Daybreak : Le jour du dépassement 

Daybreak est une création conjointe de Matteo Menapace et Matt Leacock chez CMYK, il est nommé au Kennerspiel des Jahres 2024 et sortira en France en octobre. On évoquait ce titre en 2021 déjà sous le nom de Climate Crisis. L’idée des deux auteurs était de réaliser un jeu coopératif sur le changement climatique. Matteo Menapace est un auteur un peu singulier, disons qu’il a une conception du jeu de société un peu iconoclaste, il se définit comme un game designer sérieux, et les thèmes de ses jeux ont une consonance plutôt politique, que ça soit Daybreak sur le changement climatique ou Fading Memories dans lequel les joueurs travaillent ensemble à éviter la perte de mémoire. 

“Lorsque nous jouons à des jeux, nous créons du sens en interagissant avec des règles” .

Il a été accompagné par Matt Leacock, le papa de Pandemic entre autres choses. Quoi que l’on pense de Pandemic, c’est un titre qui a posé des jalons dans le jeu coopératif et dont la mécanique a maintes fois inspiré des quantités d’autres jeux coopératifs.

Cet attelage entre un auteur qui veut amener le jeu de société vers le jeu politique dans le sens noble du terme, et un autre qui maîtrise les codes du game design fait-il de Daybreak une réussite ? Le jeu de société peut-il amener une réflexion et même pousser à l’action ? 

 

 

Demain dès l’aube…

Dans Daybreak nous incarnons des nations face au défi du changement climatique, nous allons devoir décarboner notre énergie en produisant de l’énergie verte, mais aussi démanteler progressivement nos usines, nos parcs de voiture, etc.

Chacune de ces nations commence avec une quantité d’émission de CO2, une partie sera absorbée par la végétation et les océans, mais le reste sera relâché dans l’atmosphère et c’est ce qui va faire augmenter la température et déclencher des effets en chaîne : acidification des océans, désertification, destruction du permafrost, tous les avatars du changement climatique. En plus de cela nous aurons des crises à résoudre, de différentes natures. Et plus la température augmente et plus les crises sont nombreuses et les effets puissants. Pour l’emporter, il faudra tout simplement produire moins de CO2 que la planète ne peut en absorber.

 

Notre puissance de départ avec ces cartes, ainsi que ces émissions polluantes

 

Plus chaud que le climat

En début de manche, nous piochons deux cartes Projet Global qui peuvent éventuellement nous donner un coup de pouce, et ensemble nous allons devoir décider quelle carte garder.

On se retrouve dans la peau de décideurs de grandes nations (Chine, USA, Europe..) qui doivent faire un choix crucial pour l’avenir : est-ce que l’on préfère une force de réponse internationale contre les catastrophes pour se protéger de certains impacts de crise ou bien la fusion nucléaire qui pourrait être efficace si l’un de nous autour de la table se construit un moteur de jeu à base de nucléaire.

 

Choix de l’un des deux projets.

 

Ensuite, on prend connaissance d’une des cartes Crise qu’on va subir en fin de manche, moyen de s’y préparer et d’éviter la catastrophe. Mais malheureusement il reste des incertitudes, car les autres cartes crises, elles, ne seront découvertes qu’à la fin de la manche. Si l’on y réfléchit, le jeu nous pose devant la triste réalité, la nôtre, celle où l’on commence à percevoir les effets du changement climatique avec les incendies, les inondations, etc. Et on commence le jeu en constatant notre impuissance, pourtant il va falloir mettre les mains dans le cambouis.

 

une crise

 

Nous avons devant nous les cartes qui correspondent à nos nations, 5 cartes alignées. Cartes qui vont avoir des effets plus ou moins forts en fonction des “tags”. Lors de chaque manche, nous en piochons de nouvelles. 

Nous avons ici une mécanique de construction de tableau, nous pouvons activer une carte pour réaliser son effet, parfois cela nous demandera de nous défausser d’une carte en main, dilemme cruel car cette gestion de main est importante.

 

 

On peut aussi placer nos cartes dessus ou dessous nos cartes déjà présentes. Sur les cartes nous avons des tags avec des panneaux solaires, des crédits, de l’énergie, etc. Certaines cartes ont des effets plus puissants en fonction du nombre de tags, c’est ainsi que l’on va construire son moteur de jeu efficace dans le but de décarboner nos émissions de CO2. 

Cette mécanique de carte est intéressante à plus d’un titre, car en plaçant notre carte sur une autre, on n’aura plus accès à son effet : choisir et renoncer. Peut-être qu’on va activer son effet avant de le faire, d’autres fois, cela permet d’orienter son moteur dans une direction plus cohérente avec la situation actuelle. Mine de rien on vit de petits tiraillements.  On pourra reforester, construire des mangroves, mais aussi construire notre société pour qu’elle soit plus résiliente, avec des jetons Résilience, écologique, infrastructures et sociaux, ces jetons vont nous permettre de “tamponner” certaines crises.

 

 

Il n’y a pas d’ordre de tour à proprement parler, vous pouvez jouer tous en même temps ou chacun votre tour, mais le mieux reste quand même de communiquer pour indiquer aux autres joueurs ce que vous souhaitez accomplir, parfois on peut même aider le voisin, lui transmettre une carte, lui envoyer de l’énergie propre, utile quand on a un moteur de production important, etc.

