Chronicles of Drunagor – Age of Darkness – petit tour sur la terre de Daren

         Chronicles of Drunagor – Age of Darkness (de Daniel Alves & Eurico Cunha Neto) édité par Creative Games Studio (CGS) est un jeu de plateau entièrement coopératif de combat tactique de type « dungeon crawler » pour un à cinq joueurs. Le tout est basé sur de multiples scénarios (avec matériel en 3D), chacun d’entre eux pouvant être joué séparément ou en une campagne composée de 18 chapitres. Un mode solo et un mode joueur contre joueur sont aussi proposés.
            Drunagor (pour les intimes) fit un passage remarqué sur KS fin 2019 (news), à l’époque alors en concurrence avec Arkeis qui arrive d’ailleurs en ce moment en précommande. Fort de son joli succès et d’un grand oui-da de la communauté ludique (avec une note de 9.0 sur BGG), il repasse en financement participatif via Gamefound en ce mois de juillet 2021. En effet Chronicles Of Drunagor: Age Of Darkness Apocalypse vient remettre le couvert et proposer du nouveau contenu aux amateurs avec une campagne de 16 nouveaux chapitres.

Sans doute l’un des projets les plus excitants de l’année pour les fans de dungeon crawlers et il reste encore quelques jours pour se pencher sur son cas. Alors, Drunagor, qui es-tu ?  

Battre la semelle en terre de Daren

Un brin de contexte. Vous voilà héros sur le continent de Daren. Une puissance obscure se réveille, et vous allez parcourir les terres pour tenter de l’arrêter. Un background med-fan bien classique mais le jeu a le mérite de proposer un grand panel de personnages qui permettront des sensations variées (si vous backiez le tout lors de la première campagne, vous aviez près d’une vingtaine d’avatars différents avec une belle asymétrie).

Comme on peut s’y attendre, vos héros vont évoluer, s’améliorer, trouver de l’équipement, rencontrer d’autres personnages, bref vivre une épopée. Au fil de vos pérégrinations, vous aurez surtout de nombreux combats à mener contre divers adversaires sans oublier les Ténèbres qui vous suivent à la trace.  

Premier point marquant avec Drunagor : le jeu sort de la table. Il prend de la hauteur, et cela se fait au prix de terrains en 3D qui ont le mérite de ne pas uniquement servir à faire choli – même s’il faut le souligner : ça pète ! (les illustrations sont raccords avec l’histoire qui est contée, loin des tuiles génériques à la Gloomhaven). Le potentiel de cette dimension est surtout exploité par de nouveaux choix tactiques.

Que se cache-t-il derrière cette porte ? 

Autre point rafraîchissant pour les vieux roublards des dungeon crawlers : les portes. Il est toujours plaisant quand, dans un porte-monstre-trésor, les créateurs prennent soin de travailler les trois piliers susnommés avec un nouveau regard. Ici, quand vous voulez ouvrir une porte, vous dépliez les battants et découvrez un peu de contexte écrit et les nouvelles tuiles (avec, évidemment, les enjeux et les dangers) que vous pourrez trouver pour la pièce suivante. Hélas, installer du matériel est synonyme d’interruption, mais le plaisir de la découverte se distille ainsi durant toute la partie. Quand on arrive dans une zone et qu’on voit une porte, on a juste envie d’aller l’ouvrir. 

Les créateurs ont même eu l’idée brillante de placer des QR Codes sur les portes en question ce qui permet d’ajouter du choix aux joueurs avec divers niveaux de difficulté possible, sans parler de la rejouabilité et du potentiel de mise à jour. CGS peut en effet publier de nouvelles options pour les mêmes portes, la communauté peut aussi en proposer. Les dungeon crawlers ont souvent un problème un peu insoluble pour variabiliser les set-up et garder la surprise tout en restant cohérent thématiquement, et équilibré mécaniquement. Voici donc une fonctionnalité pour le moins bien sentie qui a sûrement de beaux jours devant elle.

