Barcelona : Ola sur les ramblas ?

En 2018, NSKN et Board & Dice ont fusionné sous le nom de Board & Dice. Chaque année, ils nous proposent un ou deux titres calibrés pour les joueurs experts, comme Teotihucan ou encore Tehkhenu. Malheureusement ces dernières années, leurs jeux semblaient manquer de finitions. Tabannusi promettait tellement mais il nous a tous laissés de marbre ; Zapotec me hérissait les poils des bras avec son système de matrice croisée, et la déception fut à la hauteur de l’attente. Un beau game design, mais où le plaisir reste le grand absent, hélas. Il n’y avait guère que Tiletum qui faisait le job, rien de novateur mais ça tournait bien. Chat échaudé craint l’eau froide, on attendait avec moins d’impatience les dernières créations de cet éditeur. 

Barcelona est la première création éditée de Dani Garcia, un auteur espagnol qui depuis a signé quelques jeux comme Arborea lancé en Kickstarter l’année passée, et bien d’autres encore jusqu’en 2025. Barcelona avait été décortiqué prestement dans une preview, et je dois dire que ça nous avait donné l’eau à la bouche à la Rédac.

 

La capitale de la catalogne

Quand je parle d’eurogames, je cause en général mécanique, le thème est pour moi au mieux présent en fond, au pire totalement plaqué. Ici, l’auteur nous propose pour terrain de jeu la ville de Barcelone. Au XIXe siècle, le vieux Barcelone commence à être saturé et Ildefons Cerdà propose un agrandissement de la ville (Le quartier de l’Eixample) avec des services public, des lignes de tramway qui au tout début furent tirés par des chevaux, et des routes larges qui ont même donné envie à un architecte concurrent de se ridiculiser en déclarant qu’il y aurait trop d’air et que cela les rendrait infréquentables. Le temps lui a largement donné tort puisque ces voies larges ont plus tard permis l’avènement de l’automobile tout en gardant de la place pour les vélos et piétons. C’est une des nombreuses notes historiques dont est parsemée la règle. Mais loin d’être un un petit ajout culturel, cela sert et donne du corps au jeu. On sent que l’auteur s’est documenté ou tout simplement aime sa ville.

 

Le plateau de jeu représentant le quartier de l’Eixample

 

Le carrefour des possibles

Mécaniquement, à son tour on va jouer avec les deux jetons citoyens que l’on a piochés dans le sac, et on va les positionner sur le plateau afin de réaliser les actions aux croisements (en abscisse et ordonnée). Deux actions, peut-être trois si l’on se place dans la diagonale. Actions que l’on peut réaliser dans l’ordre de notre choix, par exemple au premier tour, je peux réaliser l’action construire deux rues et les placer de sorte à avoir l’argent nécessaire pour construire un service public qui va me donner des points de victoire et une action gratuite.

Ceci fait je vais devoir construire un bâtiment, bah oui on est mandaté par Cerdà lui même, et on n’est pas pour là pour enfiler des perles. Pour construire il faut qu’il y ait des citoyens adjacents. En fonction du type, on peut construire des bâtiments pour le peuple, pour les bourgeois ou pour les aristos. Mais tous auront des avantages et des inconvénients, construire pour le peuple permet tout simplement d’avancer sur la piste Cerdà (du même nom que l’architecte). En effet le célèbre architecte désirait que tous les citoyens, quelle que soit leur classe sociale, aient les mêmes logements et les mêmes accès aux services publics Dans le jeu, quand on respecte sa volonté, on avance sur la piste à son nom, et sinon on recule. Dans la réalité malheureusement, le rêve de Ildefons Cerdà fut gâché par le besoin de se démarquer des classes aisées.

 

 

Les bâtiments bourgeois ou aristo donnent des points et d’autres bonus, mais nous amènent à descendre de cette piste Cerdà. En fin de manche on marque des points selon une condition connue en début de partie avec un multiplicateur qui est fonction de cette piste. Par conséquent, on va quand même la surveiller car ça peut faire beaucoup de points…

Attention, je précise bien, je dois construire, si une configuration me le permet, et parfois ça ne m’arrange pas. De même, on peut construire par dessus des bâtiments de niveaux inférieurs (le quartier s’embourgeoise).

Dernier point et non des moindres, quand on construit un bâtiment, on utilise les jetons citoyens qui sont adjacents et qui vont se placer sur les pistes correspondantes, ce qui a plusieurs effets : d’abord on marque des points selon la piste la moins avancée, mais surtout c’est ainsi que le décompte se déclenche quand une ligne Citoyen est terminée. 

piste des citoyens

 

Attention aux embouteillages neuronaux

Il n’y a pas moins de onze actions possibles à son tour, rien de très compliqué cependant : construire les rues et intersections de Barcelone, construire des services publics, déplacer le  tramway, gagner de l’or ou du tissu, ou bien encore gagner des tuiles modernistes qui sont des objectifs de fin de partie. Et même ériger la Sagrada Familia.

Premier des dilemmes à arbitrer, quelles sont les deux actions que je souhaite faire (abscisse ordonnée), mais aussi dans quel ordre je place mes citoyens pour éventuellement construire à ce tour ou, quelles opportunités j’offre à mes adversaires. Je vois de suite les joueurs que je n’ai pas envie d’inviter à la table, sous peine de trouver le temps long avant que le tour me revienne…

 

plateau personnel

 

On est en terrain connu, par exemple notre plateau personnel nous donne plus d’espace quand on place des dallages (et des points), ou bien des revenus en construisant des intersections. On peut même y placer nos tuiles modernisme qui sont des objectifs de fin de partie et augmenter les multiplicateurs. 

