Canopée – ou le slow draft de la jungle

Grâce à une campagne de financement largement réussie sur Kickstarter, Tim Eisner, auteur américain implanté dans l’Oregon, publie Canopée chez Weird City Games, localisé en français par Lucky Duck Games. En cohérence avec les univers naturels, parfois teintés d’onirisme, qu’il a explorés jusqu’à présent, ce passionné de randonnée nous emmène visiter la jungle, dans un jeu familial illustré par Vincent Dutrait. Ces belles illustrations, combinées à une mécanique de draft et de collection fluide, feront la joie des grands comme des petits et nous invitent à prendre le temps de jouer en observant les êtres vivants que nous rencontrons au fil des trois saisons. Une fois l’étape d’étude et d’apprentissage des règles passée, on laisse libre cours à son imagination et on se retrouve ainsi au beau milieu de cette jungle qui grouille de vie.

Invitation à l’observation

Un mot, tout d’abord, au sujet des magnifiques illustrations du jeu. Les couleurs sont vives sans être kitchs, et elles rendent hommage à la beauté de la flore et de la faune de la jungle. D’autre part, on s’approprie facilement la légende du jeu qui, une fois quelques symboles retenus, s’avère claire et intuitive.

 

Un échantillon du travail réalisé par Vincent Dutrait

 

On peut alors s’intéresser aux explications qui figurent au bas des cartes. Celles-ci nous en apprennent plus sur les animaux et les plantes présentes sur les cartes, mettent en avant des particularités de l’écosystème de la jungle et, enfin, sensibilisent à l’impact écologique de l’activité humaine et du changement climatique. Pour tout vous dire, après avoir joué à Canopée, j’ai eu envie de regarder un documentaire sur les animaux de la jungle – ce que j’ai fait le lendemain.

Sans se faire d’illusions au sujet de l’état des forêts tropicales, on prend tout de même plaisir à accompagner une partie des sons de la jungle – de la pluie comme des oiseaux qui y vivent. Une fois qu’on est entré dans Canopée, qu’on a compris qu’il n’est nul besoin de se presser, et qu’on commence à la peupler, on s’y croirait presque, dans notre forêt. À titre personnel, je vous conseille d’agrémenter votre partie de l’écoute de cette vidéo.

 

Pour faire pousser, il faut s’adapter !

Canopée ne fait pas dans le difficile. C’est un jeu accessible qui n’est pas ennuyeux pour autant. Il se déroule en trois saisons. Durant chaque saison, chaque joueur ajoute des cartes à sa forêt. Pour ce faire, il a à disposition trois piles de cartes disposées face cachée. On commence alors par regarder la première et, si elle nous convient, nous pouvons la garder. Si elle ne nous convient pas, il faudra lui rajouter une carte et regarder la pile suivante, et ainsi de suite jusqu’à la dernière. Nous pouvons refuser la dernière pile, mais alors nous serons dans l’obligation d’ajouter à notre forêt une carte piochée dans le tas de cartes restantes.

 

Le plateau et les cartes Forêt

On prend vite le pli de cette mécanique et les tours se déroulent donc sans difficulté. Ce qui ne veut pas dire qu’ils seront forcément trop rapides ou répétitifs. Bien au contraire, au fur et à mesure qu’il découvre de nouvelles cartes, chaque joueur peut être confronté à des choix plus ou moins cornéliens. Non seulement parce que le feu risque d’endommager la forêt (deux cartes flore à défausser), ou parce que la maladie pourrait tuer deux de ses animaux, mais aussi parce que le renouvellement des cartes d’un tour et/ou d’une manche à l’autre rend difficile l’élaboration d’une véritable stratégie.

On parie alors que la prochaine carte qui s’ajoutera à cette pile la rendra plus intéressante… et qu’entre temps notre adversaire ne la récupèrera pas à notre place. On découvre une Monstera au milieu d’une saison et on essaye d’en collecter trois avant la fin de la saison pour avoir son bonus… mais rien n’est moins sûr ! On élabore alors sa tactique au fur et à mesure qu’on joue, on jette un œil à la forêt de l’autre pour éviter de parier sur le mauvais cheval… – pardon… Toucan ! – puisque la faune comme la flore sont en nombre variable (indiqué en bas à droite de chaque carte), et, si l’on s’y prend bien, on gère… la fougère – désolé, j’ai pas pu m’en empêcher !