Enfin, pour les allergiques aux jeux hybrides, sachez que cela représente une à deux utilisations de l’appli dans la partie, et cela prendra environ une minute à chaque fois (après il faut installer le matériel, ce qui prend nettement plus de temps). Bref, on est très (très) loin des jeux entièrement conduits par tablette, ici le device fait le strict minimum, mais il le fait à un point clef. 

 

Côté édition, le jeu fourmille de Game Trayz, rendant la boîte obèse. D’aucuns trouveront ça utile, personnellement un peu moins de plastique ne m’aurait pas dérangée d’autant que je ne suis pas certaine que l’on soit gagnant dans la mise en place vu comment le tout a été pensé et le temps que cela prend. C’est d’ailleurs un élément bien revu dans la campagne en cours qui offre de nouvelles solutions de rangement. Pour le reste du matériel, le jeu demeure généreux, la boite de base comptait plus de 240 cartes, 55 portes, 40 tuiles pour le plateau… On dénombre au passage un nombre improbable de jetons. Seront-ils tous bien utiles ? Vu la quantité astronomique, les doutes sont permis. Pour ce qui est des illustrations et des figurines, on est plutôt bien servis avec une DA colorée et jamais darkotrash (tant mieux), le tout est indubitablement agréable à l’œil. Mais le jeu a d’autres atouts à faire valoir que sa plastique. 

Un narratif classique mais bien intégré

Vous le savez, le narratif a le vent en poupe. Aujourd’hui les plateformes de financement participatif proposent tous les deux jours un nouveau gros jeu promettant des heures d’histoire. Mais vaut-elle la peine d’être contée et comment s’intègre-t-elle au gameplay ? Dans Drunagor, elle reste malheureusement assez classique (il est à souligner qu’ils ont ajouté pas mal de lore sur leur site), loin d’être aussi prenante et bien écrite qu’un Tainted Grail. Côté intégration in game elle utilise trois vecteurs : tout d’abord, le traditionnel livre d’aventure, qui sert de fil rouge à la campagne, établira le contexte au début de chaque scénario tout en venant conclure chaque chapitre (le tout compte 70 pages bien agencées). Durant la session, la narration perdure via les portes, je le disais plus haut, que l’on déplie pour découvrir ce qu’il se trame dans la salle suivante. Un vrai plus qui relance l’arc narratif même si cela génère de l’interruption par ailleurs.
Enfin, il faut mentionner les points d’interaction, représentés par des jetons placés sur la carte que vous pouvez atteindre pour déclencher leurs effets. Bien souvent il s’agira d’aller chercher le livre d’interaction, un des arguments qui donne envie de jouer à Drunagor

Vous ouvrirez le livret à la page demandée et découvrirez une grande illustration qui vous montre la situation en cours avec diverses options pour vos joueurs (dont certaines disponibles uniquement pour certains héros). Inspiré des BD dont vous êtes le héros, le fonctionnement est d’une limpidité totale. Vous vous rendez ensuite à la fin du livre d’aventure, dans la partie « interaction » qui compte 35 pages, pour connaître l’aboutissement de votre décision. C’est un vrai plaisir visuel que d’interagir avec ce livret qui donne vie à l’action, même si on aurait souhaité que ces choix-là aient un impact plus fort sur l’histoire en elle-même. La nouvelle campagne actuelle semble d’ailleurs promettre des choix plus lourds de conséquences : sans nul doute une bonne piste d’amélioration pour Drunagor surtout si c’est lié à cette chouette fonctionnalité.

 

Gameplay : l’approche cubiste 

Le jeu offre une édition suffisamment originale et généreuse avec sa 3D, ses portes et son livret d’interaction pour sortir la tête du lot, mais là où il se différencie réellement, c’est sur son gameplay, très simple et efficace. La présence des cubes ne sera pas sans rappeler à certains le Conan de Fred Henry (2016). Vous commencez avec un certain nombre de cubes qui vous permettent d’activer vos compétences (agilité, sagesse, distance, mêlée) sur votre plateau héros. Ainsi, au début, vous pouvez faire un mouvement libre et utiliser deux cubes d’action à chaque tour. Les plateaux héros ont généralement des emplacements multicolores pour vos compétences, ce qui signifie que vous pouvez utiliser n’importe quelle couleur de cube pour les déclencher. En revanche la portée de l’action sera toujours en fonction de la couleur du cube utilisé (jaune : sur soi-même et adjacent, rouge : à distance, vert : n’importe où dans un lieu révélé…). Une manière fort élégante de donner de la liberté dans les actions sans empiler les règles façon millefeuilles, le tout sans contraintes complexes de ligne de vue.  

