Coffee Traders : Pas si équitable que ça
Après avoir produit et convoyé du pétrole dans le monde entier avec Wildcatters (2013), les auteurs Rolf Sagel et André Spil nous proposent de vendre du café équitable pendant trois décennies. Wildcatters proposait un jeu assez lourd mais aussi très interactif, puisque l’on utilisait les installations des autres joueurs. Ce Coffee Traders joue aussi sur ce type d’interactions car nous allons planter et produire du café, et surtout le partager avec les autres joueurs. Mais est-ce vraiment un jeu équitable ?
Couleur Café
Coffee Traders nous propose de nous mettre dans la peau de producteurs de café. Nous allons construire nos infrastructures dans les différentes plantations du monde entier et produire du café pendant trois décennies qui sont autant de manches dans le jeu. Cet or brun va pouvoir être livré dans les bars-cafés des plus grandes capitales, ou servir à la réalisation de contrats. Un jeu de majorité à point de victoire avec un soupçon de salade de points de victoire.
Une fois n’est pas coutume, je vais vous présenter le matériel et les différentes zones du plateau de jeu.
Le jeu se présente sous forme d’un plateau énorme divisé en cinq zones qui sont autant de plantations : Brésil, Guatemala, Equateur… où nous allons installer nos comptoirs pour produire du café. On va faire notre production en fonction des plantations des autres joueurs aussi, c’est un des twists du jeu. Concrètement, une région qui comprend six plantations va produire 6 X 2 par plantations soit 12 cafés, que l’on va pouvoir livrer dans les bars, mais que l’on va aussi dépenser pour réaliser nos contrats. Donc plus une région est développée, et plus elle produit de café.
Ce plateau peut faire très peur, mais en réalité il est plutôt clair, même s’il y a quelques particularités et détails mécaniques qu’il faut intégrer.
Notre plateau joueur fait encore plus peur, on dirait un livre comptable. Il faut faire preuve d’une certaine capacité d’abstraction pour, au premier abord, y voir autre chose que des pions numérotés. Pourtant lui aussi est plutôt bien réalisé et fonctionne selon des conventions classiques que l’on retrouve dans la plupart des jeux de sociétés. Par exemple, on construit nos plantations de la gauche vers la droite. Le coût est au-dessus, et le gain éventuel en dessous.
En fait, ce plateau est organisé en fonction des phases du jeu.
Chaque manche est rythmée en cinq phases, mais pas de panique elles sont assez classiques, et sont en plus rappelées sur notre plateau de jeu.
Au tout début, on va utiliser nos cubes actions pour installer des plantations, ou envoyer des ouvriers dans une région. On peut aussi récupérer un peu d’argent (ultra important), ou placer une civette à Sumatra. Vous n’avez jamais goûté (moi non plus) le meilleur café du monde : il est mangé par les civettes qui le digèrent, l’excrètent non sans l’avoir naturellement fermenté, puis il est récupéré et peut enfin être consommé (littéralement du cacafé). Ce breuvage coûte une fortune, et comme souvent quand quelque chose coûte cher c’est au détriment de l’espèce. Il existe des fermes usines pour le produire (fin de la minute culturelle). Dans le jeu, le café de civette est un joker bien pratique.
Partager c’est sympa
Les deux premières phases sont assez classiques, on y construit principalement nos plantations dans les zones du monde avec des contraintes dont je vous passerai le détail. Si l’on installe des plantations, c’est pour récupérer le fameux or brun, pour le vendre dans les bars les plus huppés des capitales du monde entier, ou bien pour réaliser des contrats.
Tout ce qui fait la spécificité du titre, c’est la mécanique de “piggy back”. Un joueur va pouvoir initier une action (construire un bâtiment dans une région, envoyer un négociant dans une région), et les autres pourront suivre l’action. Si vous fonctionnez par analogie, dites-vous que ça ressemble un peu aux rôles de Puerto Rico, tout en étant différent dans la réalisation.
Celui qui initie a un avantage, mais il doit payer deux sous. Les autres joueurs viennent se greffer à l’action sans rien faire, mais passerons après. Mais rassurez-vous, vous ferez de même dans les autres zones du monde..
Être premier vous assure un avantage dans le partage du café plus tard pour les plantations, et c’est loin d’être négligeable en fonction des contrats que vous réalisez. Dans la construction des bâtiments aussi, passer devant les autres vous octroie les meilleurs emplacements.
