Death Roads : All Stars – Passe ton permis… de tuer !

Il y a des jeux qui ont tellement marqué le début de vie des grands enfants que nous sommes tous, fervents lecteurs de ce site, que la pression qui pèse sur les épaules de celui qui a envie de ramener le jeu sur nos tables est écrasante. C’est le genre de projet qui ne fait pas du tout peur à certains éditeurs, comme Restoration Games, qui en a même fait sa spécialité.

Parfois, on veut exactement la même chose que le jeu d’avant, et on se retrouve déçu parce que le jeu d’avant, en fait, il a vachement vieilli, et il n’est plus si bien que ça, ou en tous cas il ne correspond plus à nos attentes de consommateurs exigeants et abreuvés en permanence de sorties ludiques plus incroyables les unes que les autres. C’est un peu ce que j’ai ressenti avec la réédition de L’île Infernale par exemple ; des souvenirs émus d’un jeu de plateau gigantesque avec des décors incroyables, des rochers qui tombent, etc pour à la fin finir avec un jeu de l’oie glorifié qui prend juste 1m3 de plastique.

Parfois, le jeu d’avant était une pépite, et si on change quoi que ce soit, on le dénature et on déçoit les joueurs. Cela a été pour moi le cas avec Rex, une ré-édition pourtant particulièrement fidèle d’un point de vue mécanique de Dune d’Avalon Hill. Sans l’épice, les Fremens, et ces fumiers de Harkonnen, le jeu n’avait juste plus la même saveur.

Le « vieux jeu » que j’évoque ici, c’est « Le Survivant », publié en 1986 par Milton Bradley (MB). Cela ne nous rajeunit pas tout cela, mais le concept de nombreux véhicules à la Mad Max qui se tirent la bourre sur une longue langue d’autoroute a illuminé d’un bonheur ludique totalement nouveau ma petite personne de 7-8 ans (oui, je suis vieux, mais ça permet de mieux apprécier l’âge d’or ludique absolu dans lequel nous vivons aujourd’hui !). Le concept était brillant : une ligne droite, une poignée de véhicules par joueur, et un seul objectif : finir le premier, et si possible le seul, sur la ligne d’arrivée. On se regardait tous dans le blanc des yeux, les sourires en coin, les coups en traître… oh mon Dieu comme tout cela ravive de bons souvenirs, une vraie madeleine de Proust !

Bon, et là, nos amis polonais de Knights of Unity lancent Death Roads: All Stars (DR :AS) sur Kickstarter. Après quelques vidéos de gameplay, je clique compulsivement, le jeu semble tellement prometteur !

C’est donc avec fébrilité que j’ai ouvert les boites (All-in, what else ?) juste avant le départ vers ma semaine spéciale « jeux de plateaux avec les potes au fin fond du monde ». Au moins, le jeu sera essayé dans de multiples configurations durant la semaine, on verra bien !

 

Sur la route, la, la la la la

On ne va pas en faire des caisses (désolé, j’ai pas pu m’empêcher) sur la toile de fond du jeu : c’est la mouise, tout ce que le GIEC nous a promis est arrivé, les Etats-Unis ne sont qu’une lande désolée et stérile, la civilisation s’est effondrée, et la seule chose que les gens trouvent à faire, c’est de bourrer à 200 à l’heure sur l’autoroute avec des véhicules bourrés d’armement pour savoir qui a la plus longue… durée de vie, en raccourcissant sérieusement l’espérance de vie de tout le monde.

Bref, c’est la mouise, et tout ce qu’il nous reste, c’est une orgie de violence et de vapeurs de carburants que Georges Miller ne renierait pas.

Photo de famille

 

Allez, on ouvre la boîte.

Bon, première bonne surprise pour ce primo éditeur : le matériel est de très bonne qualité. Les figurines de véhicules sont beaux et gros, solides et lourds de sorte qu’on peut les manipuler sans trop se faire peur. Le carton est épais, la direction artistique très propre (pour du post apocalyptique :p) et à la fois cohérente et offre une belle profondeur. Les véhicules sont un peu plus gros que des Hot Wheels correspondantes. C’est un peu dommage car on aurait bien imaginé de recycler ses voitures de Gaslands dans ce jeu et en faire absolument EXPLOSER le contenu, mais les voitures de Gaslands risquent d’avoir l’air un poil (mais vraiment juste un poil) trop petites pour jouer à DR: AS.

Les règles sont d’une qualité globalement assez bonne, mais certaines tournures de phrase donnent un peu mal aux crâne et demandent littéralement de s’y mettre à plusieurs pour décider de ce que qu’elles peuvent bien vouloir dire.

