Couleurs de paris : Manet for nothing
Bien avant sa sortie la couverture de la boîte avait su attirer l’œil sur les réseaux : vue dégagée sur Paris, peintre au travail, il y avait de la fraîcheur dans cette composition colorée. La boîte est aujourd’hui disponible et tient ses promesses de la part d’un éditeur qui s’est fait connaître grâce à ses rééditions classieuses ([Ndlr : Super Meeple]. Si la qualité du matériel est comme à chaque fois bien au rendez-vous, il s’agit ici d’une création originale, par Nicolas De Oliveira, dont c’est le premier titre édité.
Vous l’avez compris, durant cette partie, il s’agira de peindre (rapidement) les meilleurs tableaux. Vous bataillerez amicalement contre vos collègues du « bateau lavoir », cet atelier d’artistes du Montmartre des années 20.
La peinture à l’huile, c’est bien difficile…
Dans cette course à la création, il faudra gérer au mieux vos ressources et peindre alors que vos collègues en seront encore à faire leurs mélanges de pigments. Une bonne optimisation de vos actions et une adaptation perpétuelle face aux choix des autres sera la clé de la victoire. Comment ? En sachant se placer et anticiper les actions du plateau tournant (aka la « roue »).
Les joueurs démarrent avec un plateau personnel qui présentent les pistes « outils » : pour prendre plus de peinture primaire/secondaire/peindre plus vite. Ils ont aussi trois cubes couleurs et trois meeples assistants.
Les actions possibles sont au nombre de trois :
Poser un assistant sur un emplacement de la roue. Quand l’emplacement est complet, il faut aller ailleurs. Une action permet néanmoins de copier une autre action non disponible.
Effectuer l’action de cet emplacement : vous pourrez ainsi prendre des pigments basiques (bleu/rouge/jaune), les transformer en couleurs secondaires (bleu+ rouge = violet, etc) et mélanger à nouveau ces pigments pour obtenir du noir. C’est un bon moyen de scorer : 6 points de victoire par cube noir. Vous pourrez aussi améliorer vos outils et, par la suite prendre, mélanger et peindre plus de pigments en une seule fois. Vous pourrez, et c’est la façon principale de marquer, utiliser vos couleurs pour peindre un tableau et gagner des points.
Préparer le tour suivant. Il ne s’agit pas seulement de récupérer ses meeples ou d’avancer un de ces pions, il y a une grosse subtilité ici. Vous allez toujours laisser un de vos assistants sur le plateau central et avancer la roue d’un cran. Il faudra donc se placer en anticipant l’action qui va arriver (si en prime on peut bloquer les autres, c’est encore mieux !). Il faudra calculer afin d’avoir les ressources disponibles quand la roue se placera en face de vous pour effectuer la nouvelle action. Un coup vil et traître permet d’avancer la roue de deux crans ou de ne pas bouger et ainsi perturber les beaux plans savamment orchestrés des copains (mais avez-vous envie de gaspiller un assistant rien que pour être méchant ?).
La partie est terminée quand deux tableaux sont achevés ou si les 5 cubes noirs ne sont plus disponibles.
Le jeu est livré avec deux variantes avancées :
Une utilisation différente des pigments blancs (facile à prendre et à poser mais qui donnent des malus de – 2). Ils permettent ici d’acheter des cartes bonus. Elles sont chères (4/5 cubes blancs) mais vous aident dans votre travail (échange de couleur/action supplémentaire…).
Les tuiles peintres : l’encoche de votre plateau personnel n’est pas décorative, elle accueille un expert de la maison mère qui, lui aussi, va vous brosser dans le sens du poil et vous soutenir (stock de pigment plus important/récupération de pigment après peinture/action supplémentaire…).
