Cairn : Ouverture celtique
Dans le cinéma, quand on aime un réalisateur, on apprécie de retrouver sa patte, ses plans de caméra, ses acteurs fétiches, etc. Dans le jeu de société, c’est un peu la même chose. Un auteur laisse son empreinte sur son œuvre et on la retrouve souvent en filigrane, même s’il change de genre de jeux. Je n’ai pas la prétention de connaître toute la ludographie de Christian Martinez, mais j’avais adoré Inis, qui est encore dans ma ludothèque. Un jeu de contrôle de territoires élégant et épuré avec une mécanique de draft très intelligente. Cairn est sa dernière création : il s’agit d’un jeu abstrait pour 2 joueurs survitaminé et malin en diable.
Chaque joueur incarne une tribu de chamanes, ceux de la forêt (en marron) et ceux de la mer. Le but du jeu est de gagner 3 points de victoire et pour cela on va chacun son tour réaliser des actions sur le plateau représentant la forêt avec nos chamanes.
Cairn et mat
Quand on parle de jeux abstraits, cela évoque immédiatement les échecs. Ici nos chamanes sont tous logés à la même enseigne, ils ont beau avoir des visuels différents ils n’ont pas de pouvoir spécifique. Si l’on devait chercher une référence, il faudrait plutôt aller regarder du côté de l’excellent Onitama. En effet, Cairn s’appuie sur une mécanique similaire au jeu de Shimpei Sato, mais ici on ne rend pas disponible le mouvement que l’on vient de réaliser, on retourne la tuile que l’on actionne.
Nous avons trois tuiles actions présentes devant nous et quand on réalise l’une d’elles on la retourne sur son verso rendant disponible l’autre action à l’autre joueur.
Les actions sont simples : l’une d’elles sert au déplacement, d’un côté on avance en ligne droite, de l’autre en diagonale ; la suivante nous permet de faire du saute-mouton par dessus un chamane adverse d’un côté et d’un de nos chamanes de l’autre. Enfin, le dernier nous permet de faire apparaître un de nos chamanes sur un des deux portails.
Pour marquer des points, il faut respecter un pattern sur une tuile et dans la même idée que les tuiles actions, on la retourne sur son autre face. Une mécanique très élégante. On marque aussi un point si on traverse le plateau pour aller dans le village adverse.
La dynamique du mégalithe
Mais ce n’est pas tout, il y a un petit élément qui dynamise le jeu : les mégalithes. Au début, deux d’entre eux sont présents et quand on bannit un chamane adverse ou que l’on traverse le plateau, on place un des deux mégalithes présents sur le côté du plateau. Et ceux-ci donnent des pouvoirs quand on déplace son chamane dessus (ou même le chamane adverse). On va donc créer des synergies très puissantes qui changent la physionomie d’une partie. Avec tel mégalithe, je déplace ton chamane (et ho pas touche !). J’ai réalisé le schéma demandé, parfait, un point dans mon escarcelle. Avec tel autre, je rejoue, ou bien je retourne un jeton action… Bref, il en existe 14 et dans une partie, on n’en aura jamais plus de 6.
Sachez qu’il ne peut y avoir plus d’un mégalithe sur une case, donc en réalisant le pattern on ne fait que sortir un chamane adverse, mais on ne marque pas de points, parfois (souvent) c’est utile pour au moins ralentir l’adversaire. Mais il y a aussi une mécanique de compensation, car on place le mégalithe là où l’on a banni le chamane adverse, le rendant disponible à l’adversaire. Autrement dit, quand on donne le bâton à l’adversaire… il ne faut pas pleurer quand il s’en sert pour nous donner la bastonnade ! Du coup les parties sont souvent sur le fil, il ne nous est encore jamais arrivé de perdre 3 à 0, l’issue est toujours très serrée.
Le Cairn, nid de jetons
L’édition, perfectible, contraste avec ce tableau idyllique. D’abord, les noms de l’auteur et de l’illustrateur ne sont pas présents sur la boite, uniquement sur la tranche. Apparemment, il s’agit d’un oubli, reste plus qu’à espérer qu’une seconde édition corrige cette lacune.
Continuons sur l’édition, clairement la boite aurait pu subir un petit régime amincissant, on aurait pu avoir des pions en bois… Ce serait la même chose, mais, soyons honnête, ça n’aurait pas le même sex-appeal. Ce que je reproche surtout c’est l’ergonomie du jeu, qui selon moi aurait pu être un peu plus efficace. Si les tuiles sont bien claires et différenciées (et heureusement, car c’est la base du jeu), l’iconographie des mégalithes n’est pas immédiate et j’avoue qu’après un certain nombre de parties j’ai encore besoin de l’aide de jeu, qui est au demeurant très bien faite. Les portails où apparaissent les nouveaux chamanes ne sont pas assez marqués, j’ai en premier lieu pensé que ça venait de moi, mais en réalité à chaque nouveau joueur à qui j’ai fait découvrir le jeu, la question s’est posée.