 

Au commencement était un tronc…

Au début de la partie, notre forêt est loin d’être luxuriante… Elle se compose, en effet, d’un seul tronc d’arbre. La saison avançant, elle s’enrichit d’un grand nombre d’espèces et d’événements, parmi lesquels de la flore, de la faune, des menaces et des changements météorologiques. La mécanique de collection de cartes fonctionne alors à plein puisque, par exemple, le soleil n’apporte de points que s’il est associé à de la pluie. De la même façon, pour pouvoir compter sur les points apportés par une variété de plantes, il faudra posséder un nombre bien précis de cartes.

 

La carte pluie associée à une carte soleil rapporte cinq points à la fin de la saison.

 

Il est alors important d’être méthodique dans l’organisation de sa forêt, sans quoi on risque de perdre de vue les objectifs à atteindre avant la fin de la saison. Tout absorbé qu’on est par les belles images, on pourrait se retrouver avec un Bromélia de trop et perdre trois points… Ou refuser une carte Canopée alors qu’on a un grand arbre à terminer.

À ce sujet, j’en profite pour apporter un éclairage sur un point un peu obscur des règles : chaque canopée apporte un nombre de point égal à la multiplication de la valeur indiquée sur la carte et du nombre de troncs qui composent l’arbre. Lorsqu’il faut décompter le nombre de points apportés par un arbre, il faudra donc additionner la valeur de la canopée multipliée par le nombre de troncs, et les points figurant sur chaque carte tronc.

 

Ainsi, à partir de gauche, le premier arbre rapportera un point (0*1+1), le deuxième, cinq points (1*3+2), le troisième, neuf points (1*4+5), et le dernier, 2 points (0*2+2).

 

Fin de saison : place aux jeunes (pousses) !

Bon, hormis le plaisir des jeux de mots avec lesquels je parsème (encore un !) cet article, ce titre correspond bien au déroulement du jeu. En effet, lorsque les joueurs terminent de sélectionner les cartes d’une saison, ils vont commencer par appliquer les effets de fin de saison de leurs animaux et par résoudre les cartes graines, en piochant dans le tas approprié. Ensuite, ils décomptent l’ensemble des points qui leur sont attribué par leurs cartes (météo, saisons, flore et arbres) excepté les cartes faunes. Enfin, ils défaussent toutes les cartes de leur forêt, sauf les arbres et les animaux. Prenez garde toutefois à poser un jeton animal sur chaque arbre déjà scoré, sans quoi vous risquez de le compter une deuxième fois !

Ce fonctionnement permet, d’une part, d’éviter que notre forêt s’étende outre mesure et devienne difficile à organiser sur l’espace de jeu. D’autre part, il empêche le développement d’un moteur trop efficace qui ferait accumuler des points de façon exponentielle, saison après saison. En revanche, il présente à mes yeux un inconvénient : après avoir joué plusieurs parties, avec et sans extensions, j’en ressors avec le sentiment qu’il n’est pas possible d’élaborer une véritable stratégie en jouant à Canopée.

 

 

Pour être plus précis, il est possible de réfléchir à la tactique que l’on adoptera durant la saison en cours et cette tactique reste en partie soumise aux aléas de la pioche de cartes et aux choix de notre adversaire. Mais, faute d’objectifs et de bonus de fin de partie en quantité suffisante, il me semble que le jeu ne permet pas de développer une stratégie que l’on s’efforcerait de réaliser jusqu’à la fin de la partie.

En effet, la condition à laquelle les cartes Faune rapportent des points supplémentaires à la fin de la partie est relativement aisée à satisfaire et dépend surtout des aléas de la pioche : il faut réunir deux cartes de la même espèce animale et former ainsi un couple reproducteur. Pour accumuler des bonus de fin de partie, il faudra alors compter bien plus sur sa chance ou sur la bienveillance de l’adversaire que réfléchir à la satisfaction d’objectifs que l’on connaîtrait, par exemple, au début de la partie.

Si ce fonctionnement peut ne présenter aucun inconvénient pour des joueurs qui auraient une préférence pour un jeu simple, qui ne s’éternise pas et qui a une vocation familiale, il pourrait laisser sur leur faim les joueurs qui prennent plaisir en jouant à des jeux plus complexes – ceux que j’appellerais amicalement, puisque je m’y inclus, les énervés du meeple.

On apprécie l’aide de jeu double face qui résume le tour de jeu et le décompte.

