Dark Tales, le petit chaperon rouge et Blanche-Neige : les légendes revisitées à l’italienne
Les contes de fée ne sont pas tellement en manque de représentation dans le jeu de société. Que l’on parle des jeux coopératifs à la 12 Realms, ou de la gamme Contes et Jeux de chez Purple Brain, on n’est pas en reste. Mais peu ont un parti pris aussi tranché que Dark Tales. Ici, on passe d’une imagerie traditionnellement enfantine à un univers sombre et pulpeux, comme si Tim Burton avait rencontré Joe Madureira. Mais cessons de parler de pinceaux et d’habillage : le jeu, lui, est chapeauté par Pierluca Zizzi (monsieur Simurgh, Hyperborea et Signorie) et illustré par Daniele Orizio. Bref, vous le voyez, pas de vilain nom au casting, et l’auteur est habitué aux systèmes de jeu tortueux. On va vous détromper tout de suite : ici, nous avons affaire à une petite boîte et à une soixantaine de cartes, guère plus, le tout pour de la combinaison fluide et rapide (30 minutes) de deux à quatre joueurs.
Comme votre serviteur est bien bon, il a aussi essayé les extensions. Elles sont au nombre de deux traduites pour l’instant (trois, sinon comme on l’a vu à la Gencon, avec l’arrivée de Cendrillon), et dans des menus déroulables en fin du Just Played afin de ne pas perturber votre lecture si jamais vous ne voulez pas en entendre parler.
Simple comme bonjour
Les règles semblent d’une simplicité enfantine. Et à vrai dire, il ne s’agit pas que d’un air. Pour gagner, il suffit d’amasser le plus de points de victoire, et pour jouer son tour, on se contentera de trois étapes hypra-épurées :
- Piocher une carte du paquet central.
- (Optionnel) Jouer un objet (jeton) pour son effet.
- Jouer une carte.
Bien entendu, chaque carte a un effet. Tout d’abord, elle rapporte un certain nombre de points de victoire, mais ce n’est pas tout. Elle sera placée dans une des trois zones possibles (devant le joueur actif, à la défausse ou au centre de la table) et produira l’effet inscrit dessus.
La partie s’achèvera quand un joueur ne pourra plus jouer de carte. Et c’est tout. Voilà, vous savez à peu près jouer à Dark Tales.
Une histoire subtile
En fait, les règles que je viens de vous énoncer sont une base pour la suite, un terreau dans lequel les véritables mécanismes viendront se greffer. Au début, on tirera deux cartes au hasard pour rajouter des règles : l’une indiquera les pouvoirs des objets pendant la partie, favorisant plus ou moins certains types de personnages ou de cartes, tandis que la seconde régira un scoring supplémentaire en fin de partie.
Ainsi, malgré la relativement faible diversité des cartes que l’on verra passer à toutes les parties (puisqu’on épuise le jeu entier), on ne sera pas tellement encouragé à faire la même chose.
Les effets des cartes sont en général consacrés à l’acquisition de ressources, de points de victoire ou à la création de moteurs de points. Au final, peu de cartes interagissent fortement avec l’adversaire. Et pourtant ! Il est extrêmement aisé de mettre des bâtons dans les roues de son adversaire. Certaines cartes sont plus fortes « le jour » ou « la nuit », et il suffira de faire tomber le rideau d’une carte Nuit bien placée pour ruiner la stratégie de son adversaire. Chaque partie connait en effet une succession de phases jour/nuit déclenchées par les joueurs qui permettent de rendent actives telles ou telles cartes.
Dans ce jeu assez opportuniste, on aura plusieurs grandes options stratégiques : essayer de jouer une partie lente, avec des cartes rapportant à chaque tour (Vieux Sage, Créature de la nuit), faire une partie courte avec des piocheurs pour avoir plus d’options stratégiques et marquer vite. On note également une (faible) opposition entre le fait de capitaliser sur l’alternance nuit/jour avec Folie du Roi et Sagesse du roi, et la collecte d’objets donnant des bonus en fin de partie (ou perturbant la stratégie adverse). En somme, il faudra faire un peu de tout pour remporter la victoire, mais on s’orientera tout de même un peu.