Ce modèle de jeu, m’a évoqué Spirit Island, où l’on retrouve un peu cette liberté (semi liberté chez le titre de R.Eric Breuss), cela réduit aussi le risque de joueur Alpha.

À la manche suivante, notre demande énergétique sera en croissance, et c’est un élément qu’il ne faut pas négliger, car pour chaque besoin non géré, nous devrons ajouter un marqueur communauté en crise. Ce qui peut nous affaiblir, car passés certains seuils, la manche commence avec moins de cartes à piocher, et vu que c’est notre carburant, on essaie d’éviter les crises. On peut aussi tout simplement perdre la partie si l’on en a trop.

 

Une partie du carbone est absorbé par les forets et les zones marines

 

Quand tout le monde est d’accord, on passe à la douloureuse, chaque pays va pouvoir constater tout le travail qui reste à fournir et envoyer dans l’atmosphère des petits cubes de carbone. Cette phase est très visuelle. Ces cubes de carbone vont être absorbés par les arbres et océans, et le reste fera monter la température. Il n’est pas rare que lors de la première manche on se “prenne” deux bandes de température d’un coup. Le problème c’est que cela va déclencher des effets en chaîne, plus la température est haute, plus on va lancer le dé catastrophe, et plus on va devoir résoudre de cartes crises.

 

Les jetons communautés en crise

 

Ces crises vont déverser du carbone supplémentaire, détruire la végétation et les océans ou même nous faire perdre des jetons de résilience, pour chaque manquement, un marqueur de communauté en crise, le cercle vicieux.

Que ce soit le dé ou les cartes crises, il est difficile quand même de planifier, il se peut que l’on ait des cartes crises vraiment pas adaptées à la situation et dans ce cas on ne peut rien y faire, idem d’ailleurs avec les lancers de dés. Comme c’est le hasard, il arrive parfois que l’on n’ait pas les bonnes cartes en main. J’ai souvenir d’une partie où j’ai tenté de me construire un moteur efficace à base d’éolien, sauf que je n’ai jamais pu le déclencher. En même temps une mauvaise carte, cela reste du carburant pour activer l’effet d’une autre carte, il faut simplement s’adapter aux circonstances, et c’est ce qui rend le jeu difficile.

 

ça chauffe !

 

Enfin difficile, oui et non, la première manche est vraiment compliquée, mais ensuite si l’on s’attelle à la tâche et que l’on réussit à produire toujours plus d’énergies propres et se débarrasser de l’énergie sale, on devrait quand même arriver à nos fins. Est-ce un défaut, est-ce voulu ? Je trouve que ça participe au message positif que distille le jeu, on peut s’en sortir, on peut y arriver. Et puis il existe plusieurs moyens de rendre le jeu plus compliqué : placer moins d’arbres et océans en début de partie, ou bien ajouter de nouvelles contraintes avec des cartes challenge plutôt nombreuses.

 

 

 

La cohérence globale

Le jeu aurait pu totalement basculer du côté du Serious game et être complètement “boriiiiiiing”. Malgré son message clair, il reste amusant, et le challenge est intéressant, sans se départir de son aspect sérieux : chaque carte comprend un QR Code qui vous envoie vers une page (pour le moment en anglais) qui nous explique ce que signifie cette carte, avec une réflexion climatique mais aussi économique et même des liens pour aller plus loin ou des messages pour passer à l’action, avec des conseils qui ne sont jamais culpabilisants. On n’est pas dans la politique des petits gestes, même si l’on va nous dire de réduire notre consommation énergétique, on nous  pousse aussi à soutenir des organisations, ou demander à nos représentants de travailler à remplacer les énergies fossiles par exemple. On regrettera que le jeu soit produit en Chine (mais c’est moins grave pour un jeu livré à la base aux USA), même si les choix matériels sont quand même là aussi cohérents, pas de plastique, que du carton et du bois, pas de sachets, mais des boîtes en carton recyclées. Avec Daybreak l’éditeur et les auteurs vont au bout de la démarche. 

 

Jouer avec le climat peut avoir des effets néfastes et déclencher des crises.

 

Les illustrations sont signées Mark Berg, ainsi que d’autres illustrateurs et illustratrices qui sont crédités dans chaque image dans un style plutôt aérien avec des aplats de couleurs qui donnent un ton apaisant au jeu, et il faut le mentionner, qui favorise bien la lecture et l’ergonomie.

À notre époque où le sujet est quand même anxiogène, que l’on ne voit pas le bout du tunnel, que la prise de conscience de la population est réelle, mais celle de nos politiques l’est un peu moins, Daybreak choisit l’espoir, ne joue pas la partition démagogique des petits gestes et nous pousse subtilement à l’action, il évite aussi la petite musique culpabilisante et le couplet moralisateur. Pourtant il est éminemment politique dans le sens : “la chose publique”. Il nous prouve que l’on peut faire du jeu qui ne soit pas uniquement du divertissement, mais qui peut aussi délivrer un message. Pour toutes ces raisons j’aimerais qu’il remporte le Kennerspiel des Jahres le 21 juillet, ça serait un beau message à l’humanité. Peut-être qu’il fera des émules et que dans le futur d’autres auteurs ou éditeurs auront envie d’explorer d’autres thématiques dite sérieuse.

 

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1 Commentaire

  1. Benoit il y a 3 heures
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    Merci pour la présentation et comme vous, j’ai espoir qu’il remporte le kennerspiel.

     

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