David Bertolo, de la suite dans l’hérédité

De la Belote et du Tarot en famille, des Livres dont vous êtes le héros avant de dormir, du jeu de rôle voire du jeu de rôle grandeur nature avec les copains, et bien entendu du jeu de société depuis son plus jeune âge : David Bertolo est depuis toujours ce qu’on appelle un joueur éclectique, même s’il nous confie avoir aujourd’hui un peu plus de mal avec les jeux avec « des tonnes de règles ». Son titre préféré reste Hanabi pour ce qu’il génère comme interactions, pour ce qu’il dit des gens autour de la table, et pour les souvenirs mémorables associés à ce jeu. Après un parcours d’une quinzaine d’années dans l’informatique, David a basculé il y a une dizaine d’années dans le jeu de société en faisant ses armes d’abord pour Monolith puis pour Matagot avant de monter sa maison d’édition Darucat (un mix de Daruma et de chat en anglais). Cela fait un an que son premier jeu, Heredity, est sorti, et aujourd’hui nous revenons vers lui afin de suivre cette aventure particulière.

 

Heredity est un premier jeu plutôt ambitieux. Comment est né le projet ?

David Bertolo : Oui, Heredity est un projet ambitieux mais c’est aussi un projet qui, pour nous, comble un trou dans le marché actuel. 

Avoir un jeu assez intense et immersif qui reste pourtant relativement accessible, c’est un mélange un peu particulier. Pas mal de choses dans Heredity permettent de le faire essayer facilement. Par exemple, si je propose une partie d’Heredity à des gens qui jouent à des jeux plutôt grand public, je vais les accompagner un peu plus. Le temps de voir s’ils accrochent à l’histoire et une fois dedans, ils n’auront pas ou peu de soucis de règles après quelques tours.

 

 

Mon idée de travail sur un jeu est l’itération. Les premières itérations avec les auteurs, puis avec les proches, puis avec le public… Montrer son travail, voir ce qui ne fonctionne pas, et recommencer jusqu’à ce que cela marche, c’est pour moi indispensable au bon fonctionnement d’un jeu quand il sera joué à partir de la boite, sans les auteurs, l’éditeur ou les animateurs… C’est ce que j’ai fait pour la première boite d’Heredity et l’extension et ça continue pour la suite.

Le nom de la maison d’édition vient de là : un Daruma représente un petit bonze japonais aveugle. Tu lui dessines un œil en faisant un vœu, puis tu travailles à la réalisation de ce vœu et ton Daruma t’accompagne sur ce chemin. Si ton vœu se réalise, tu dessines le 2ème œil du Daruma pour lui rendre la vue. 

 

 

Darucat est-elle une activité à temps plein ? Combien de personnes cela représente ?

D.B. : Oui c’est une activité à temps plein. Lancer un jeu et une maison d’édition demande beaucoup d’efforts, de temps, d’énergie et de moyen. J’ai des associés qui m’aident pour pas mal de choses (finance, animation, développement, discussion…) mais je reste la seule personne à temps plein. Au total, nous sommes 7 associés dans Darucat dont un des auteurs du jeu, et Rémi & Nathalie Saunier, eux aussi auteurs de jeux.

Pour l’instant, je ne vis pas de mon activité. Je dois bosser à côté pour ça, par exemple en animant sur des salons ou en bossant sur le KS Altered pour Equinox. La 1ere boite a bien marché mais je préfère utiliser ce qui a été gagné pour avoir un peu de moyen pour les nouveaux contenus, en espérant que je puisse quand même me rémunérer dans pas trop longtemps.

 

David Bertolo et les auteurs de Heredity

 

Peux-tu nous parler du développement du jeu, des choix de game design que vous avez dû faire avec les auteurs, des problèmes rencontrés, mais aussi de vos solutions ?

D.B. : Le développement d’Heredity a été assez long : 2 ans avant que je rejoigne les auteurs et 3 ans avant la sortie du jeu.