Un plateau double face (des parties de plateaux qui permettent de réduire la taille du plateau quand on joue à moins de 4 joueurs), tout cela est d’une qualité ma foi tout à fait standard à premium selon les standards Kickstarter du moment. Aussi, quand on a ouvert toutes les extensions, dépunché, séparé les cartes, tout le jeu passe dans la boite de base, ce qui est fort appréciable.

En termes de contenu, on n’est pas volés. La boite de base contient 7 véhicules (et les minis correspondantes), 8 pilotes et plein d’armes avec lesquelles démolir son voisin et plus si affinités.

 

 

Comment ça joue

Fondamentalement, DR: AS est un jeu assez simple dans son fonctionnement. Les joueurs vont prendre place sur une portion d’autoroute rectiligne, manœuvrer et faire usage de leurs armes afin d’éliminer leurs concurrents, afin d’être le premier / le seul à franchir la ligne d’arrivée.

Techniquement, le jeu va, selon le nombre de joueurs, durer 4 ou 5 manches à l’issue desquelles, si plusieurs joueurs sont encore présents sur la route, le joueur qui est le plus avancé sera déclaré vainqueur.

Avant d’aller poser son véhicule sur l’asphalte, des règles de draft viendront proposer aux joueurs de composer leur véhicule :

  1. Choisir le châssis de base : pick-up, van, berlin, monster truck, voire même moto ! Le type de véhicule que vous choisirez, parmi 7, influencera essentiellement la mobilité et la vitesse, mais aussi la résistance du véhicule et le nombre d’actions que vous pourrez effectuer à chaque round.
  2. Choisir un pilote, qui vous donnera un pouvoir spécial, valable en permanence, et 3 actions parmi lesquelles vous pourrez choisir à chaque tour.
  3. Choisir quelle arme vous allez monter à l’avant de votre véhicule, au milieu, et à l’arrière.

 

 

C’est à cette première étape de draft et de composition du véhicule que Death Road commence à montrer sa profondeur et sa richesse. Rien que dans la boite de base, le jeu propose 7 véhicules x 10 pilotes x 10 armes frontales x 10 armes médianes x 10 armes arrières soit environ (environ, hein) 70 000 combinaisons possibles.

Très, très clairement, après une grosse dizaine de parties, toutes les configurations ne se valent pas et bien combiner les différents éléments peut vous donner un avantage certain et augmenter significativement vos chances d’émerger victorieux du nuage de fumée, d’octane et de débris que produit chaque partie.
Attention, il ne s’agir pas ici de min-maxer tous vos choix, mais de choisir un ensemble cohérent, aligné avec votre stratégie et votre style de jeu, et qui va vous permettre d’arriver à vos fins. J’y reviendrai plus tard, mais « vos fins » peuvent ne pas forcément correspondre à « gagner à la fin ».

Comme dans tous les jeux « tout le monde tape sur tout le monde » l’ordre de jeu sera important car il donnera plus de visibilité aux joueurs qui jouent en premier qu’à ceux qui doivent attendre de voir la configuration du plateau changer avant de jouer.

Par ailleurs, différence marquée par rapport au Survivant, le plateau ne change pas au cours de la partie et seules les positions relatives des différents véhicules sont importants. Si un véhicule s’échappe par l’avant, il fera reculer les autres (avec dégâts à la clé) par exemple.

Au cours de la partie, des événements aléatoires viennent apporter un soupçon d’imprévisibilité et permettent de modifier les équilibres (toujours précaires) qui pourraient s’établir sans eux. Ces événements vont forcer les joueurs à adapter leurs mouvements et actions aux nouvelles conditions qui évoluent à chaque tour. Chacun de ces événements est évidemment porteur d’éléments mécaniques, mais sont toujours justifiés par un élément thématique comme la présence d’un obstacle sur la route, une forme particulière de la route ou de son revêtement, etc.

Par ailleurs, une carte « Final Stretch » viendra en round 3 changer de manière subtile mais significative les conditions de jeu jusqu’à la fin de la partie.

 

 

L’une des subtilités de DR: AS est qu’on y mélange sous la forme d’une monnaie unique (la tenue de route) les deux grandes ressources qui gouvernent la dynamique du jeu. En effet, à chaque tour, le joueur doit contrebalancer la dépense de tenue de route qui va lui permettre de faire des actions en jouant des cartes, et garder un minimum de tenue de route pour éviter de partir en dérapage. Le dérapage, c’est une succession de mouvements aléatoires, avec une dominante de mouvements vers l’arrière statistiquement. Si vous dépensez toute votre tenue de route avec vos actions, alors les pertes de tenue de route qui vous seront infligés par vos concurrents ont de grandes chances de vous envoyer valdinguer sur les glissières de sécurité ou reculer derrière eux. Réussir à éviter de déraper alors qu’on se trouve dans une position vulnérable est l’un des piliers du jeu.