Les peintres célèbres possèdent un pouvoir qui va donner une direction à votre objectif. On sera plus enclin à peindre des tableaux rouges avec Manet (quand vous prenez du rouge vous peignez dans la foulée 1 ou 2 cases rouges) par exemple. Cela permet un petit combo tout en allégeant le jeu. Nous avons été moins convaincu par les cartes bonus qui sont coûteuses et nécessitent un meeple pour les récupérer. En deux parties, elles ont été peu achetées.
Bien plus beau que la peinture à l’eau ?
Rares sont les jeux que je mets sur ma liste d’attente et celui-là, allez savoir pourquoi, y était (la couverture, le thème ?). Félicitons une fois de plus Super Meeple qui livre un beau jeu avec un matériel qu’on a plaisir à manipuler (on aurait bien aimé des cubes en bois plutôt qu’en plastique cela dit, mais je suppose que le coût en a décidé autrement, déjà que le jeu est un peu cher). Beau, c’est bien, mais avec le coup de patte de l’artiste, c’est mieux. Le rendu y est, les règles sont claires et son déroulé se fait naturellement.
Si à la lecture des règles, le jeu paraît simple (un joueur dira même qu’il pensait d’après le visuel avoir à faire à un jeu familial dans la lignée des Queen Games), le jeu va vite dévoiler ce qu’il a dans le tube. On va se rendre compte que certains emplacements sont plus courus que d’autres (faut-il attendre d’avoir les pigments pour acheter une toile ou le contraire ? Faut-il courir pour bloquer la copie d’action ?) mais avec un peu de pratique, vous pourrez vous en tirer.
Le must, c’est ce plateau tournant et ce meeple que l’on doit laisser sur place à chaque tour. On commence par activer celui qu’on va laisser, cela signifie qu’il faut avoir en stock les ressources liées à l’action. Avec lui c’est un calcul en deux temps : avoir ce qu’il faut et le placer de façon qu’au tour prochain la roue lui apporte ce qu’il veut. Parfois on perdra une action car on aura dû faire un choix par défaut. Et comme dans tout jeu d’optimisation, les erreurs coûtent chères : un coup perdu c’est un coup en plus pour l’adversaire. Je dois préciser que moi et l’optimisation, ça fait deux et ce jeu-là est à mon niveau côté complexité. Durant l’heure de jeu vous aurez de quoi vous occupez afin d’optimiser vos placements (diantre, 3 ouvriers, c’est peu, même si on peut en acquérir d’autres), anticiper les actions de la roue, gérer les couleurs… Le thème est traité avec respect et la course à la peinture est bien présente. Un bon ressenti. Côté configurations, on a préféré la partie à 4 joueurs, plus vivante.
Couleurs de Paris n’est pas un jeu familial, il faudra un peu d’expérience ou d’efforts pour le pratiquer et se mettre dedans, les premiers tours de roue faisant souvent bien couiner. Il s’agira ensuite de savoir doser ses efforts : a-t-on vraiment besoin de ramasser 6 pigments plutôt que 3 ou 4, a-t-on besoin d’un quatrième assistant, faut-il se spécialiser ou être moyen un peu partout ?
Pour les habitués des jeux de pose d’ouvriers, Couleurs de Paris ne sera pas une révélation, les mécanismes sont déjà assimilés et le jeu ne réinvente pas la poudre. Ils pourront néanmoins passer un bon moment avec ce thème rafraîchissant et ce gameplay élégant. Pour ma part, Couleurs de Paris tient ses promesses et c’est déjà beaucoup.
(photo : le bateau lavoir, Paris)
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Grovast 27/08/2019
Grillé dès le titre, avec un tel jeu de mots, je savais que c’était du Morlock 😀
Merci pour le JP, le jeu vient de faire un bon vers le haut dans ma TodoList.
Wraith75 27/08/2019
Joué ce week-end au BGF, j’ai beaucoup aimé !
abysse Hobby 27/08/2019
encore un article intéressant sur l’un de nos gros coup de cœur de l’été ! Une précision et un avis :
Le meeple que l’on laisse pour le tour suivant : Il n’est pas obligatoire de commencer le tour suivant en activant cet ouvrier en premier.