 

 

Il y a eu pas mal de chantiers depuis que je suis arrivé : 

  • Terminer le jeu : se rendre compte de là où on veut emmener le jeu et pour qui – et essayer de faire en sorte que la 1ere boite soit le plus possible adaptée à cette cible à savoir un jeu qui se veut ouvert à un public plus large pour du narratif. Cela veut dire, corriger/simplifier des mécaniques, faire le plus de tri possible sur ce qui est indispensable et ce qui ne l’est pas. Et encore aujourd’hui, j’ai l’impression de ne voir que ce qui pourrait être améliorer. 
  • Définir le format : il y a eu tout un chemin entre une version KS avec des figs et une version plus simple et plus adapté au marché boutique.
  • La modification la plus visible est le passage d’un jeu en cases à un jeu en zones. Il y a toujours des soucis sur certaines règles qui fonctionnaient mal avec des cases (orthogonales ou diagonales), des calculs de distances trop compliqués… Remplacer tout ça par un découpage en zone rend le jeu plus simple et plus intuitif. Faire tout ce chemin a été long entre les premières impressions, les premiers retours, trouver une solution, la mettre en place et corriger les effets de bords 1 an avant la sortie. 
  • Mais il y a aussi tout le travail de test et d’amélioration sur les mécaniques, l’ergonomie, les textes, la cohérence de l’histoire, les dessins… cela représente tout un ensemble de changements plus ou moins importants qui permettent d’aboutir au résultat actuel et au plaisir des gens qui jouent.
  • Et il reste encore des points à corriger et à améliorer. On verra jusqu’où la suite nous porte 😉

 

 

Heredity propose une ambiance et un univers très mature, même plutôt violent. Est-ce que ça a toujours été un choix délibéré ?

D.B. : Proposer un jeu qui aborde des sujets matures avec une mécanique plus abordable est quelque chose qu’on ne trouve pas ou peu aujourd’hui dans des jeux alors que c’est courant au ciné ou dans une série TV. Il y a vraiment une idée forte autour de l’expérience qu’on espère proposer, et le thème, des sujets forts, sont des atouts et des outils. Mais ce n’est pas une ligne éditoriale figée. Cela dépendra vraiment de l’histoire dans laquelle on souhaite vous embarquer.

Sur la boite, il est indiqué 14+ mais en pratique, à partir de 12 ans, il n’y a aucun soucis pour jouer. Et en salon, si des enfants plus jeunes souhaitent jouer, je fais lire 1 ou 2 cartes aux parents avant de commencer pour qu’ils puissent décider en connaissance de cause.

On peut trouver dans d’autres jeux une thématique similaire. Ce qui est change avec Heredity, c’est qu’on ne fait pas comme si tuer quelqu’un était quelque chose de normal. Les gens sont responsables de leurs actes et au final, c’est plutôt normal.

 

 

Heredity a été lancé l’année dernière, un premier bilan ?

D.B. : Heredity est en boutique depuis 13 mois, l’extension arrive dans 1 mois. Un autre contenu est prévu avant l’été et la 2eme campagne pour dans 12-18 mois.

Tout cela est possible grâce au succès du jeu. Et le jeu est toujours en boutique et n’a pas été soldé. C’est déjà une première victoire pour un jeu à 50€ d’un nouvel éditeur.

C’est peut-être bizarre de répondre ainsi mais c’est difficile de dire simplement victoire ou défaite. C’est tellement dépendant du marché, des investissements, de l’avenir… Ce n’est qu’une première étape mais c’est une première bonne étape.

 

 

Comment est reçu le jeu à l’étranger ? 

D.B. : L’export démarre plutôt bien pour un jeu avec des textes partout. On va avoir des versions en Chine, au Canada, en Russie, en Allemagne, en Pologne, en Italie et aux US et c’est vraiment chouette de voir qu’Heredity intéresse ces partenaires. Je pense que c’est le bon moment pour remercier Blackrock. C’est un travail de fou pour nous pour en arriver jusque là, et Blackrock a vraiment été le bon distributeur pour nous en France et à l’export. Et quand je vois les relations que nous avons aujourd’hui, je souhaite à tout le monde d’avoir un distributeur comme ça 🙂
J’espère que les partenaires étrangers vont nous suivre pour la suite et que le jeu va aussi marcher chez eux.

 

Une première extension, Souvenirs, arrive. Peux-tu nous en parler ?

