Apiary : Beez Gees

Depuis des années on alerte sur le réchauffement climatique, la perte de la biodiversité. Mais ce qui devait arriver arriva, et l’humanité a disparu de la planète bleue. La nature ayant horreur du vide, ce sont les abeilles qui nous ont remplacées. Elles ont réussi à s’adapter et ont réalisé des progrès considérables, à tel point qu’elles sont parties coloniser l’espace (rien que ça). Dans la catégorie des thèmes inattendus, ça se pose là. Apiary est le premier jeu de Connie Vogelmann, Il est illustré par Kwanchai Moriya et édité par Stonemaier Games. C’est aussi Connie Vogelmann qui a été en charge de Wyrmspan, la rethématisation de Wingspan (on en parlait ici). Pour revenir à Apiary, au-delà de son thème quelque peu déroutant, il propose quelques twists originaux. 

Allons décortiquer son exosquelette. 

Un des 5 plateaux de départ avec son organisation et ses bonus de placement, ainsi que la tuile faction de départ qui détermine nos abeilles, nos ressources et un pouvoir éventuel.

 

Space Beez 

Nos abeilles débutent avec leur plateau ruche et quelques ressources. Nous allons explorer l’espace avec le vaisseau mère pour polliniser et récupérer des ressources, qui vont nous servir à construire notre ruche faite de tuiles, qui nous donnent des ressources, des revenus ou des pouvoirs, et bien sûr des points de victoire. Nos abeilles vont évoluer et “mourir”, enfin se transformer en une chrysalide qui va rejoindre les alvéoles d’hibernation. La partie se termine quand un joueur a placé tous ses jetons hibernation, ou quand il n’y a plus de place dans la zone des alvéoles d’hibernation.

 

Pose d’ouvriers non bloquante

La mécanique générale est soutenue par de la pose d’ouvriers (d’ouvrières). À notre tour, on joue une de nos abeilles sur l’une des six zones d’action, ou sinon on récupère toutes nos abeilles. La récupération permettra de gagner du revenu en fonction des fermes construites.

Nos abeilles ont un niveau qui augmente de 1 à 4 en vieillissant. En fonction des endroits on va réaliser des actions plus ou moins fortes, par exemple dans l’exploration, on pourra déplacer le vaisseau mère (la belle figurine de la reine) d’autant de cases que la somme de la force de l’abeille que l’on place et de l’autre abeille présente, pour aller polliniser une planète et prendre des ressources. Le jeu avançant, on aura de plus en plus de planètes avec de plus en plus de ressources disponibles pour cette action d’exploration.

 

L’exploration

 

Nos abeilles s’entraident, un peu comme dans Euphoria de Jamey Stegmaier (tiens tiens ^^), où l’on produisait des ressources en fonction des ouvriers présents, qu’ils soient ou non à nous. Dans la zone évolution, je n’aurai pas accès aux mêmes tuiles en fonction de la force totale : avec 2 de force totale je ne peux acheter que dans la première rangée de tuiles. Si elle ne me convient pas, je vais devoir attendre, ou envoyer une abeille plus forte. On joue donc en fonction de la force de nos abeilles, mais aussi celles des adversaires, et des opportunités qui s’ouvrent selon les actions des joueurs. Voilà un paramètre que l’on va prendre en compte. 

 

Abeilles évoluées

Certains lieux ou actions nous sont accessibles uniquement avec une abeille de force 4. Certaines actions sont « améliorées » si l’on s’y rend avec une abeille de force 4, c’est ainsi que l’on peut retourner sa tuile faction et bénéficier d’un pouvoir plus puissant pour toute la partie, ou que l’on peut « planter des cartes graines » sur son plateau afin d’avoir un scoring de fin, etc.

Comment évoluent nos abeilles ? Soit quand on les récupère, soit quand un joueur place une de ses abeilles sur une zone ou une de nos abeilles était présente. Elle est alors expulsée et revient sur le plateau du joueur propriétaire, comme dans Euphoria encore une fois. Mais contrairement au jeu de Jamey Stegmaier, c’est loin d’être négatif, c’est même plutôt un avantage, on récupère l’abeille pour un tour prochain, ouvrière qui aura augmenté d’un niveau de force.

 

 

 Staying Alive !