Une fois tous vos cubes utilisés, il faudra les “rappeler” mais cela vous ajoutera un cube noir sur une compétence (une malédiction) qui la rend inutilisable. Lorsque vous avez 6 cubes de malédiction, votre héros est corrompu et les Ténèbres s’emparent de lui. Game over. Mais le cube noir n’est pas aussi définitif que les cartes mises de côté dans Gloomhaven, puisqu’il vous sera encore possible de nettoyer ces limitations au prix d’autres actions capables de lever la malédiction. Mais en attendant, quand vous faites ça, vous ne faites pas autre chose !
À chaque tour, on se creuse donc les méninges pour dépenser nos cubes de la façon la plus optimisée selon les données tactiques et stratégiques en cours. On ne dépend pas d’une main de cartes aléatoire pour agir, on connait nos compétences, on les a toujours sous les yeux, à nous de les utiliser au bon moment et de savoir sacrifier ce qui peut l’être. L’avantage de ce système d’activation est donc multiple : les options restent toujours très lisibles, flexibles, et donnent cette sensation de contrôle.   

Côté combat, vous aurez simplement à activer une compétence qui vous donne une valeur à atteindre avec votre D20 (et bien souvent d’autres effets). Vous lancez donc un seul dé à 20 faces (D20) et comparez le résultat avec le niveau de compétence de votre arme, en ajoutant tout bonus le cas échéant. Une fois par compétence, vous pouvez aussi défausser un cube d’action pour relancer votre dé d’attaque, si besoin. Les armes sont plus ou moins précises, plus ou moins létales, alors tentez de bien vous équiper, ce qui n’est pas toujours chose aisée. Votre positionnement sur la carte va aussi compter puisque les scénarios en 3D peuvent donner des avantages ou des désavantages aux joueurs (par exemple, si un héros est situé en surplomb de sa cible, il gagne un bonus à tous ses jets d’attaque).


Chaque héros a un rôle établi, qui offre un départ asymétrique et thématique aux joueurs. À certains moments vous pourrez débloquer des capacités de classe pour donner à vos héros des bonus liés à sa voie.  

IA

Là encore où Drunagor parvient à faire simple et efficace, c’est sur le tour des adversaires. Dans un coopératif, la manutention des monstres peut devenir quelque chose de pénible, quand il faut se référer à de multiples éléments, vérifier les états, les déplacements, etc. Dans Drunagor, cela va très vite. Avec un résultat sans aucun doute moins profond et plus répétitif qu’un Gloomhaven, mais le plaisir viendra ici de la fluidité.

Au début d’un scénario, vous placez vos héros sur la piste d’initiative (image ci-dessus) en fonction du rôle que vous avez choisi (défenseur / soutien / leader / attaquant / contrôleur, sachant que de nouveaux rôles arrivent avec la campagne en cours). Ensuite, à chaque fois qu’un monstre apparaît, vous regardez le symbole sur sa carte et vous le placez en-dessous ou au-dessus de l’icône correspondante sur la piste d’initiative. Les joueurs doivent donc simplement lire cette piste pour savoir qui joue quand.
Quant à la gestion des statuts et des dégâts des monstres, elle est rendue limpide grâce à l’utilisation de pistes colorées via des plateaux annexes de suivi. Encore une fois, Drunagor trouve une solution visuelle à un élément souvent laborieux dans les jeux du genre.

Puis, après l’activation des monstres, viendra celle des Ténèbres. Il s’agit d’une entité maléfique qui nous poursuit sans cesse concrètement représentée par des tuiles façon polyomino qui viennent se placer sur la carte, ajoutant une pression indispensable sur les joueurs. Les règles de pose varient d’une aventure à une autre, mais c’est jamais bon d’être rattrapé par les Ténèbres, oh que non.