Et ce n’est pas un jeu familial…Si l’on ne joue que pour l’optimisation et la gagne car au contraire je trouve son accessibilité très bien dosé pour une éventuelle première expérience d’un jeu de pose d’ouvrier ! Son thème et son traitement visuel lui donne en plus des atouts supplémentaires ! Jouez y avec vos enfants et même vos parents et vous découvrirez même peut être de nouvelles stratégies !
morlockbob 27/08/2019
activer n’était pas le bon terme…on va le relever est plus juste et il n’est pas obligatoire de démarrer avec lui. merci de la précision.
ihmotep 27/08/2019
Au delà dela beauté du jeu la mécanique est fort plaisante. Le système de la roue offre un vrai plus tactique fort original pour un jeu très riche malgré sa durée plutôt courte. Attention toutefois je déconseille très fortement le module peintre. En effet, avec ses personnages, la partie peut être expéditive avec un rush sur 2 tableaux simples (super frustrant pour les autres joueurs). De même 5 cubes noirs à 4 joueurs nous a paru trop peu (y en a 6 dans la boîte, autant en profiter). Bref nous avons fait quelques aménagements pour éviter des parties trop « brusques ».
Pour ceux qui comme moi joue aussi régulièrement à 2, ce jeu est une petite merveille à 2 joueurs. Des tuiles bloquent des cases en fonction du nombre de joueurs le rendant extrêmement tendu à 2, très calculatoire et parfaitement adapté à ce format de joueurs
Salmanazar 27/08/2019
Ce serait top pour super meeple si cette 1ere création originale est un succès !
Tavernier 31/08/2019
Couleurs de Paris, un jeu qui marquera son époque. Une mécanique bien huilée. De la pose d’ouvrier plutôt originale avec une disponibilité des actions variable pendant la partie, grâce à la roue d’action qui entre chaque manche tourne. Le fait qu’on laisse un ouvrier sur son action à la fin de la manche permet de bloquer ces adversaires et de prévoir son coup sur deux manches. Le choix de nos actions doit être efficace car il doit nous faire avancer dans nos mélanges et notre peinture tout en bloquant nos adversaires. La fin du jeu peut arriver de deux façon différentes, à vous de jouer pour qu’elle arrive quand cela vous arrange. Pour moi il peut être conseillé à un public très large car les règles sont simples et le jeu est profond. Le famille arrivera facilement à rentrer dedans et l’expert s’amusera à tester les différentes façon de scorer.
Le matériel est très bon, et les illustrations sont vraiment belles.
Pour moi un bon jeu qui peut facilement être un premier conseil pour les personnes qui ne connaissent pas la pose d’ouvrier!
Bravo
morlockbob 31/08/2019
Cher messieurs Tavernier et Abyss, vous me mettez le doute… Jeu pour la famille, premier conseil pour pose d ouvriers… je vous trouve bien large où alors vous jouez avec des surdoués. J’avoue que si le jeu est accessible, son coeur de bataille l’est beaucoup moins. ¨Perso, ce n ‘est pas ce que je conseillerai pour débuter dans la pose d’ouvrier, je n ai pas trouvé cela si évident, mais peut être dois je changer de partenaires de jeu 😉
SUPER MEEPLE 02/09/2019
Merci pour l’article !
Concernant la difficulté, c’est un jeu dont la force est notamment de pouvoir plaire à un public large ; les règles sont très faciles à comprendre. Un public familial trouvera donc du plaisir à jouer dans un thème immersif en jouant « tranquillement » et en faisant ses tableaux, ses cubes noirs … tandis qu’un public gamer jouera beaucoup plus tactique/stratégie en anticipant les actions, bloquant les autres joueurs … Nous avons pas mal de retours de familles qui jouent avec leurs enfants et nous avons vu ça également lors de festivals. Les règles sont quand même très accessibles 🙂