Je ne suis pas spécialement un amateur des échecs qui demandent une certaine compétence et connaissance du jeu. Mais cet hiver pour Noël mon neveu a reçu un jeu d’échec et nous avons enchaîné les parties. Rien de tel que la pratique pour augmenter sa compétence.
Le gros défaut de ce jeu millénaire, c’est que le découvrant part avec un gros désavantage, contrairement à l’amateur qui a des centaines de parties derrière lui et a intégré tout un tas de “scénarios” ; les fameuses ouvertures, car, oui, finalement, dans un jeu sans hasard, tout n’est plus que code. Ah, il tente de me faire une défense à la sicilienne ? Je n’ai que mes yeux pour pleurer. Du coup je n’ai pas spécialement envie de m’investir. Finalement le jeu reste frais tant que je découvre et apprends par moi-même.
J’ai longtemps cherché un Graal du jeu abstrait. Santorini ne m’a pas convaincu, mélangeant placement, construction et pouvoirs avec des cartes, mais tout n’est pas équilibré, certains personnages sont vraiment très forts contre d’autres. Onitama m’avait pas mal séduit, des règles simples et avec une mise en place éclair, des parties qui ne se ressemblent jamais. Le sel du jeu étant que jouer une carte la rend disponible pour l’adversaire et il faut donc anticiper cela sur plusieurs tours.
Tempête sous un crâne
Cairn propose lui aussi une mécanique pure et élégante. On apprend à y jouer en 2 minutes. Pendant les vacances pour occuper les enfants qui “s’ennuyaient”, j’ai proposé à mes petits (7 et 10 ans) de s’affronter en duel, ils ont très vite intégré le jeu et m’ont surpris par leur sagacité. La seule barrière fut les mégalithes mais ils ont aussi rapidement été intégrés.
Entre adultes avec ma compagne, qui est une joueuse correcte aux échecs (ni experte ni néophyte), ce fut un sacré brûlage de neurones : il faut avoir les yeux partout et tout anticiper. Parfois on fait le malin car on pense marquer le point et on est surpris par l’action adverse qui nous dame le pion. Cairn est dynamique, les règles changent sans arrêt, et il faut réévaluer les possibilités sans cesse.
Par contre n’espérez pas y jouer la fleur au fusil, il va falloir rester concentré tout le temps et la multiplication des possibilités peut engendrer une constipation neuronale. Ici c’est le revers de la médaille et il faut l’accepter.
Les mégalithes apportent une mécanique combinatoire délicieuse et jouissive, surtout quand on enchaîne des jolis coups. Le mécanisme de compensation est intelligent. Je ne vais pas vous cacher que contre ma compagne j’ai un ratio ridiculement bas de victoires, mais elles sont toutes très disputées. Souvent cela se joue à une action, une erreur d’un côté, un coup de maître de l’autre. Cairn a réussi à me séduire, car il propose un beau gameplay accessible et profond avec du dynamisme tout en évitant le déterminisme des échecs.
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Meeeuuhhh 11/09/2020
>Le Cairn, nid de jetons
Joli !
Shanouillette 11/09/2020
Hahaha celle-ci est de moi alors je suis contente, merci ^^
Meeeuuhhh 12/09/2020
Et d’ailleurs, pourquoi pas : « Le Cairn, ni de pions » ?
Shanouillette 13/09/2020
car le jeu n’a pas de pions 😀 des jetons et des fig !
galadriel 11/09/2020
étrange, inis est une vraie purge, c’est le seul jeu ever dont (en collectivité) je n’ai pas fini la partie…abandon collectif et unanime de tous les joueurs et personne n’y a retouché.
impossible de finir une partie car ça yoyote, c’est mal rédigé, etc : au secours !
fouilloux 11/09/2020
Oh, qu’on aime pas d’accord, mais à ce point là… Moi je le trouve top.
Shanouillette 11/09/2020
Inis <3 une perle !
-Nem- 14/09/2020
Oula oui pas touche à Inis 🙂 Ce jeu est une merveille. L’extension intègre un module qui permet d’éviter les parties à rallonge. Mais perso je pourrais y jouer pendant 10 h que ça me dérangerai pas 😀
atom 14/09/2020
Personnellement j’adore ce jeu (Inis), mais j’ai remarqué qu’il pouvait être clivant avec certaines personnes. les gouts et les couleurs ..