Barcelona a un feeling très Feldien, on trouvera toujours une solution à notre problème. Je construis un bâtiment public qui me donne le bonus qui me manquait, ou bien je place un dallage qui me donne lui aussi la ressource manquante. La construction de la Sagrada peut aussi me donner un avantage subséquent. Il en résulte un jeu très ouvert où l’arbre des possibles possède plusieurs branches à laquelle on peut se raccrocher… 

Le hic, si j’ose dire, c’est que cela reste assez compliqué de planifier son jeu, soit le coup que l’on désire réaliser est libre, soit on se focalise sur un plan B ou un plan C, D, etc. La contrainte réside dans ce positionnement ; quelle action je désire à tout prix faire – et comment optimiser mes actions. C’est aussi très difficile de planifier avant son tour, car les possibilités peuvent évoluer.

La construction de la Sagrada et ses bonus.

 

Ce qui va faire dévier un peu du chemin tout tracé, c’est le positionnement des citoyens par les autres joueurs, quand on souhaite construire des bâtiments. Je n’ai pas eu l’impression de planifier ma partie : j’avais prévu de jouer sur les objectifs communs, mais en réalité j’ai fini par naviguer à vue et sauter sur les occasions comme un cabri. J’ai vite abandonné les objectifs de fin de manche quitte à fâcher Cerdà, pour construire des bâtiments me permettant d’avancer dans la construction de ma Sagrada (et de faire pénitence), ce qui m’a donné ressources et points de victoire largement compensés par ma trahison idéologique. J’ai aussi essayé de me focaliser sur des objectifs avec des multiplicateurs juteux.

On construit son moteur de jeu, mais on ne joue pas du tout dans son coin, d’abord le placement est limité, mais vivant car une fois un emplacement vidé de ses citoyens, il redevient disponible. On n’est pas dans un blocage bête et méchant, mais plutôt subtil et intelligent.

Barcelona joue surtout du côté opportuniste finalement. On peut placer nos routes aux bons endroits pour glaner points et ressources (premier arrivé, premier servi), mais les suivants prolongeront et marqueront des points aussi. Idem concernant les dallages ou en plaçant notre dalle on augmente notre espace de stockage, mais on gagne aussi un bonus, tout en ouvrant le jeu aux autres joueurs (on place toujours notre dalle adjacente à une dalle déjà placée). De même, construire des intersections est intéressant, car on gagnera un (ou des) bonus quand un joueur se placera dessus.

 

 

Bilan

Avant de conclure, j’ai tout de même envie de revenir sur le travail d’édition, la règle est bien écrite, c’est un petit bijou, tout est clair et les petits ajouts historiques donnent du sens à ce que l’on fait en l’enrichissant d’un côté culturel intéressant. L’aide de jeu double face est parfaite pour expliquer et suivre le jeu, tout est là. Visuellement on ne peut que louer le travail d’Alexander Zawada, l’illustrateur qui joue avec des teintes rouges très proches de ce qu’on connaît de la ville.

 

 

Dani Garcia (l’auteur, suivez un peu ^^) a bien construit son jeu, car toutes les actions sont potentiellement intéressantes, enfin … en fonction de la stratégie que l’on met en œuvre. Celle-ci dépend de plusieurs facteurs qui peuvent être communs (les objectifs de fin de manche), ou personnels, les objectifs de fin de partie que l’on aura placés sur notre plateau et valorisés avec le bon multiplicateur.

Si vous n’aimez pas les salades de points passez votre chemin, car la salade Catalane peut être indigeste tellement on va en marquer partout et sans arrêt. Il existe d’ailleurs un jeton 400 points qui montre que l’on peut aller très loin dans la boulimie ! 

 

 

À 2 joueurs, on ne va pas s’ennuyer mais ça manquera un peu de tension ; à 4, on réalise moins d’actions et on a un peu moins le sentiment de contrôler les choses, la fin de partie arrive très vite et peut surprendre. Un peu à l’instar d’autres jeux, comme Autobahn, il vaut mieux privilégier une configuration et pour Barcelona, ça sera trois, sans aucun doute.

Je ne me sens pas dans un jeu « expert » dans le sens où je ne me sens pas sclérosé, asséché, j’ai cette impression d’avoir toujours une solution, par ce principe de double actions, ce qui peut donner un sentiment de manque de tension, voire de manque de frustration.

Barcelona a une petite saveur fraîche, on voit bien les emprunts, mais il a aussi son identité propre même si on lui trouve des accents Feldien. Le jeu peut avoir de la paralysis analysis, on surveille le plateau central, on lève le nez du sien pour suivre les opportunités ou revoir notre plan de jeu parce que le coup que l’on désirait faire a été anéanti par une action adverse. Après plusieurs parties, je suis un peu partagé, tout fonctionne bien, mais il lui manque quelque chose, un tout petit rien pour que le voyage m’emporte loin, peut-être plus d’intrications, de liant entre les différents éléments du jeu. Il penche aussi beaucoup trop du côté opportuniste, il m’a manqué la sensation de pouvoir construire ma stratégie, plutôt que de voguer au gré du vent.

 


 

Pour en savoir plus :

L’Eixample, Naissance de la Barcelone Moderniste

 

 

LUDOVOX est un site indépendant !

Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur :

Et également en cliquant sur le lien de nos partenaires pour faire vos achats :

acheter barcelona sur espritjeu

1 Commentaire

  1. Ihmotep 31/10/2023
    Répondre

    Un article très éclairant, merci ^^

Laisser un commentaire