Ce twist est important à plus d’un titre, une abeille qui dépasse une force de 4 devient une chrysalide, ce qui est plutôt intéressant en termes de stratégie, car on place un jeton Hibernation sur une piste qui nous donne immédiatement un bonus, et en fin de partie des points sur des majorités. Un peu comme Descendance où l’on est tenté de faire mourir nos membres pour rejoindre le livre du village, dans Apiary, on se dépêche d’hiberner. Mais comme dans le jeu du couple Brandt, c’est un peu à double tranchant. Dans Apiary, il vaut mieux éviter de se trouver sans ouvrières, il faut donc anticiper et trouver le bon timing pour le faire,ne pas se retrouver sans ouvrières et perdre une action. C’est un dilemme intéressant.

 

 

Nous avons six actions différentes, six actions plus ou moins utiles en fonction du moment de la partie. Au début, on va surtout aller explorer et récupérer des ressources afin de construire notre ruche. La partie avançant, on va tenter de se rendre dans la chambre des Sculptures pour construire une tuile qui va potentiellement nous donner des points de victoire conséquents. 

Ces tuiles sculpture sont placées à l’installation et connues de tous, on peut donc élaborer une partie de notre stratégie dessus. Mais c’est une action très contraignante : elle nécessite une abeille de force 4 et du miel. Il est tout à fait possible qu’on y aille qu’une seule fois dans la partie ou même pas du tout. Le miel ou la cire sont des ressources évoluées, et il n’est pas facile de les avoir, on ne les obtient pas par l’exploration, mais par de la transformation ou trouver d’autres moyens à l’aide de cartes, de tuiles, etc. À nous de voir si le jeu en vaut la chandelle.

Certaines Structures semblent forte, tandis que d’autres impliquent beaucoup d’efforts pour un gain assez discutable.

 

En soit ce n’est pas gênant, on peut très bien s’en passer et construire notre stratégie sur d’autres axes, comme remplir son plateau, jouer avec les cartes, ou encore monter sur la piste des faveurs de la reine. Cela fait partie des choix que l’on doit arbitrer. Qu’une action soit pas ou peu réalisée dans la partie pourrait paraître comme une faiblesse, mais en réalité j’aime bien le fait que certaines actions soient plus prisées en fonction du moment ou de la faction, cela ajoute de l’interaction et ces axes la. Aller sur une zone d’action moins visitée demande d’abord une planification, et il faut s’attendre à ce qu’une de nos abeilles soit bloquée un certain temps.

 

Transformation de ressources, apprendre une danse peut valoir le coup.

 

Apiary possède une composante de jeu à moteur, telle tuile donne tel ou tel pouvoir qui correspond bien à notre stratégie, les tuiles fermes donnent des revenus quand on récupère nos ouvrières, ce qui peut être un moteur de points de victoire. L’asymétrie est forte avec plus de 20 tuiles faction différentes, ce qui ajoute une richesse et une rejouabilité intéressante et oriente notre stratégie. On a aussi un peu de combinatoire, avec une tuile nous donnant un effet. Combinatoire aussi en plaçant une nouvelle tuile sur notre plateau, nous rapportant une ressource, une nouvelle abeille ou encore une carte, ça dépend de notre plateau de départ.

 

Mon plateau perso : la ruche, avec des tuiles ferme (vert) qui permettent de stocker des ressources, recherche (bleu), structure (jaune) pour scorer.

 

 

À la carte

Je les avais un peu snobées les cartes au début, mais elles sont un élément intéressant du jeu. Pour les avoir, il faut aller dans la zone Recherche ou bien les gagner avec des combos. Ces cartes peuvent être semées en graine sur notre plateau ce qui ajoute un scoring de fin de partie, mais étant multi usages, elles peuvent aussi être utilisées et dépensées pour leur effet immédiat (jouer un nouveau tour, monter le niveau d’une abeille, etc). On peut aussi tout simplement les jeter pour gagner une ressource de base.

J’adore les mécaniques de cartes multi-usages, ça donne une sensation d’adaptation intéressante, et si le hasard reste présent, il est tout de même un peu maîtrisable. D’autant qu’ici on pioche X cartes, X étant fonction du niveau de notre abeille, même si on n’en garde qu’une, on peut donc facilement brasser les cartes.

 

 

 

Gelée royale ?