 

Un matériel de jeu cohérent avec le thème

Un mot enfin sur le matériel. On ouvre la boîte et, je l’ai déjà dit, l’œil est vite attiré par les belles couleurs et illustrations. Mais on est aussi positivement surpris puisqu’on découvre une boîte qui ne contient pas le moindre objet en plastique. Exit les sachets transparents, on a deux sachets en papier où ranger notre matériel. Au lieu des élastiques, une fine bande en papier recyclé permet de rassembler les éléments du plateau de jeu. Les règles sont rassemblées en deux petits livrets qui doivent correspondre à peu près à quatre feuilles de format A4. Enfin, le rangement à l’intérieur de la boîte est simple et efficace, ce qui évite qu’elle prenne trop de place.

Quand on compare la sobriété du contenu de Canopée à certains jeux sur le commerce qui débordent de sachets plastiques, de cellophane, de rangements encombrants et d’emballages en tout genre, on ne peut que saluer la démarche écologique adoptée par l’éditeur du jeu.

Les cartes sont lisibles et on s’approprie leur iconographie rapidement. L’installation du plateau et le tri du matériel prennent peu de temps et sont simples. Là où le jeu me semble manquer un peu d’ergonomie c’est dans le décompte des points : saison après saison, il nous faudra en effet prendre de nouveaux jetons de 1, 5, 10 ou 25 pour ne pas perdre le compte des points que nous avons accumulés. Il arrive alors assez fréquemment d’être à court de jetons et de devoir les échanger pour pouvoir continuer de tenir le compte.

Ce qui m’a semblé un peu pénible, ce n’est pas tant la nécessité d’échanger ces jetons de temps en temps, que le fait que ces jetons aient la même couleur et la même taille. Seule la valeur imprimée permet de les distinguer. Ainsi, si la pièce dans laquelle vous jouez n’est pas très bien éclairée, il faudra faire attention à ne pas confondre les jetons de 5 avec les jetons de 25, et les jetons de 1 avec les jetons de 10. Paradoxalement, on distingue beaucoup plus facilement les jetons faunes qu’on utilise pour marquer les arbres décomptés à la fin de chaque saison – c’est-à-dire des jetons qu’on n’a pas besoin de distinguer – que les jetons Points de victoire.

 

 

Conclusion : Canopée… avec modération !

Canopée reste avant tout un jeu familial, à la mécanique simple et fluide, qui permettra tout aussi bien d’explorer la jungle en prenant son temps que de terminer une partie en une demi-heure. Il est bellement illustré et pourra être pris en main rapidement par les néophytes comme par les initiés. Les nombreuses variantes incluses dans la boîte permettent de jouer en mode solo et d’adapter le jeu à trois ou quatre joueurs. Les cartes de l’extension et les cartes Saison changent dans une moindre mesure certains éléments du jeu et/ou ajoutent un peu de complexité.

S’il serait injuste d’exiger de Canopée une stimulation intellectuelle comparable à celle des « gros jeux », il est possible que des joueurs initiés ou experts trouvent que la mécanique du jeu manque de profondeur ou devienne répétitive, surtout si l’on joue des parties de façon rapprochée. On a donc là un jeu agréable qui se déroule dans un univers qui permet de s’évader et de prendre un grand bol d’air… à condition, peut-être, de ne pas s’y rendre trop souvent !

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6 Commentaires

  1. Morlockbob 12/02/2022
    Répondre

    Tout à fait d accord avec le « modération »

    • El Duderiño 12/02/2022
      Répondre

      En effet… Pour avoir joué des parties de façon rapprochée, ou à la suite, pour écrire cet article, j’ai eu un certain sentiment de répétition voire d’automatisme. Je pense que cela peut être un bon jeu à sortir de temps en temps !

  2. AtomChris 18/02/2022
    Répondre

    Merci pour ce retour très honnête qui me permet de ne pas l’acquérir bientôt et je resterai donc à l’ombre de la consommation frénétique qui m’envahit parfois.

    • El Duderiño 20/12/2021
      Répondre

      Dans un thème proche, mais avec une mécanique de deck-building et avec une plus grande complexité, il y a aussi Living Forest ! (Il existe aussi sur BGA)

    • morlockbob 20/02/2022
      Répondre

      on peut lui préférer Momiji ou Cascadia

      • El Duderiño 20/02/2022
        Répondre

        Merci pour vos commentaires ! Effectivement, j’ai essayé de mettre en avant autant les bons que les mauvais ou moins bons côtés de Canopée. C’est important pour moi de faire des retours objectifs sur les jeux, d’autant plus que ce ne sont pas les nouveaux – ni les anciens – jeux qui manquent !

        Pour avoir joué aux deux, je trouve que ces jeux – Cascadia en particulier – ont plus de profondeur que Canopée, tout en restant dans la catégorie des jeux familiaux.

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