La pioche, indéniablement importante, permet d’accélérer la fin de partie si elle est pratiquée sans modération, et n’offre que du choix supplémentaire… sauf si l’on dispose d’une « Sorcière », carte surpuissante (sans doute un peu trop, même s’il faudra apprendre à s’en servir correctement) qui permettra de jouer deux cartes par tour au lieu d’une, pour peu que l’on renonce à piocher tant qu’elle fait effet.
Les objets, eux, proposent des utilisations plutôt thématiques : utiliser une épée peut, par exemple, équiper un héros pour le Grand Tournoi, ou aider à tuer un monstre adverse qui nous gêne. Une baguette magique peut nous faire rejouer, une armure nous protéger. Les cartes d’objectif étant communes, il est inévitable de convoiter certains artefacts plus que d’autres. Fait notable, Dark Tales joue aussi avec les limitations de matériel ; je vous laisse imaginer la foire d’empoigne.
Les figures employées par le jeu sont très génériques au monde des contes : ogre, dragon, princesse, jeune héros, … Tout y est. Pourtant, malgré les efforts de thématisation forts louables, il est difficile de ne pas se savoir dans un jeu de scoring. C’est peut-être là une limite de Dark Tales : à trop vouloir reproduire les contes de fées grâce à ses mécanismes efficaces, il se perd un petit peu et n’offre pas une vision si personnelle que ça. Si c’est un point qui vous chiffonne, attendez d’avoir lu ce que je vais dire des extensions pour vous faire un avis final.
Le Petit Chaperon Rouge
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Le petit chaperon rouge (LPCR) rajoute vingt-huit cartes de jeu à Dark Tales et un scoring vient s’additionner au précédent. Ainsi, il y aura une carte d’objets en cours de partie et deux de scoring final (une pour le jeu de base et une pour LPCR). Pas tellement d’évolution des règles, ce qui est une bonne nouvelle pour ce jeu, qui sait rester simple. Néanmoins, les parties se trouvent un peu rallongées, du fait de la condition de fin de partie (l’impossibilité pour un joueur de jouer car la pioche est vide) qui ne bouge pas.
Le « petit chaperon rouge » est évidemment une carte maîtresse de ce nouvel ensemble qui se mélange à l’ancien. Lorsque vous l’avez devant vous, chaque carte produit un petit effet de plus, et vous permet d’effectuer des combinaisons vraiment dégueulasses. 😉
Quant aux objets, on pourra ramasser des paniers de victuailles, qui équivaudront à des points en fin de partie : une nouvelle option de stratégie !
Et, me direz-vous, comment contrer celui qui possède le chaperon ? Eh bien le jeu intègre très bien un certain nombre de contres, ou rend plus populaire des contres qui existaient déjà (Ogre). L’équilibrage de cette extension (et de Dark Tales, de manière générale) se fait sur le modèle de la balle d’argent : il existe une solution quasi unique à chaque problème. Le chaperon et Mère-grand permettent de marquer très fort, le Loup les mange, et les Chasseurs tuent les Loups… Neutraliser une carte en particulier est très difficile, mais profondément rémunérateur (ou gênant pour l’autre, ou les deux) !
Pour contrer l’avalanche de personnages féminins qui déséquilibreraient le jeu, des Grands Méchants Loups sont rajoutés, permettant de les capturer. Mais les loups sont un peu forts, et par conséquent, des chasseurs viennent rééquilibrer la donne, permettant de tuer les loups, purement et simplement.
Cette extension corrige le défaut de thématisation du jeu de base ; on se sent dans un univers familier, puissant, ou l’interaction des cartes entre elles crée des situations et des mini-histoires plutôt agréables à suivre.
Blanche-Neige
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Blanche-Neige utillise quasiment les mêmes procédés que LPCR (vingt-huit nouvelles cartes à brasser dans la pioche du jeu de base, pas de changements de règles), à deux détails près : elle offre une carte de remplacement pour rééquilibrer la condition de scoring « l’armée de fer », et, à la place de proposer une condition de scoring en plus, rajoute des objets à utiliser en cours de partie.