Nos abeilles se meuvent dans une sorte de ballet, et je dirais qu’il n’y a pas à proprement parler de down time puisqu’il n’y a pas de fin de tour avec ce mécanisme d’éjection qui nous profite. Les actions sont suffisamment simples pour savoir ce que l’on veut faire, et le jeu est plutôt fluide quand on a compris le fonctionnement. Malgré tout, les dilemmes sont importants, tout en gardant une bonne dose d’opportunisme. Quelle abeille j’envoie, à quel moment je vais “refaire” des abeilles, à quel moment je vais faire hiberner mes ouvrières pour aller chercher bonus et majorités. D’autant que l’on a toujours un œil sur les abeilles des autres, même s’il peut y avoir des éléments de surprise avec une carte jouée par exemple.

 

 

J’ai appris au détour du journal du créateur sur le site de l’éditeur, que Connie Vogelmann est apicultrice, son thème premier était les abeilles. C’est l’éditeur qui a fait ce choix d’abeille de l’espace en s’inspirant d’un roman de science-fiction apparemment. Au début, il est difficile d’intégrer ce thème, pourtant tout fait sens, on pollinise des planètes, on construit notre rucher, on retrouve même la danse des abeilles ou l’hibernation nécessaire. Tout fait sens, peut être à l’exception de la construction des tuiles de structures faites avec du Miel. J’aurais personnellement inversé les rôles des ressources Cire et Miel, (c’est un choix éditorial aussi étrange que faire du vin rosé avec du raisin rouge et blanc dans Viticulture ^^).

 

 

Sur ma première partie, Apiary ne m’a pas laissé un souvenir impérissable, après tout si l’on excepte le twist du vieillissement que l’on retrouve dans Descendance (glorieuse référence). On peut objecter caricaturalement que cela consiste à prendre des ressources et les transformer en moteur ou point de victoire comme dans beaucoup de jeux du genre, et que ça ne renouvelle pas grand-chose. D’autant que ma première partie avait été assez longue avec des circonstances assez particulières avec du bruit, du dérangement fréquent. Bref, ne restant jamais sur une première impression j’ai tenté avec d’autres conditions qui furent plus favorables.

Un joueur expérimenté pourrait à juste titre le trouver répétitif, parfois trop dirigiste, c’est pourquoi j’en ferais presque un jeu « passerelle » pour qui voudrait jouer à un jeu expert pas trop corseté, trop compliqué, d’autant que l’asymétrie de départ permet de se donner un but, une direction, c’est rassurant, on n’est pas lâché en rase campagne. 

3 tuiles faction de départ.

 

S’il est vrai qu’Apiary ne propose rien de vraiment original en soit, encore que ça soit une assertion discutable, il est intéressant à partir de trois joueurs et même quatre et cinq avec cette interaction douce et non bloquante, avec son opportunisme. Il est satisfaisant avec la construction de sa ruche, son moteur de jeu et de points de victoire. Les cartes multi usages qui nous permettent de nous sortir d’une situation compliquée. Les petites contraintes qui nous poussent à optimiser et temporiser parfois. Je trouve personnellement que les factions pour débutant sont peu intéressantes, en gros elles vont scorer sur une condition. Tandis que les autres ont des effets sur le gameplay, gagner plus de ressources, jouer avec le niveau d’une abeille, etc. C’est beaucoup plus satisfaisant. Peut-être qu’elles ne sont pas toutes parfaitement équilibrées, surtout que cela dépends du plateau de départ aussi.
Je sais que ce que je vais dire va être une hérésie pour certains mais ce n’est pas si grave, ça fait partie de son gameplay un peu « feel good » et gratifiant, et c’est l’identité de cet Apiary plutôt généreux.

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En écrivant sur Apiary, je me suis documenté sur le jeu, l’autrice, j’ai lu son journal d’auteur ou Designer Diary. Cela m’a donné envie de vous le partager dans un article qui sera publié jeudi.

 

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5 Commentaires

  1. Umberling 06/12/2023
    Répondre

    Ou plutôt, space Bees, geez !