D.B. : Heredity – Souvenirs est une petite boite avec deux paquets de cartes et quelques planches de punchs. Il s’agit d’une autre tranche de vie de la famille que vous pouvez jouer dans la campagne le Livre de Swan. On a bossé pour que les gens vivent un truc un peu fort et s’accrochent aux personnages et on essaye de retrouver ça dans l’extension.
C’est un préquel, Brick et Séléna ont une dizaine d’années et Swan n’est pas encore là.
On va essayer d’introduire un peu d’asymétrie entre les adultes et les enfants et toujours de surprendre les gens qui jouent, pour donner envie de voir la prochaine carte, la fin du chapitre, la fin de la boîte et la suite…

 

Heredity a de bons retours de la part des joueurs, mais est critiqué pour sa trop longue durée.

D.B. : Oui et les retours montrent aussi que le jeu est un peu plus dur que ce que nous avons pu voir pendant nos tests. Cette extension est un premier essai pour essayer de corriger cela. Normalement, le chapitre VI doit durer 1h30 max et le chapitre VII 2h30 max. Cela fait en gros 4h de jeu avec une sauvegarde au milieu là ou certains chapitres du Livre de Swan pouvait durer 4h :/

 

Avez-vous tenu compte des retours des joueurs et comment l’avez-vous fait ? 

D.B. : Oui sur la durée justement, et la difficulté mais aussi sur l’ergonomie, la quantité de texte par carte et les erreurs qui se produisent quand même malgré nos tests. Mais aussi pour introduire des clins d’œil pour les suites. Par exemple, l’asymétrie entre adultes et enfants vient du fait qu’on a eu pas mal de retours là-dessus en salon. Pourtant, dès qu’un perso trouve un objet, l’asymétrie s’installe naturellement en jeu. 
Et d’autres clins d’œil sont à venir par exemple pour le prochain contenu prévu avant l’été prochain.

 

 

On s’est rencontré sur le salon Octogone. Tu me disais avoir des projets futurs avec la mécanique de Heredity ? Quels sont-ils ? 

D.B. : Dans les tuyaux actuellement, il y a :

  • l’export de la campagne le Livre de Swan
  • la sortie de l’extension Souvenirs
  • préparer les infos pour l’export de l’extension
  • une nouvelle extension à venir avant l’été
  • une nouvelle campagne pour dans 12-18 mois.

En espérant que l’attente générée avec la première boite fasse des petits pour la suite.
C’est aussi amusant de voir qu’on apprend à utiliser le système de jeu qui a été créé. Pour corriger ce qui ne marche pas mais aussi pour apporter des nouveautés. Les surprises sont pour vous mais aussi pour nous ! 🙂

 

 

D’autres projets, hors Heredity

D.B. : Je ne voulais pas bosser sur plein de jeux en même temps pour avoir le temps de bosser correctement. Mais sur l’impulsion d’un de mes associés, on a quand même commencé à bosser sur un autre jeu. C’est un mix entre Hanabi et Mastermind dont l’auteur est Benjamin Cailleau. Ce sera peut-être son premier jeu édité. On va commencer à le faire jouer début 2025 mais la sortie n’est pas prévue avant 2026 ou plus 🙂

 

Merci David ! 

 


Les photos qui illustrent cette interview sont de JB Guiton.

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2 Commentaires

  1. morlockbob il y a 12 heures
    Répondre

    et bravo pour ce jeu !

  2. Keerka il y a 26 minutes
    Répondre

    Ce jeu est une véritable pépite pour qui aime les jeux narratifs. Il fait tout bien : le rythme est parfaitement maîtrisé (la pression est constante mais pas punitive), l’illusion de liberté est excellente (on a l’impression d’avoir choisi soi même son chemin alors qu’on voit presque toutes les cartes du jeu), il se renouvelle a chaque scénario sans introduire de lourdeur dans les règles, et il sait quand s’arrêter (les personnages ne deviennent pas stupidement forts ou faibles au fur et à mesure de la campagne par rapport à ce que les concepteurs avaient imaginé). J’espère qu’il profitera du bouche a oreille bien mérité 🙂

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