Une méchante Reine vous permettra d’avoir un peigne enchanté, une pomme empoisonnée ou un corset maudit, de quoi tuer les Blanches-Neige qui daigneraient avoir l’audace de se montrer. Mais gare aux princes ! Non contents de créer un moteur de scoring très stable avec les Blanches-Neige, ils permettront de tuer toutes les méchantes reines à l’aide de chaussons chauffés à blanc.
Je crois que je préfère un tout petit peu Blanche-Neige au Petit Chaperon rouge : les mécanismes, quoi que légèrement moins originaux, donnent à la partie un ton résolument plus dynamique et instable. On peut encore moins tabler sur le long terme, mais on déclenchera des combos dévastatrices.
Cendrillon
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Cendrillon sortait à la GenCon, mais on n’a pas encore tâté l’extension. On vous en dira plus quand on aura eu la boîte… 😉
Morale et bilan
Si vous êtes intéressé.e par les extensions, sachez que je ne recommande pas forcément de jouer avec les deux en même temps : le paquet est un peu trop dilué pour apporter du fun dans les mécanismes et les balles d’argent sont moins présentes, moins efficaces : on parle alors d’un peu trop de chance à mon goût, et la durée de partie est rallongée pour une expérience pas beaucoup plus satisfaisante. Bref, cantonnez-vous à une à la fois, c’est comme ça que c’est conçu.
En ce qui concerne Dark Tales lui-même, eh bien écoutez… je suis séduit. J’ai pris ce jeu par curiosité, pour voir ce que les graphismes un peu racoleurs recelaient. Et je ne suis pas déçu du voyage, ça non !
Autant vous dire que la simplicité du système et les histoires qu’il racontait m’ont tout à fait plu, et transporté. Le caractère un peu générique gommé par les extensions, je valide aussi ! Au final, je crois que mon plus gros regret, c’est que les extensions se combinent si peu entre elles. Et encore, rien de catastrophique.
Il s’agira la plupart du temps de gérer ses opportunités, et de savoir s’ouvrir des fenêtres pour mieux marquer ses points. Dark Tales est clairement un titre pour joueurs amateurs, voire pour un public familial, mais pourrait laisser sur le carreaux les allergiques au hasard et aux injustices. Personnellement, ça ne me dérange pas du tout, surtout sur ces durées de partie minuscules. Bref, si vous aimez les combos, les cartes, les contes de fées un peu gothiques et les règles épurées, allez-y de ma part, c’est cadeau.
Un jeu de Pierluca Zizzi
Illustré par Daniele Oriuzio « Dany Orizio »
Edité par DV Giochi, Edge Entertainment
Distribué par Asmodee
Langue et traductions : Anglais, Français
Date de sortie : 10-2014
De 2 à 4 joueurs
A partir de 14 ans
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atom 24/08/2016
Merci pour ce Jp, ce jeu m’intriguait pas mal et belle référence que de mélanger l’univers de Tim Burton et Joe Madureira. Prendre des contes de fées et les emmener dans un univers décalé c’est sympa. J’essayerais a l’occasion. Marrant que ça soit l’auteur de Signorie ou bien Asgard, c’est bien il s’essaye a tout, encore un auteur que je vais suivre de prés.
Umberling 24/08/2016
Un conseil : prends-le avec une extension. Ça vaut vraiment le coup 🙂
Je préfère Blanche-Neige, mais Le Petit Chaperon Rouge est très bien aussi et c’est vraiment une histoire de goûts et de couleurs.
Cycnos 24/08/2016
Merci pour ce JP. Ce jeu me fait de l’oeil depuis un moment.
Allez hop ! Dans la wishlist ! 😉
Whisper 29/08/2016
Merci beaucoup. Ca fait plaisir de voir un test aussi ouvert qui positionne le jeu face à son public plutôt que d’essayer de le juger. L’analyse sur les extensions et leur combinaison est bien utile. Moi qui hésitais à sortir le jeu ayant peur qu’il fasse un four auprès de ma famille, je suis bien plus en confiance maintenant 😉