir plein de petits tas à 1, ça peut rapporter gros en fait. Plutôt finaud, si tu veux mon avis.
Sauf que, hihi ! C’est encore pire que ça ! Si tous tes tas ont la même valeur, alors ils sont tous à la fois ton tas maximum et ton tas minimum ! Donc ils comptent tous deux fois ! T’imagines ? Chaque caisse que t’as ramassée dans la partie compte double pour ton score final ! Par Belzébuth, ça en fait des points ! Ça veut aussi dire que si t’arrives à cet équilibre et que tu prends une seule caisse, une malheureuse petite caisse de trop, tu perds la moitié de ton score. Boum !
Tout ça, ça donne un bordel à n’en plus finir. Dès fois il te faut une caisse mais pas une autre. Des fois t’en veux aucune, voir tu veux te débarrasser de celles que t’as parce qu’elles t’empêchent de marquer des points. Tu te retrouves à provoquer ton collègue à la baston pour être sûr de rien ramasser. T’as parfois l’impression de marcher sur la tête. Tu te mets d’accord avec un type mais en fait vous essayez tous les deux de vous la faire à l’envers en même temps. Et le tour d’après, vous remettez le couvert comme s’il ne s’était rien passé.
Les voies vers le plus gros score sont nombreuses et intéressantes : vises-tu haut et risqué ? Ou bas mais sûr ? Très bien équilibré, le jeu t’y fait croire jusqu’au bout, et au final la victoire se joue souvent à une carte. Cela rajoute du piment à chaque tour, mais quand l’aube se lève et que la poussière retombe, le gagnant semble sortir de nulle part. C’est rarement celui qui a le mieux joué ou construit une avance durant la partie. C’est juste celui qui a récupéré la bonne caisse au dernier tour.
Conclusion
Facile à sortir, facile à expliquer, Dolores est un jeu de négociation nerveux et féroce qui donne la sensation de marcher au bord du précipice à chaque tour. Les règles de décompte et la matrice alambiquée de résolution des partages donnent des tours bien tordus qui plairont aux joueurs avec le plus de mordant. Mais la volatilité des résultats risque d’en décevoir plus d’un. Au final, un bon naufrageur doit à la fois avoir le goût de la difficulté et de la manipulation ET ne pas accorder d’importance à qui gagne à la fin. Crois-tu être de cette trempe, mon gars ?
Dolores,
Un jeu de Bruno Faidutti, Eric Lang
Illustré par Vincent Dutrait
Edité par Lui-Même
Langue et traductions : Anglais, Français
Date de sortie : 2016
De 2 à 4 joueurs
Durée moyenne d’une partie : 15 minutes
PS : Ton butin vaut (2 x 4 + 2 =) 10 points, ce qui est pas terrible terrible. Si t’avais pas pris ce petit violon tout à droite, tu aurais (2 x 4 + 2 x 3 =) 16, ce qui à quatre joueurs suffit souvent à décrocher la victoire. Tu comprends ta dolor ?
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atom 15/12/2016
A essayer pourquoi pas. ça me fait penser a l’or des dragons du même auteur. la méca est similaire sauf que dans l’or des dragons chaque joueur présent sur le dragon combattu va se partager les rubis, et pour faire le partage on a un sablier et doit se mettre d’accord, si personne ne se met d’accord, tout est perdu. C’est le plus fort en gueule qui va s’en sortir car il peut convaincre les autres de lui laisser ce que lui il veut. Dans Dolorés ça se joue a la roublardise.
Umberling 15/12/2016
J’aime beaucoup la manipulation des joueurs, surtout à 4 ! Le joueur en face de nous devient naturellement notre allié, et donc on prévoit des coups avec lui, mais s’il prend un peu trop d’avance, on négocie autrement et on influence ses voisins, plutôt… Vraiment subtil, et très « mains dans le cambouis ». Mais ça ne plaira pas à tout le monde : c’est méchant et ça clive 🙂