 

 

Bref,
Visuel, généreux, malin dans ses fonctionnalités, accessible mais tactique avec son système d’activation par cubes et son terrain en 3D, le premier opus de Chronicles of Drunagor parvient à se différencier de la foule des dungeons crawlers existants même si l’histoire qu’il raconte n’a rien d’inoubliable et qu’une certaine répétitivité peut s’installer.

Le jeu réussit à formuler une proposition encore différentes des ténors du genre, et malgré quelques erreurs ou insuffisances dans les textes qui viennent parfois entraver l’expérience, le tout mérite sans doute un coup d’œil de la part des amateurs de RPG. Attention, le tout prend de la place, beaucoup ! 

Force est de reconnaître que CGS soutient son jeu et ne le lâche pas. Ils sont très réactifs sur les forums, répondent aux questions, maintiennent le développement et la mise à jour de leur titre-phare. D’ailleurs, la campagne Gamefound en cours annonce une nouvelle IA pour les monstres et des choix narrativement plus impactants, répondant aux retours de la communauté.

Sachez que l’actuel Gamefound vous permet de backer tout le contenu du premier opus et/ou d’acquérir la deuxième campagne baptisée Apocalypse Adventures (qui nécessite la Corebox pour être jouée, et comprendra tous les Stretch Goals de la campagne en cours).
Pour info, tout est en cours de traduction (on peut lire les règles en VF par ici) mais il faudra sans doute être encore patients pour voir officiellement la globalité des textes en français. En attendant, ici, nous jouons la campagne avec la VO traduite à la volée par une appli de traduction instantanée bien connue car il y a tout de même pas mal de textes. [MàJ] Sachez que les textes traduits en VF sont trouvables ici au format Word pour le moment sans mise en forme.  

 

 

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10 Commentaires

  1. OlivR 31/07/2021
    Répondre

    Je suis pas mal intéressé par ce jeu surtout que les critiques sont particulièrement bonnes.
    Le seul frein c’est de la présence de textes un peu partout, et même s’il y a des traductions en français des livrets au format pdf, cela risque d’être bien trop compliqué a gérer.
    J’attendrai donc un print en VF pour l’acquérir ou ce sera sans moi.

    • Shanouillette 01/08/2021
      Répondre

      Merci du retour ! Oui il y a pas mal de choses à lire et je comprends complètement que ça puisse freiner. Vu que le tout est en cours de trad (on trouve les textes bruts déjà), peut-être qu’un distrib se penchera sur son cas, il le mériterait !

      • OlivR 05/08/2021
        Répondre

        Bonne nouvelle : grâce a Intrafin (un énorme merci à eux) il y aura désormais une version imprimée en Francais du jeu… Dans ce cas, comment ne pas cracker ? 😉

        Par contre, la mauvaise nouvelle c’est que la campagne se termine ce soir.

  2. Bilbut 31/07/2021
    Répondre

    Pour info, l’ensemble des textes de la 1ere campagne a été traduit et est dispo sur la page Facebook de CGS.

    Et je pense qu’il y a une erreur au sujet des tests D20 : il n’est pas possible de dépenser un cube d’action supplémentaire pour relancer le dé (en tout cas pas dans la 1ere campagne).

    • Shanouillette 01/08/2021
      Répondre

      Merci beaucoup pour l’info ! N’ayant pas vu les textes traduits sur le site de l’éditeur ni sur BGG, je ne pensais pas les trouver quelque part. Ça sera bien utile. Sais-tu quand le tout sera mis en page ?
      Concernant la règle de relance, en effet nous avons joué sans jusqu’ici, c’est en lisant les règles VF que je l’ai trouvée :  « Une fois par compétence, vous pouvez défausser un cube d’action disponible pour relancer votre dé d’attaque. » avec une règle de demi jeton de concentration que j’ai trouvée intéressante (page 20). J’imagine que c’est une update des règles qui permet de limiter la chance.

    • Chakatac 01/08/2021
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      Peux-tu me donner le lien des traductions ? Merci 🙂

  3. TSR 01/08/2021
    Répondre

    Double all-in. J’espère que tu es fière de toi Shanouillette !

    TSR

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