La phase des contrats est elle aussi très classique : on va dans l’ordre inverse du tour, soit réaliser un des six contrats sur notre plateau personnel et gagner le bonus qui va avec, ou bien livrer un à deux bars. Le café que vous produisez ne sera peu ou prou pas stocké pour la manche suivante,il faut donc dépenser tout ce que vous pouvez..
Torréfaction de neurones
Nos contrats vont nous rapporter beaucoup de points, ainsi que des bonus, et il est nécessaire de penser sa partie en amont, en fonction de ceux-ci. Ce qui est drôle, c’est qu’il y a une montée en puissance qui se fait de manches en manches, au début on se partage péniblement 6 cafés, mais à la toute fin, on va partager plutôt 12, voire 18 cafés, tout dépend du nombre de joueurs présents dans le partage évidemment.
Avec son plateau en forme de bilan comptable, le jeu ne nous ment pas, Coffee Traders n’échappe pas aux calculs, à aucun moment on ne peut se permettre de sous-jouer, il faut penser chaque élément, combien on va produire de café, quel type de café on va donner à un joueur etc. Sans quoi on fera de la figuration. S’il nous manque un type de café, on pourra toujours faire de l’échange, avec un ratio de 4 pour 1, autant dire qu’on l’évite autant que faire se peut.
Opportuniste
Pour garder les joueurs bien concentrés sur leur sujet, le jeu propose quelques carottes, et c’est maintenant qu’on rentre dans quelques micro règles un peu pénibles, comme cette piste à droite de notre plateau qui peut nous octroyer des points et des avantages, si et seulement si, chaque jeton posé dessus est différent. Enfin là je résume, parce que la vraie règle fait mal à la tête, on ne sait pas trop pourquoi les auteurs ont voulu à ce point compliquer la chose. Si ce n’est que cela crée un peu de concurrence sur la prise de ces jetons, mais ce n’est pas très élégant.
Le placement des plantations est lui aussi soumis à des micro règles, mais qui restent logiques, et on se les approprient rapidement. On est loin d’un jeu de Lacerda où l’on se demande souvent si la complexité du jeu n’est pas plus liée à l’ingurgitation des règles et leur application, que la stratégie que l’on veut mener.
Puisque l’on parle de stratégie, le jeu est quand même riche, les contrats donnent des points, la piste sur notre plateau, les pistes Arabica, les majorités dans les territoires, celles dans les bars etc. Nous avons aussi 3 Milestones qui donneront des points aux premiers selon des conditions spécifiques et changeantes selon les parties. Le jeu est très complet, les bâtiments que l’on va construire nous donnent eux aussi des avantages, déjà à la construction selon l’emplacement, mais aussi pour le partage du café, ou encore pour les majorités et dans le ratio d’échange.
On peut très bien ne pas du tout être présent dans une coopérative et venir y chercher du café, c’est un peu contre intuitif au premier abord, mais il faut décorréler la construction de plantations et la production de café. Un peu de combinatoire aussi, je pose un bâtiment qui me donne une avancée sur la piste Arabica, qui me donne aussi un avantage etc. Et on va jouer avec ça évidemment pour parfois se débloquer.
Un café, l’addition ?
L’édition est excellente, dans un jeu de ce genre, il faut que tout soit parfaitement agencé pour que d’un seul coup d’œil on comprenne ce que l’on a droit de faire ou non, et de ce côté là, il n’y a rien à redire. Attention, cela ne veut pas dire que vous devrez vous passer d’un regard sur la règle du jeu les premières sessions, mais cela reste négligeable si vous maîtrisez les règles sur le bout des doigts. La première peut amener des questions en jeu, mais sur les suivantes, ça va rouler tout seul.
Le matériel est somptueux, plus de 120 pièces en bois, des pièces en métal, des jetons café en plastique, des plateaux épais, bien sûr tout cela a un coût, Super Meeple avait lancé une souscription pour 120 €, ce qui correspondait au prix en version originale.. Quand on aime, on ne compte pas…
Certes tout n’est pas parfait, avec son coté extrêmement calculatoire, ses micro règles inélégantes, Coffee Traders nous propose un jeu expert compétitif avec une mécanique collaborative qui procure des sensations intéressantes et non moins originales avec ce partage des ressources, la production en commun. On reste concentré de bout en bout dans la partie. L’interaction est très forte, d’abord par cette mécanique collaborative, mais aussi par le jeu des majorités, la tension sur les milestones etc.
Si l’on excepte la version deux joueurs qui est une variante qui ne m’a pas spécialement intéressé, toute les configurations tiennent bien le pavé. À boire corsé avec trois amis ou plus pour profiter des arômes.
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