Beast – qui chasse qui ?
Beast appartient à la famille des jeux de traque (Scotland Yard, Fury Of Dracula, Spector Ops, Whitechapel, Garibaldi, Mind Mgmt…) famille restreinte comparativement à d’autres, mais très typées, composée d’un certain nombre d’éléments qui sont autant de marqueurs du genre : dans une configuration un contre tous, un joueur, le traqué, tente de s’échapper furtivement à l’aide de mouvements secrets rendus ponctuellement publics soit frontalement soit par quelques formes d’indices visibles aux yeux des traqueurs qui œuvrent de concert à sa capture. Un cahier des charges préétabli qui n’empêche pas certains titres d’innover. Qu’en est-il de Beast (à ne pas confondre avec La Bête, autre jeu de traque paru dernièrement, que vous avez pu croiser dans nos derniers coups de coeur) localisé chez nous par Don’t Panic ?
Imaginé par Aron Midhall (qui l’illustre aussi), Elon Midhall & Assar Pettersson, cette Beast tente clairement de proposer quelque chose de différent, particulièrement par son système de cartes, qui rythmeront toutes nos actions. Ce parti pris fort ne laissera sans doute personne indifférent.
Un joueur incarne l’incroyable Bête (à choisir parmi six) qui terrorise la région, massacrant bétail et humains sans distinction (miam chair fraîche !). Les autres jouent les Chasseurs (à choisir parmi six dispo également). Tous sont asymétriques, et parviennent à se distinguer dans leur archétype.
On peut techniquement jouer à deux à Beast, mais dans ce cas, le Chasseur devra contrôler deux personnages – autant dire qu’il aurait été sans doute plus pertinent d’annoncer une configuration 3-4 joueurs sur la boîte (incarner deux héros diminue l’aspect d’identification, sans parler du draft “avec soi-même”, jouer comme si on avait deux paires de main n’est pas ultra élégant).
La Bête dispose d’un jeu de cartes de direction, et les joue face cachée pour se déplacer : ses adversaires savent où elle était au départ et à quelle distance elle s’est déplacée ensuite. Certains pouvoirs de Chasseurs permettent de révéler la dernière carte (ou plus) de son déplacement. Plus précisément, c’est le pouvoir de Helga, qui semble assez indispensable pour espérer avoir une petite idée de ce que fabrique la bête.
Heureusement, la Bête doit toujours se révéler si un Chasseur l’a repérée (celui-ci aura joué l’effet idoine au bon endroit, via une carte), ou dès qu’elle attaque – ce qu’elle sera amenée à faire pour progresser sur ses conditions de victoire. Car nous avons tous des objectifs mid-partie à essayer d’atteindre pour obtenir quelques avantages sur le chemin de la victoire. Une idée sympathique notamment pour la rejouabilité.
On sait que la créature est passée par là si un Chasseur marche sur sa piste (un jeton d’empreinte est placé). Les joueurs peuvent aussi essayer de déduire la localisation de la Bête en observant ses invocations – car la bête n’est pas seule, elle a souvent une meute à sa disposition. Comme ça, on pourrait croire qu’il va être facile de la repérer et de l’attaquer. Mais non. Le plateau est assez vaste, les chemins nombreux et la Bête peut détaler très vite. Et surtout, il vous faudra les bonnes cartes pour pouvoir… faire quoi que ce soit.
Un draft/contre-draft (un peu trop) central
Et oui, on l’a dit, tout va surtout se jouer dans les cartes. Chacun possède un très court set de cartes propres, auquel s’ajoutent des cartes draftées en début de chaque manche. Il vous faudra sûrement quelques parties avant de bien sélectionner ces cartes. Bien savoir quelles cartes vous seront indispensables, et bien retenir de mémoire celles que vous laissez. Dans le contre-draft, la Bête a un avantage contre les Chasseurs : toutes les cartes qu’elle ne garde pas sont de fait contre elles, alors que les Chasseurs – à moins qu’il soit tout seul – ne savent pas ce que la Bête aura pu obtenir et restent plus dans le flou. En tant que chasseur, il faut souvent laisser passer des cartes puissantes pour la bête, en espérant qu’un autre chasseur se dévoue pour les prendre. En effet, chaque carte montre un pouvoir pour les Chasseurs et un pour la Bête : Souvent, un faible pouvoir pour l’un vient en paire avec un puissant pouvoir pour l’autre, ce qui génère expressément des dilemmes de contre-draft. Une belle idée sur le papier, sauf que le jeu n’offrant pour ainsi dire pas d’action de base, miser sur le contre-draft et finir avec une main faible pourra se payer bien cher en blocage par la suite.
Bref, le draft sera la clef de vos actions. N’oubliez pas de prendre du déplacement pendant cette phase ! Sans quoi vous serez bien trop statique. N’oubliez pas non plus de prendre de quoi attaquer, car tout chasseur que vous êtes, sans la bonne carte en main vous pourrez très bien avoir le fusil vide en face à face avec l’animal.
Bien sûr, pour le déplacement, il y a toujours la solution de fuite, par défaut – si vous défaussez une carte vous pouvez bouger d’une case. Seule action de base offerte par le jeu qui ressemble plutôt à un pis-aller.