Les sensations de jeu

C’est sans contexte le point fort du jeu, qui réussit à la fois à proposer une expérience exhilarante de mêlée en mode chacun pour soi et tactique où chaque situation de jeu offre de multiples possibilités et où en même temps chaque choix est lourd de conséquences.

Chaque joueur de DR: AS va devoir lutter contre une inclinaison naturelle à vouloir multiplier les actions d’éclats, infligeant des dégâts à de multiples adversaires, pour y préférer des positionnements plus stratégiques. C’est le lot de tous les jeux à élimination directe que de favoriser la prise de risque mesurée, laissant les adversaires se battre entre eux plutôt que de se peindre une cible dans le dos en attaquant tous azimuts.

En fait, peut-être pas, et c’est ça qui est bon. En jouant à DR: AS, on alterne les phases où notre main nous incite à balancer les mandales à 360, et celles où finalement le mieux est de se coller derrière le leader en mode screud. Gérer les temps forts et les temps faibles est le sel du jeu, mais profiter des temps forts pour porter violemment atteinte à l’intégrité physique de tous vos adversaires en ponctuant d’un rire sardonique chaque point de dégât, collision, effet de jeu (hmm l’acide ^^) que vous infligez est une sensation grisante, et réellement satisfaisante. Même dans les parties que j’ai pu effectuer où j’ai été un peu malmené, il y a eu ces quelques tours où j’ai mis tout le monde d’accord, balancé Raoul dans la rambarde, jeté une mine juste devant Maurice, tout en lançant un grappin qui a attrapé René devant moi pour lui proposer de venir voir de plus prêt mon pare-choc de combat, qui à eux seuls non seulement créent des souvenirs propres à des réminiscences régulières, mais justifient pour moi la partie, voire l’achat du jeu.

C’est vraiment la marque d’un grand jeu pour moi que de vous laisser songeur quant à ce que vous auriez pu, dû faire, longtemps après la partie, à quelle combinaison d’armes est la plus efficace, ou en tout cas vous permettra de jouer dans le style qui vous amuse le plus.

Dans Death Roads: All Stars, on rit, on se tamponne, on geint, on s’allie, on trahit, tout ça dans un temps finalement assez court puisqu’une partie dure de 60 à 90 min selon le nombre de joueurs et leur connaissance du système de jeu.

 

 

Les modes de jeu et la rejouabilité

Ce sujet sera couvert rapidement, puisque le mode de jeu centrale de DR: AS reste le mode compétitif chacun pour soi. Pourtant, l’auteur propose également un mode solo et coopératif avec une IA qui joue d’autres véhicules (appelés Boss mais qui correspondent fondamentalement à un joueur IA, avec l’addition amusante de drones adverses, en carton mais vraiment pénibles). Ce mode est plaisant, et permet à peu de frais de tester certaines combinaisons, ou de jouer avec des gens que l’aspect compétitif à élimination directe du jeu peut rebuter. Typiquement, mon fils de 12 ans (je vous avais dit que j’étais vieux ?) apprécie énormément ce mode où la pression de jouer contre moi s’évanouit face au plaisir de démonter joyeusement les IA. Cela dit, ce mode est loin d’être parfait, même après plusieurs parties on se pose encore des questions d’interprétation de la règle sur ce que doit faire une IA dans telle ou telle situation.

 

Par ailleurs, l’introduction d’autres modules permet de varier les parties de manière très agréables avec les extensions : de nouvelles armes et effets de jeu, des effets de la météo, des coéquipiers dans votre voiture qui vous donnent des actions supplémentaires, des effets de dysfonctionnement liés à certaines armes où vous allez pouvoir faire tomber en panne certains éléments des voitures adverses, par exemple, et un mode de jeu complet « Arcade » beaucoup plus court, nerveux et foutraque où l’on conduit des voitures en carton du point de vue des points de vie, en ramassant armes et power-ups sur le chemin.

 

La conclusion

Bref, très difficile de ne pas aimer ce Death Road: All Stars à la réalisation soignée, et aux concepts de jeu solides et agréables. Ce n’est pas le jeu le plus profond du monde, et même un joueur très expérimenté peut se faire trousser par une coalition de débutants, ou un alignement de planètes négatif. Pour autant, le caractère serré et nerveux du jeu fait que les éliminations arrivent plutôt proche de la fin de la partie, de sorte que celui qui se fait sortir n’a que peu de temps à attendre pour que la partie se termine, qu’on décide d’en remettre une, qu’on change son setup de véhicule, et qu’on retourne faire manger l’asphalte à nos amis !

 

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3 Commentaires

  1. taru 09/05/2023
    Répondre

    le retour de TSR!!! tes chroniques m’avaient manqués!

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