  2. Ihmotep 06/12/2023
    Répondre

    J’ai eu l’occasion d’en faire une partie. La thématique m’a bien plu; c’est original et pas purement marketing. Durant ma partie j’étais assez bien dans l’esprit de construire ma ruche ^^. Quelques idées de gameplay m’ont bien plu, soutenu par un visuel qui m’a bien accorché. Puis la partie a démarré et là c’est redescendu d’un cran. Premièrement j’étais paumé. Habitué à de gros jeux expert dans Apiary j’ai eu du mal à trouver mes marques et planifier mes actions. Pourtant ce n’est pas si compliqué, je pense que j’ai juste une approche trop calculatoire, j’aurai du voler plus au feeling ^^. Deuxièmement l’asymétrie et les cartes semblent mal dosé. Certaines cartes sont complètement fumées. Faut aussi bien prendre en compte dès le début les tuiles « miel » qui donnent de gros PV. Le problème c’est que si vous faites une strat sur une de ses tuiles et qu’on vous la souffle, c’est très très punitif niveau scoring. Idem pour les danses une partie de ma strat est tombé à l’eau quand un joueur via une carte a pu mettre une danse en place. C’est peut là où j’ai du mal et où d’autres trouveront leur compte : il est à la fois calculatoire dans les choix d’actions et chaotique via ses cartes badass et l’exploration. Un entre 2 qui pourra séduire si le voyage vous plait plus que la destination.
    Perso j’y rejouerai sans lui courir après. Non dénué d’intérêt il souffre d’une concurrence quantitative et qualitative qui fait que je lui préférerai d’autres jeux que je trouve plus abouti.

    • atom 06/02/2024
      Répondre

      Comme je disais, il ne faut pas le voir comme un expert, mais plus un jeu initié. Je le vois comme un jeu entre deux avec de la gestion de ressources pas très restrictif, tu fais toujours quelque chose satisfaisant. Ce qui est compliqué c’est d’optimiser vraiment ses actions avec le vieillissement.

      C’est du game design à l’américaine, il y a clairement des tuiles beaucoup plus fortes, mais ça ne me gêne pas, ça crée une tension dessus, et après reste à voir si le jeu en vaut la chandelle. Sur les cartes idem, il y a des cartes qui une fois plantée te donnent 3 ou 5 point la ou certaines bien optimisées peuvent te donner 12 point et même plus. Comme les cartes sont multiusages ça ne me dérange pas, tu sais que ces cartes là tu va les utiliser pour une ressource ou pour leur pouvoir plutôt.

      Avec sa mécanique de “bump” poussée ça donne des tours assez dynamiques. Je m’attendais vraiment pas à accrocher, mais je me suis laissé prendre au jeu et j’ai rejoué avec plaisir et j’ai plutôt envie de rejouer. 

       

      Comme toi si je réfléchis en terme de concurrence, je vais plus vers un Darwin, Zhanguo, Revive qui restent mes 3 euros du moment. Sauf que c’est pas le même calibre et j’ai trouvé un jeu qui colle bien dans cet entre deux, parfait pour un jeudi soir ou les joueurs veulent pas rester trop tard. Idem aussi pour ces joueurs qui apprécient pas trop la pose d’ouvriers bloquants.

       

      • Olivier Sanguy 09/02/2024
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        Je partage cette approche du titre. Attention, seulement 2 parties au compteur pour l’instant pour moi, donc normalement pas assez pour se faire une véritable idée. Toutefois, j’ai l’impression qu’une des façons sympas de le jouer consiste à identifier les synergies (pour ne pas écrire « combos fumés ») dans l’offre des tuiles (qui change, donc opportunisme de rigueur) et d’y aller à fond (il y a notamment une tuile qui fait avancer de 3 cases sur la piste de la reine à chaque récolte ! C’est très fort). Et a contrario d’empêcher les autres d’en profiter. En faisant monter vers l’hibernation ses abeilles à gogo, on peut aussi écourter la partie et couper le pollen sous les ailes de ses adversaires.  A voir si cette impression se confirme.

        • atom 12/02/2024
          Répondre

          Je pense que c’est un peu ça l’idée oui, on est dans de l’opportunisme qui s’assume. Pas si facile de monter sur la piste de la reine ainsi, et il y a des tuiles fermes qui rapporte des points direct. J’ai bien aimé l’idée que les ressources que l’on ne peut pas stocker à la fin de son tour aille à la reine, c’est une stratégie viable (je l’ai expérimentée). Jouer sur l’hibernation marche assez bien, mais il faut impérativement gagner les majorités et faire attention de ne pas se trouver trop longtemps sans abeille, car on se retrouve avec un gros gros coup de mou.

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