Ce sentiment de ne pas avoir les “bonnes cartes” pour mener à bien ses actions peut s’avérer ultra frustrant. D’autant que le jeu ajoute une autre couche de contraintes avec les couleurs des cartes : possible de jouer max deux cartes à son tour à condition qu’elles ne soient pas de la même couleur. Et autant vous dire que les couleurs sont bien pensées pour empêcher les trop “gros” tours d’advenir.
En plus de l’asymétrie inhérente au genre, chaque personnage dispose d’améliorations et de capacités uniques, ce qui est très cool. Les Chasseurs pourront par exemple débloquer des pouvoirs uniques liés à leur avatar, accéder à des pièges ou des tours de garde (une mécanique sympa qui permet aux Chasseurs d’avoir une vue d’ensemble sur une zone à condition de s’y placer). Mais l’économie permettant de se développer s’avère très serrée, on gagne parfois bien difficilement de la monnaie du jeu pour en profiter, et certains pouvoirs ne semblent pas à la hauteur du tarif.
En parlant de la bête, on lui voit la tête
Les Chasseurs discutent à voix haute de leur théorie pendant que la Bête joue son jeu de manipulation secrètement et déroule sa furtive adaptation en catimini. Ils peuvent (tenter de) se coordonner, mais elle entend tout. Elle a plus de cartes, plus de capacités, plus d’avantages. Elle peut invoquer sa meute, qui poussera les chasseurs, déjà bien limités, à se disperser. Elle attaque les villages, peut gagner des épées pour booster ses dégâts (oui la bête porte des épées). Mais bon sang, qui chasse qui dans ce royaume ? Bref, difficile sur un Just played d’affirmer fort qu’elle a plus de chances de gagner, mais c’est un ressenti assez partagé ici. Peut-être que les chances se lissent avec plus d’expérience du côté chasseur, mais il peut être difficile d’avoir envie de pousser plus loin quand dès le départ on se sent pas égaux dans les chances, ni, surtout, dans le plaisir.
Car un scénario plus gratifiant attend la Bête : elle a plus l’impression de maîtriser son destin tandis que les Chasseurs ont la sensation de tâtonner dans le noir, et surtout n’ont souvent pas conscience d’avoir bien joué quand bien même ce fut le cas (jusqu’au moment du debrief post-partie où ils apprennent que telle action a pu donner beaucoup de fil à retordre à la Bête). Disons que la satisfaction me semble plus difficile d’accès pour eux, à moins bien sûr de parvenir à toucher la Bête, ce qui est loin d’être gagné – sans même parler de l’abattre. Peut-être aurait-il été plus agréable de leur proposer des objectifs annexes sur leurs contrats leur permettant de se sentir plus capables, plus opérants ? Ou peut-être aurait-il été plus juste de pouvoir défausser une carte pour pouvoir commettre une attaque de base ? Le Chasseur qui se retrouve face à face avec la Bête et ne fait rien – faute des bonnes cartes en main – ne se sent vraiment pas comme un chasseur…
De plus, si les équipements peuvent être une belle aide dans la chasse, ceux-ci sortent de façon aléatoire et leur pertinence peut s’avérer très décevante. Enfin, faites attention à quel Chasseur vous jouez : suivez les conseils du livret, et installez-vous de manière avisée autour de la table ! Si tel Chasseur peut voir le dernier mouvement de la Bête mais que celle-ci joue juste après, la technique de chasse sera nettement moins efficace… (Peut-être aurait-il été plus pertinent de laisser l’ordre du tour aux Chasseurs à leur libre arbitre ou de poser une initiative selon leurs capacités ?) Bref, il s’agit d’un premier jeu, et cela se ressent en de multiples endroits.
Beast… and the beauty?
Côté production, le thème et l’artwork sont réellement agréables à la rétine, et donnent envie de s’attabler. Malgré les divers éléments en jeu, la lecture reste plutôt intelligible, même si certains points auraient pu gagner en facilité (par exemple la mini carte n’est pas super pratique). Malheureusement, par chez nous on retiendra un jeu asymétrique qui donne à la Bête une expérience plus satisfaisante qu’aux Chasseurs (le mieux qu’ils aient à faire finalement, c’est d’attendre qu’elle se révèle – pas très épique comme chasse, ni très satisfaisant pour l’aspect déduction) et on en ressort sans grosse envie d’y retourner. Néanmoins, il faut reconnaître que le jeu tente quelque chose : avec ses cartes et son draft, les contrats que l’on essaie de satisfaire, son thème bien servi par ses illustrations vraiment léchées, son asymétrie bien poussée. Il y a de belles idées qu’on aurait voulu voir plus abouties, mais qui restent sincèrement proposées. Bilan, si vous aimez les jeux de traque, vous devriez trouver l’occasion de vous faire votre propre expérience et de venir nous la partager en commentaire !
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ihmotep 28/11/2023
. Vu les défauts cités sur ce jeu peu de chance que je franchisse le pas vu que dans le genre « La Bête » a placé la barre très haute ^^.